Geza Rohrig dans Le Fils de Saul de Laszlo Nemes

Geza Rohrig dans Le Fils de Saul de Laszlo Nemes

Le Fils de Saul est une plongée dans l’horreur d’un camp d’extermination à travers le regard d’un membre de l’unité des Sonderkommandos, prisonniers forcés par les Nazis d’appliquer la solution finale avant d’être eux-mêmes exécutés. CineChronicle a eu l’opportunité de rencontrer le cinéaste hongrois Laszlo Nemes, lauréat du Grand Prix au 68e Festival de Cannes.

 

 

 

Laszlo Nemes / © Lenke Szilágyi

Laszlo Nemes / Photo © Lenke Szilágyi

CineChronicle: Pourquoi le choix du point de vue unique pour ce premier long métrage ?

Laszlo Nemes : Je ne voulais pas réaliser un film sur la Shoah en général, mais plutôt sur une expérience humaine, précisément cette souffrance dans un camp d’extermination. Je tenais dès le départ à exprimer le point de vue d’un seul individu dans une situation souvent représentée de manière abstraite ou mythique. On oublie souvent le vécu individuel de ce genre de situation. Ma stratégie a donc été de ramener l’épreuve du camp de la mort à travers la vision de cet homme.

 

CC: Comment vous est venue cette idée de mise en scène, toujours caméra à l’épaule, qui isole ce personnage avec en toile de fond un décor flouté ?

LN : Le cinéma a souvent la tentation de représenter et de décrire l’horreur, mais ceci ne fait que réduire finalement toute sa dimension et son impact. Le cinéma peut justement être un médium très puissant dès lors qu’il rétrécit le champ et qu’il fait confiance au spectateur pour reconstruire dans son esprit des éléments qui dépassent le visuel. Le cinéma aide à augmenter une perspective qui tend vers l’infini. En l’occurrence ici, l’infini de l’horreur. Dans ce voyage immersif, il peut ressentir l’expérience concentrationnaire. C’était ma stratégie de départ et le fondement même de ce projet.

 

Le Fils de Saul de Laszlo Nemes

Le Fils de Saul de Laszlo Nemes

CC: Était-ce important de vous démarquer d’emblée au regard de ce tout ce qui a été fait auparavant sur ce sujet, comme Le Pianiste, La Liste de Schindler ou encore La Vie est Belle ?

LN : Je voulais effectivement proposer une vision différente. Tous les films que vous citez parlent davantage de la survie que de la règle même de l’extermination, à savoir la mort. Je tenais vraiment à concevoir un récit sur cette machine funeste. Je ne voulais pas traiter des exceptions mais plutôt d’un quotidien. Ces films sont souvent des fictions qui établissent un rapport de distance entre le spectateur et ce qu’il voit, afin de le rassurer en le persuadant que l’humanité a pu survivre à cette horreur et y mettre fin. Je ne voulais pas utiliser les codes déjà établis mais immerger le public dans l’expérience concentrationnaire, qu’il lâche son intellect pour ressentir les perceptions de ce monde. Il ne trouve aucun moyen de se rassurer ici car il ignore ce qui va se passer au fur et à mesure dans le récit. Il y a une sorte de frénésie mélangée à ce principe de l’imprévisible et de la mort qui rode en permanence. Le son joue également un rôle important dans ce caractère immersif car on ne distingue pas d’où il provient. Ses origines sont souvent floues, indéterminées. Il donne à ce camp d’extermination, un aspect presque industriel. C’est comme une machine vivante, presque organique. Le crématoire est notamment comme une bête qui rugit.

 

CC : Vous vous êtes apparemment nourri du livre Des voix sous la cendre, une sorte de recueil de témoignages des Sonderkommandos…

LN : En effet, j’ai lu ces textes voici dix ans. Cette plongée dans le quotidien et au cœur de cette machine concentrationnaire, est saisissante. Pour moi, il n’y avait pas de meilleur moyen pour montrer l’horreur de l’extermination. Ces Sonderkommandos s’y trouvaient et voyaient tout. Ils étaient les porteurs du secret et surtout au plus près de l’Enfer sur Terre.

