Institut National dArt Dramatique de Sydney (NIDA)

Institut National dArt Dramatique de Sydney (National Institute of Dramatic Art, NIDA) / Photo hassellstudio.com

L’Institut National d’Art Dramatique de Sydney (NIDA), c’est LA fabrique de stars à l’australienne, équivalent de l’Actors Studio aux États-Unis. Cate Blanchett, Mel Gibson, Baz Luhrmann, Hugo Weaving, Sam Worthington ou encore Toni Colette, sont tous passés par cette école prestigieuse. Quel est le secret de cette formation ? Rencontre avec Kristine Landon-Smith, metteure en scène et maître de conférences à NIDA.

 

 

 

Kristine Landon Smith_Photograph by Maja Baska © NIDA 2015

Kristine Landon Smith_Photograph by Maja Baska © NIDA 2015

CineChronicle: Pouvez-vous nous raconter votre parcours ?

Kristine Landon-Smith : J’ai grandi en Australie mais j’ai fait mes études en Angleterre. J’ai d’abord été actrice de théâtre, puis j’ai eu la chance d’obtenir un prix au British Council. J’ai enseigné pendant trois mois à l’Ecole Nationale d’Art Dramatique de New Delhi et j’ai eu un déclic. Lorsque je suis revenue au Royaume-Uni, j’ai continué dans cette voie et j’ai créé ma propre compagnie, Tamasha. Je me suis fait progressivement un nom. Le NIDA m’a un jour contactée pour mettre en scène deux de leurs spectacles. Le courant est passé d’emblée et j’ai été embauchée en 2013. Ma formation internationale est particulièrement valorisée en Australie. De plus, depuis sa création en 1958, NIDA s’est inspiré du modèle de conservatoire à l’anglaise pour bâtir son propre cursus. Ce type d’enseignement s’exprime d’abord par de multiples répétitions. On ne devrait d’ailleurs pas parler de ‘répétitions’ mais de ‘re-créations’. Une fois que vous atteignez le résultat voulu, il faut comprendre comment aboutir à nouveau à ce niveau d’excellence. Vous ne pouvez pas le répéter, mais le re-créer.

 

CC: Quel est exactement votre rôle au sein de l’école ?

KL-S: Je suis aujourd’hui maître de conférences en art dramatique. Disons plus simplement que j’apprends aux élèves à jouer la comédie. Cette formation dure trois ans. J’interviens tout au long du cursus et travaille en parallèle avec les premières, deuxièmes et troisièmes années. Les après-midi, de 14 à 18 heures environ, je suis donc en salle de répétitions avec les acteurs. Le matin, je m’occupe d’ateliers qui réunissent tous les élèves de l’école. Parce que NIDA c’est aussi des techniciens, des costumiers, des scénographes, des décorateurs, des ingénieurs du son et des metteurs en scène. Tous ces métiers travaillent ensemble, sur un projet commun. Les élèves se stimulent les uns les autres et cela leur permet aussi de construire leur réseau, ce qui est essentiel dans le cinéma et le théâtre. Je m’occupe enfin d’une classe réservée à un petit nombre d’étudiants de deuxième et troisième année. Il s’agit de leur apprendre à travailler dans différents contextes sociaux. Ils vont dans des écoles ou des prisons. Ils montent des projets avec des sans abris ou des personnes souffrant de déficiences mentales. Une façon plus militante d’approcher la culture et le métier d’acteur.

 

CC: Quel est l’intérêt de ce genre d’exercice ?

KL-S: L’acteur n’est pas seulement un être passif, il fait du théâtre, au sens premier du terme. Aujourd’hui, de nombreux comédiens se retrouvent au chômage. C’est une réalité que l’on doit prendre en considération. À NIDA, nous essayons de faire en sorte que nos étudiants soient capables de créer leur propre travail et d’être indépendants. Les temps ont changé. En tant qu’acteur, on ne peut plus attendre que le téléphone sonne. Il est donc de ma responsabilité d’enseignante d’apprendre à mes élèves la dureté de ce métier. Je me dois de leur dire que les échecs et les déceptions font partie du processus d’apprentissage et plus généralement de la vie de comédien, de façon à ce qu’ils ne s’effondrent pas s’ils sont refusés pour un rôle. Et être acteur ce n’est pas seulement jouer la comédie, c’est aussi avoir une certaine intelligence émotionnelle. Lorsque l’on sert des cafés six mois par an, à défaut de pouvoir jouer, c’est déprimant. Mais si on trouve un moyen de faire ce que l’on aime de façon détournée, par exemple en enseignant, on peut tenir le coup. À partir du moment où un acteur doute de sa nature d’acteur, c’est la fin. Et à force de se demander, « suis-je comédien ou garçon de café ? », on finit par tout laisser tomber.

 

Institut National dArt Dramatique de Sydney (NIDA)

Institut National dArt Dramatique de Sydney (NIDA) / Photo hassellstudio.com

CC: Le cinéma tient-il un rôle important dans la formation à NIDA ?

