Hormona de Bertrand Mandico: critique

Publié par Charles Amenyah le 31 août 2015

Résumé : Trois films charnels de Bertrand Mandico : Prehistoric Cabaret, Y’a-t-il une vierge encore vivante ?
et Notre Dame des hormones.

 

♥♥♥♥♥

 

Homona - affiche

Homona – affiche

Alors que Bertrand Mandico prépare son premier long-métrage, Les Garçons Sauvages, Ecce Films propose en septembre de (re)découvrir enfin son univers si singulier sur grand écran. Au programme d’Hormona, trois courts métrages phares de cette figure incontournable du cinéma indépendant français, avec sa muse Elina Löwensohn. Nous vous avions déjà présenté NOTRE DAME DES HORMONES (notre critique), conte de fée kitch et vénéneux de 30 minutes dans lequel les femmes n’étaient pas tout à fait des anges tombés du ciel. Les deux autres œuvres de ce triptyque s’annoncent elles aussi comme un déroutant mélange de mythologie chrétienne et païenne où le culte du beau côtoie les plus viles passions. Et où la femme est aussi divine que mortelle et fanée. Mandico dresse des cabarets pittoresques et des forêts désenchantées pour ramener à la mémoire du spectateur ce qu’il avait tenté d’oublier. Mais à cette reconstitution de la mémoire traumatique correspond également une mise en pièces de nos morales et de nos certitudes. Pour ce faire, Mandico travestit les rites, les légendes et entraîne le spectateur dans une contre-initiation destinée à changer son regard sur le monde. Dans Prehistoric Cabaret (10 minutes), ce n’est pas un effeuillage innocent que nous propose la meneuse de revue (Elina Löwensohn), mais une coloscopie suintante de la nature humaine. On ignore si cette femme travaille dans le cabaret où si elle fait partie des spectateurs désabusés venus contempler une scène vide. Mais la voilà qui, au milieu de la pièce silencieuse, prend la parole et se présente comme notre guide. Aussi indifférente que persuasive, elle nous propose un voyage au centre de la terre, au cœur de l’intime, à la découverte de nos origines. Son regard est vague et sa jupe laisse volontairement entrevoir son séant.

 

Prehistoric Cabaret de Bertrand Mandico

Prehistoric Cabaret de Bertrand Mandico

 

Si les personnages sont apathiques, le lieu résonne de propositions érotiques ; les bougies jouissent littéralement, quand les talons-aiguilles ne leur servent pas de candélabres. Et on ne sait pas si celle qui nous parle est une tenancière ou une prostituée égarée, si elle est confiante ou bien désemparée… mais nous n’avons d’autre choix que de la suivre. « Toujours plus profond », nous répète-t-elle, tandis qu’elle s’empare d’un étrange objet – entre caméra organique et monstre turgescent – pour le glisser dans son entre-jambe. Et chercher en de tels endroits l’origine du monde renvoie à la thèse éminemment baroque du monde-femme, laquelle semble très présente au sein des trois Å“uvres. Ce qui frappe d’emblée ici, c’est le mépris de la pudeur et des conventions dont fait preuve le réalisateur. On dirait que Mandico est un être sans refoulement, tant il prend plaisir à exhiber l’inavouable.

 

Un voyage vers les origines ne peut que déboucher sur le cannibalisme et le panthéisme sexuel de temps immémoriaux. Et cette lente radiographie de l’archaïsme est rendue en tableaux successifs et volontairement dissonants. Le réalisateur joue avec les filtres et des fumigènes, créant une atmosphère embrumée et changeante. L’air semble autant saturé de parfums que de vapeurs narcotiques. Alors que le public du cabaret se lance dans une parodie d’orgie, des messages apparaissent à l’écran : « l’orgasme de Satan », « jouissance et soumission », « don’t go to sleep »… Entre imprécations vitales et slogans fallacieux, le spectateur hésite entre s’abandonner au plaisir et se méfier des dangers qu’il contient. Car on comprend que si la provocante prêtresse s’est littéralement offerte à son public, ce n’était que pour mieux le dévorer ensuite. Finalement, le court s’achève sur la thèse onirique selon laquelle le réel n’existe pas. Et les derniers plans font écho au célèbre théâtre ‘le Silencio’ dans Mulholland Drive de David Lynch.

 

Y a-t-il une vierge encore vivante ? de Betrand Mandico

Y a-t-il une vierge encore vivante ? de Betrand Mandico

 

Y a-t-il une vierge encore vivante ? (9 minutes) est également un voyage imaginaire et permet à Mandico de revisiter la légende médiévale de Jeanne d’Arc dans une perspective toujours iconoclaste. Cette fois, il s’attaque à l’image de la vierge (nécessairement névrosante pour la femme) et à celle de la sainte (encore plus inaccessible). Dans son conte, Jeanne d’Arc a été privée du feu purificateur et condamnée à errer aveugle dans le monde. On retrouve les mêmes obsessions du réalisateur, ce mépris incroyable pour les représentations habituelles. L’histoire connue de Jeanne d’Arc ne serait que « balivernes françaises ». L’héroïne aveugle de Mandico vit en sainte dépravée, tue, vole et aurait été déflorée par un étalon anglais. On retrouve les codes picaresques mêlés à l’esthétique la plus kitch. Car les voyages de cette séance Hormona sont tous sauf linéaires et ressemblent davantage à un assemblage de bribes mémorielles où tout est inversé. Les décors renvoient à cette idée, et mélangent le trivial à la sophistication, le carton-pâte aux matières nobles ; ce dans un esprit orphique souvent proche du cinéma de Cocteau. Toujours dans cette logique de métamorphose, Jeanne d’Arc devient la tortionnaire d’une jeune nymphe après l’avoir sauvée d’un arbre violeur, puis est elle-même victime d’un Dieu sardonique. La terrible guerrière fait autant figure de déesse invincible, que de mégère jalouse ou d’écorchée vive.

 

Dans l’univers de Mandico, il n’y a pas vraiment de bourreau ni de victime, pas d’acteur ni de spectateur. Il n’y a pas de vertu mais des échelles différentes de perversions. La violence semble donc au cœur de la nature ; elle concerne autant les hommes, que les demi-déesses ou encore les arbres. Le constat est terrifiant mais permet d’échapper autant à la perplexité qu’à la morale doctrinaire. Par son triptyque au nom évocateur, Mandico nous dit que ce monde étrange (à supposer qu’il existe) n’est pas gouverné par le bien, le mal, les Dieux ou encore la raison, mais tout simplement par la biologie. Et il le dit à travers des images aussi inquiétantes qu’éblouissantes.

 

 

>> NOTRE INTERVIEW AVEC BERTRAND MANDICO <<

>> NOTRE CRITIQUE DE NOTRE DAME DES HORMONES <<

 

 

  • HORMONA, programme de trois courts métrages écrit et réalisé par Bertrand Mandico en salles le 2 septembre 2015.
  • Avec : Elina LÓ§wensohn, Nathalie Richard, Katrin Olfasdottir, Eva Maloisel et la voix de Michel Piccoli.
  • Production : Emmanuel Chaumet de Ecce Films et l’œil qui ment.
  • Photographie : Pascale Granel.
  • Montage : Laure Saint-Marc.
  • Décors : Astrid Tonnelier.
  • Costumes : Sarah Topalian
  • Durée : 49 min.
  • Avec le soutien de France 2 et de Cliclic
  • Distribution : Ecce Films

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