 

Le Fils de Saul de Laszlo Nemes

Le Fils de Saul de Laszlo Nemes

CC : Une révolte des Sonderkommandos se met en place mais à laquelle Saul ne prête pas vraiment attention dès lors qu’il s’engage à donner une sépulture décente à cet enfant mort. Comment expliquez vous son geste, même s’il s’agit d’un élément moteur ?

LN: Effectivement, son geste n’a aucun sens pour les autres, c’est ce que lui dit d’ailleurs un de ses camarades : « Tu as abandonné les vivants pour les morts ». Cela peut paraître absurde mais il y aussi un aspect qui l’est tout autant dans cette horreur qu’il côtoie au quotidien, en aidant à tuer des gens à la chaîne. Les seuls pour qui ce geste peut avoir un sens, c’est Saul et le spectateur. Cette action que le personnage entreprend est comme une sorte de lien invisible entre lui et le public. Je pense que dans un cadre aussi terrifiant qu’un camp de concentration, il peut y avoir plusieurs stratégies de survie. Certains préparent une révolte pour pouvoir s’échapper et d’autres ne veulent ni survivre ni résister d’une manière classique. Saul enclenche un acte de résistance qui n’a de sens que pour lui. Cela correspond pour ainsi dire à un reste d’humanité ou d’espoir lorsqu’il n’y en a plus.

 

CC : Vous avez tourné sur pellicule argentique. Etait-ce pour vous une démarche artistique importante à l’ère du numérique ?

LN : Selon moi, le numérique est une régression totale. C’est comme si on entreposait à la cave les peintures d’un musée et installait à la place des photocopies couleurs. Je ferai tout pour que les fabricants de pellicules prospèrent. Le modèle économique en place ne fait que ruiner l’expérience cinématographique du spectateur. La pellicule offre un rendu presque hypnotique. Ne jamais oublier qu’il est important de créer des films pour le cinéma et non pour leur diffusion à la télévision afin d’obtenir l’aide financière des chaînes. Je le répète à tous les étudiants de cinéma que je rencontre : la télévision est en train de tuer le cinéma. Le plus étonnant est que certaines personnes m’annoncent que l’image de mon film est incroyable. Ils me demandent même si c’est un nouveau modèle de caméra révolutionnaire alors qu’il s’agit de l’ancien format 35mm. Le monde a complètement oublié ce que la pellicule peut apporter comme émotion.

 

CC : Votre premier film a été non seulement sélectionné en compétition officielle au Festival De Cannes, mais a raflé le Grand Prix, magnifiquement remis par les frères Coen. Quels souvenirs en gardez-vous ?

LN : Ce fut un moment très fort à vivre. J’ai été réellement touché par le fait qu’il ait pu séduire le Jury, d’autant que je ne savais pas à quoi m’attendre en me retrouvant en compétition officielle dans ce grand festival. Le résultat fut réellement magique !

 

 

Nicolas Colle

 

 

>> Lire notre critique cannoise du Fils de Saul <<

 

 

  • LE FILS DE SAUL (Saul Fia) de Laszlo Nemes en salles le 4 novembre 2015.
  • Avec : Géza Röhrig, Molnar Levente, Urs Rechn, Todd Charmont, Sándor Zsótér, Marcin Czarnik, Jerzy Walczak, Uwe Lauer…
  • Scénario : Laszlo Nemes et Clara Royer
  • Production : Gábor Sipos, Gábor Rajna
  • Photographie : Mátyás Erdély
  • Montage : Matthieu Taponier
  • Décors :Rajk László
  • Costumes : Edit Szücs
  • Son : Támás Zányi
  • Musique : László Melis
  • Distribution : Ad Vitam
  • Durée : 1h47

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