KL-S: Absolument, c’est essentiel. Pour beaucoup d’écoles, le cinéma représente juste une option : on forme les élèves pour qu’ils deviennent acteur de théâtre et accessoirement, ils font un peu de cinéma. Ici à Sydney, nous intégrons la formation cinématographique au cursus dès la première année.

 

CC: Y-a-t-il des différences dans la façon de jouer au théâtre et au cinéma ?

KL-S: Ce n’est pas totalement différent mais il y a quelques nuances dans la façon d’approcher les rôles. Dans les films, votre jeu doit être très précis. Tout compte. Vous devez vous assurer que la plus petite émotion ou la plus infime réflexion se reflète sur votre visage pour que la caméra puisse les capter et les retranscrire à l’écran. Au théâtre, ce n’est pas nécessaire. Ce qui compte, c’est de rester « vivant » et d’être en symbiose avec le public. L’acteur doit écouter les spectateurs et travailler avec eux. NIDA enseigne ces deux techniques en parallèle et nous avons une excellente réputation dans le milieu cinématographique. Nos étudiants savent exactement comment se comporter sur un plateau et face à une caméra.

 

Cate Blanchett / ©‎ Philippe Prost, photographe pour CineChronicle au 68e Festival de Cannes

Cate Blanchett / ©‎ Philippe Prost, photographe pour CineChronicle au 68e Festival de Cannes

CC: Peut-on légitimement penser que NIDA est leader dans la formation d’acteurs ?

KL-S: Nous avons des concurrents bien sûr, comme la Western Australian Academy of Performing Arts à Perth, mais NIDA représente malgré tout la première école d’art dramatique du pays. Nous sommes une « marque ». D’une part, nous avons formé des comédiens prestigieux, comme Cate Blanchett, qui est sans doute notre meilleur ambassadrice. D’autre part, l’école est très sélective. Chaque année entre 1600 et 2000 acteurs auditionnent et nous n’en gardons que 24. C’est un processus minutieux au cours duquel les meilleurs finissent toujours par sortir du lot. Si vous avez le talent, vous serez forcément pris.

 

CC: Justement, le « talent » qu’est-ce que c’est au juste ?

KL-S: Le talent… c’est une chose bizarre et très subjective. C’est la capacité de s’emparer d’une idée, de la développer et de la faire sienne. C’est dans ces moments-là que vous percevez ceux ayant un vrai don d’imagination, cette qualité est essentielle. Cela ne peut pas se quantifier, mais le talent d’improvisation se repère très vite. Certains ont énormément d’humour et sont imprévisibles, uniques. D’autres s’engouffrent dans les clichés, leur jeu devient mélodramatique et pesant.

 

CC: Quelle méthode de jeu est privilégiée à NIDA ? Y-a-t-il une approche typiquement australienne ?

KL-S: Chaque professeur a sa propre méthode. Nous privilégions donc le mélange des techniques tout en essayant d’analyser comment ces approches peuvent se compléter. Il n’y a pas de technique australienne particulière ni de référence absolue en matière de jeu. Nous utilisons par exemple la technique Meisner à travers la répétition pour que les mots deviennent presque insignifiants et que l’attention se porte sur la réaction des autres comédiens. Il ne s’agit pas de faire de l’introspection mais au contraire d’être à l’écoute de ce qui est à l’extérieur de soi. Il y a aussi la technique dite « viewpoint » qui se base sur les mouvements. Il s’agit d’interroger la relation entre le sujet et l’environnement dans lequel il évolue. Ma méthode est très influencée par le travail de Philippe Gaulier ; l’acteur compte, pas le rôle. Je m’intéresse à la relation entre les comédiens et non pas à celle qui unit les personnages. Ils ne sont que des êtres de fiction. Seul l’acteur sur scène est vrai et tangible. Je veux avoir face à moi des hommes et des femmes qui ont plaisir à jouer. Il ne s’agit pas de se transformer pour incarner quelqu’un d’autre. C’est dans cette mesure que ma méthode va à l’opposé de celle de l’Actors Studio.

 

Actors Studio

Actors Studio

CC: Justement, que pensez-vous de la méthode Actors Studio ?

KL-S: Cette méthode est dépassée. Mais ce point de vue n’engage que moi. Je ne nie aucunement le fait que nombre de personnes l’utilisent et l’utilisent bien. Cela fonctionne pour eux et tant mieux, mais je ne suis pas pour. Je trouve que l’Actors Studio attache trop d’importance à l’idée de transformation de soi. Il faut s’effacer pour se fondre dans un personnage et cela peut être très perturbant pour un acteur. C’est une façon de faire qui peut avoir des conséquences psychologiques.

 

CC: Un acteur ne doit-il donc jamais faire abstraction de ce qu’il est ?

KL-S: Non, il ne faut pas ignorer le contexte culturel de l’acteur ; c’est également un élément important de mon travail. Le metteur en scène n’est pas face à une page blanche. Les comédiens ne sont pas une sorte d’entité universelle et vague. Cette vision est d’ailleurs très souvent ethnocentrique, voire européocentrique. Il faut plutôt se dire : « comment vais-je introduire sa personnalité dans le rôle ? Comment vais-je utiliser sa nationalité, sa couleur de peau ou sa culture ? ».

