Les Deux Amis de Louis Garrel: critique

Publié par Jérôme Nicod le 26 septembre 2015

Synopsis : Clément, figurant de cinéma, est fou amoureux de Mona, vendeuse dans une sandwicherie de la Gare du Nord. Mais Mona a un secret, qui la rend insaisissable. Quand Clément désespère d’obtenir ses faveurs, son seul et meilleur ami, Abel, vient l’aider. Ensemble, les deux amis se lancent à la conquête de Mona.

 

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Les Deux Amis - affiche

Les Deux Amis – affiche

Les Deux Amis s’ouvre avec un court travelling sur des douches, la caméra s’arrête sur la dernière. Deux murs blancs latéraux emplissent l’image, hormis la fenêtre visuelle, verticale, qui laisse apercevoir le corps d’une femme qui se lave. Sur le mur blanc de gauche, une serviette rouge, sur celui de droite une serviette noire. Entre le rouge et le noir, cette femme se lave de tout soupçon. On comprend au plan suivant que la scène se déroule dans une maison d’arrêt. Un premier plan est comme la première ligne d’un roman, il doit donner l’envie immédiate de poursuivre, Louis Garrel a gagné son pari. Cette première oeuvre repose sur les épaules du personnage de Mona (Golshifteh Farahani). On la suit à sa sortie quotidienne, elle court prendre le train pour aller travailler. Si la caméra de Garrel est parfaitement à l’aise avec les déplacements, elle l’est parfois moins avec les plans fixes et même souvent à la peine avec les plans de coupe : lorsque Mona se maquille dans le train, les angles et cadrages manquent d’harmonie. Plus tard, alors qu’elle marche en plan large dans la gare, un plan rapproché fugace de Clément (Vincent Macaigne), que l’on voit pour la première fois sans savoir qui il est, vient parasiter la fluidité de la scène. Ces maladresses ajoutent une vérité et une fragilité et, finalement des faiblesses qui sont pourtant parmi ses plus belles qualités. Le récit, coécrit par Louis Garrel et Christophe Honoré, inspiré des Caprices de Marianne d’Alfred de Musset, multiplie les jolies scènes courtes.

 

Les deux Amis de Louis Garrel

Les deux Amis de Louis Garrel

 

Le ton est léger pendant la première moitié du récit jusqu’au moment où Clément quitte temporairement la scène et qu’Abel (Louis Garrel) en profite. Le scénario ne recule pas devant l’outrance pour mettre en scène les sentiments, comme chez Truffaut. Ainsi, le maladroit Clément n’a pas de chance : alors que Mona est éprise de liberté (mais il ne l’a pas encore compris), il lui offre une cage enfermant un canari, l’effet est lourd mais cocasse. Plus tard, à l’église, l’éclairage spirituel, les gros plans sur les mains, les allusions à la vierge, sont un peu trop démonstratifs. La manifestation du sentiment de culpabilité qui s’en suit est peu exploitée, dans la mesure où Abel ne le manifeste consciemment que d’une courte manière. C’est la musique de Sarde qui se charge de l’exprimer. Les dialogues sont assez réussis par ailleurs.

 

Plus le récit avance et plus Mona est belle. Pour la filmer ainsi, Garrel est forcément amoureux d’elle, comme Hitchcock de Grace Kelly ou Sautet de Romy Schneider. À travers ses yeux, le même sentiment emplit la salle. C’est assez charmant, d’autant plus que, non seulement son personnage est le réel centre d’intérêt ici, mais Golshifteh Farahani l’incarne au sens propre. Pas une fausse note, elle est parfaite de bout en bout, subtile, forte, décidée, sensible. Elle joue à la perfection la palette des sentiments. Lorsqu’elle manque son train de retour, forcée par les deux garçons, elle hurle avec une telle vérité que notre cœur s’arrête. Lorsqu’elle improvise une danse dans un café (magnifique scène), elle nous emporte, elle achève de séduire de manière animale le pauvre Abel, qui est en pilotage automatique. Elle imprime la pellicule, prend la lumière comme une star avec une authenticité concrète, se promène sans jamais tomber sur la corde raide des sentiments. On pense à Romy Schneider dans Max et les Ferrailleurs, surtout vers la fin où les couleurs bleues apparaissent et contrastent avec le maquillage de Mona, qui n’a jamais été aussi rouge.

 

Les deux Amis de Louis Garrel

Les deux Amis de Louis Garrel

 

Parmi les autres charmes de cette comédie romantique, Vincent Macaigne incarne un personnage touchant dans sa banalité. Mais il le joue avec sur-conviction et sa voix un peu trop haute à la Jean-Pierre Léaud. Alors que l’œuvre se veut ancrée dans le réel par sa mise en scène avec un son en prise directe, son interprétation nous rappelle à chaque instant que tout cela est bien du cinéma. Le contraste est intéressant. Louis Garrel s’est écrit le moins beau rôle mais s’est réservé les plus beaux plans. Sale gosse, il n’est pas très intéressant, beau gosse la caméra s’en empare. Lorsqu’il est en détention avec son ami Clément, pour une longue scène de dialogue, les gros plans fixes sur son visage sont particulièrement travaillés. En contrechamp, le visage de Clément est banalement plat, centré au milieu du mur, particulièrement net. « La beauté, ça complique tout », formule-t-il en parlant de Mona. Dans cette scène et la manière dont Garrel se filme lui-même, on comprend que cette phrase lui appartient.

 

La musique de Philippe Sarde (notre interview) confère une dimension, rehausse les scènes et donne de la cohérence, comme si ce dernier resserrait les mailles du filet de cette première œuvre. Dommage que la musique d’une scène de groupe dans le café soit sous-mixée, ou que la reconstitution de mai 68 cède la place à une chanson et casse le crescendo émotionnel. Imparfait mais extrêmement attachant, Les deux Amis, présenté à la Semaine de la Critique au dernier Festival de Cannes, pourrait connaître un joli succès à l’international, dans la mouvance des œuvres de Richard Linklater, un retour au cinéma vérité dont le maître reste John Cassavetes. Mais il offre comme révélation une actrice exceptionnelle, Golshifteh Farahani.

 

 

 

  • LES DEUX AMIS réalisé par Louis Garrel en salles depuis le 23 septembre 2015.
  • Avec : Louis Garrel, Golshifteh Farahani,Vincent Macaigne, Mahaut Adam, Pierre Maillet, Christelle Deloze, Laurent Laffargue…
  • Scénario : Louis Garrel et Christophe Honoré, inspiré du livre Les Caprices de Marianne d’Alfred de Musset.
  • Production : Olivier Père
  • Photographie : Claire Mathon
  • Montage : Marie-Julie Maille
  • Décors : Jean Rabasse
  • Costumes : Justine Pearce
  • Musique : Philippe Sarde
  • Distribution : Ad Vitam
  • Durée : 1h42

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