Synopsis : Tony, riche aristocrate engage un domestique le jour même où il emménage dans sa nouvelle demeure. Son valet de chambre, Barrett, le fascine sans qu’il en ait d’abord conscience : Tony est un être fragile, superficiel, qui ne s’entend pas réellement avec sa fiancée Susan. Et Barrett, jour après jour, devient moins servile et plus indispensable…
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Projeté dans une très belle copie restaurée au Champo à Paris dans le cadre de la programmation du Festival Play it Again, The Servant de Joseph Losey demeure un bijou cinématographique étrange et magnifique, malgré l’impact sulfureux évidemment moindre aujourd’hui. Car à l’époque, ce drame avait en effet choqué la bourgeoisie bien pensante en raison de son dernier acte. Le cinéaste américain, exilé au Royaume-Uni, fourvoie son héros Tony, jeune aristocrate prometteur sur le point de se fiancer, le vautrant dans la déchéance, la débauche et l’alcoolisme, soumis à un soi-disant désir homosexuel refoulé envers son valet. Une vision simple mais qui émane d’une œuvre suffisamment forte et fascinante pour aborder le thème du rapport de maître à esclave, de la manipulation, de l’homosexualité et de la condition sociale. Car jamais il n’est dit clairement, tout au long de l’intrigue, que ce jeune dandy brillant, après avoir engagé Hugo Barrett, son valet de chambre, tombe en quelque sorte amoureux de lui. The Servant, écrit par l’écrivain et dramaturge Harold Pinter, lauréat du prix Nobel de littérature en 2005, d’après le roman de Robin Maugham, se révèle alors comme une fable sur le pouvoir. Ce serviteur, campé magnifiquement par Dirk Bogarde dans un jeu entre sobriété, distance, nuances et ambiguïté, apparaît comme un être vil dont la seule motivation est d’inverser le rapport de domination avec son maître, incarné par James Fox, aussitôt appréhender comme une personne fragile et influençable.
À l’instar de certaines œuvres de Joseph Losey, The Servant ne peut se réduire à son fil directeur, ici une simple liaison amoureuse refoulée. Son propos aborde une thématique beaucoup plus universelle, celle de la prise de pouvoir du fort sur le faible à travers la manipulation mentale, narcissique et perverse. Une approche qui renvoie entre autres aux mouvements sectaires et religieux extrémistes. Le serviteur exerce ainsi son pouvoir de fascination envers son patron dans le seul but de prendre le contrôle et de retourner la situation pour en faire son jouet, sans ressentir de remords ni de pitié. Tous les artifices sont dès lors bon à mettre en oeuvre. À commencer par sa compagne, interprétée par la plantureuse Sarah Miles, qu’il fait passer pour sa sœur. Il la charge de séduire Tony dans l’intention de l’éloigner de Susan, sa fiancée (Wendy Craig), afin de l’isoler, le réduire aux murs de son luxueux domicile londonien et le couper de tous ses repères.
Si on perçoit ce domestique comme un homme de condition modeste, agissant de la sorte pour s’élever dans l’échelle sociale, il est plus intéressant d’entreprendre The Servant comme une allégorie, détachée de toute morale ou d’explication. Ce récit, qui joue entre lieu et milieu, trouve d’ailleurs toute son intensité dans un noir et blanc somptueux et une lumière mouvante, lorgnant vers le cinéma expressionniste et certaines œuvres d’Alfred Hitchcock (Rebecca, Soupçons), notamment dans l’utilisation des miroirs et des ombres inquiétantes qui accentue l’aspect dramatique. Avec The Servant, Joseph Losey livre l’un de ses plus grands chefs-d’œuvre qui conserve encore aujourd’hui toute sa puissance et sa complexité.
- THE SERVANT de Joseph Losey diffusé au Champo en version restaurée à l’occasion du Festival Play it Again (du 22 au 28 avril 2015). Aucune ressortie prévue.
- Avec : Dirk Bogarde, James Fox, Sarah Miles, Catherine Lacey, Richard Vernon, Patrick Magee, Harold Pinter…
- Scénario : Harold Pinter, Robin Maugham
- Production : Joseph Losey, Norman Priggen
- Photographie : Douglas Slocombe
- Montage : Reginald Mills
- Décors : Ted Clements
- Costumes : Beatrice Dawson
- Musique : John Dankworth
- Durée : 1h55
- Date de sortie initiale : Novembre 1963 (Royaume-Uni) et le 10 avril 1964 en France
- Ressortie en France : 20 août 2014 distribuée par Les Acacias
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