 

CC: Attachez-vous beaucoup d’importance à la place des minorités ?

KL-S: Oui. Les occidentaux ont trop longtemps étaient surreprésentés dans le métier. Si les mentalités évoluent, les castings interethniques restent trop rares. À mes yeux, les minorités ne seront jamais assez présentes dans les films et les pièces de théâtre. Je refuse de me poser des questions comme « est-ce qu’une personne de couleur peut jouer le rôle d’un blanc ? ». Cette interrogation n’a pas lieu d’être car nous devons compenser pour des années et des années de discrimination. Je veux aboutir à une représentation plus juste de notre société sur les planches et à l’écran.

 

David Gulpilil dans Charlies Country de Rolf de Heer (2014)

David Gulpilil dans Charlie’s Country de Rolf de Heer (2014)

CC: Quand vous dites « nous », voulez-vous dire « les Australiens » ?

KL-S: Je parle des pays où j’ai travaillé, l’Australie et le Royaume Uni. Ici par exemple, les Aborigènes sont encore sous-représentés dans les films, particulièrement dans les productions grand public. Nous devons nous interroger davantage sur leur histoire ou plutôt sur leurs histoires, au pluriel car il n’y a pas qu’un seul parcours. Il ne s’agit pas d’évoquer seulement des indigènes vivant dans la misère au sein d’une communauté reculée. Il existe des centaines de destins différents et selon moi, nous n’avons pas encore trouvé une tribune adéquate pour raconter toutes ces vies.

 

CC: Lors des castings du NIDA, portez-vous donc une attention particulière sur les personnes d’origine aborigène ?

KL-S: Je m’intéresse particulièrement aux acteurs issus des minorités et des diasporas. Je regarde toujours en marge du courant dominant. D’ailleurs, quand je le peux, je me rends à la Western Australian Academy of Performing Art car ils ont un cours de théâtre réservé aux Aborigènes et aux Indigènes du détroit de Torrès, et à l’Aborigenal Centre for the Performing Arts à Brisbane, pour inciter certains élèves à auditionner pour NIDA. Beaucoup d’entre eux veulent venir à Sydney, mais ils ont l’impression que c’est hors de leur portée ou que l’on ne prendrait même pas en considération leur candidature. Il est donc essentiel de faire un pas vers eux. J’ai monté cette année Capricornia de Xavier Herbert dont le rôle principal est tenu par une aborigène. C’est une véritable prise de position politique ici, cela n’a rien d’anodin.

 

CC: Avez-vous déjà été tentée par le cinéma ?

KL-S: Je n’ai jamais participé à une production australienne mais j’ai réalisé deux courts métrages lorsque j’étais en Angleterre. Mais je n’ai pas réussi à percer. Il est très difficile de passer du monde du théâtre à celui du cinéma. J’ai fait quelques formations et ma candidature a été sélectionnée pour certains projets, mais j’ai dû rater le coche. Je pense pourtant que mon style convient bien au cinéma ; mes mises en scènes sont sobres et assez subtiles. Je veux que les acteurs soient vrais, ce qui est le critère numéro un au cinéma.

 

Baz Luhrmann

Baz Luhrmann

CC: Que pensez-vous du cinéma australien ?

KL-S: Nous avons prouvé que nous pouvions faire d’excellents films. Nous ne cherchons pas à copier Hollywood. Ce pays fait des longs métrages qui ne pourraient se dérouler nulle part ailleurs. Ballroom Dancing de Baz Luhrmann est la quintessence de ce qu’est l’Australie, tout comme The Year My Voice Broke ou plus récemment Charlie’s Country. Nous avons aussi quelques bonnes comédies comme Muriel ou Priscilla, folle du désert. Cet humour un peu gras, très primaire, très coloré, est très « aussie ». L’Australie n’est jamais aussi drôle que lorsqu’elle se rit d’elle même. Bien sûr, nous avons nos blockbusters à l’américaine comme Mad Max ou encore Australia, mais notre réputation tient davantage à de petits films. Dans Australia, de nombreux problèmes narratifs existent. Je pense que Baz Luhrman est un réalisateur extraordinaire, mais l’histoire du petit garçon aborigène reste trop romancée. Il a pris trop de libertés avec la réalité historique. Or, au 21ème siècle, lorsque l’on aborde ce genre de sujet délicat, il faut le concevoir avec une certaine éthique et en restant proche de la réalité.

 

CC: Alors, quel conseil donneriez-vous aux jeunes acteurs qui se lancent ?

KL-S: De rester intègres et de toujours travailler pour atteindre l’excellence, et non pas le succès.

 

 

Laurianne de Casanove

 

 

 

  • Plus d’informations sur Institut National d’Art Dramatique de Sydney (NIDA)
  • https://www.nida.edu.au/
  • 215 Anzac Parade, Kensington NSW 2033, Australie
  • Tarif annuel : 12 000 dollars (10 588 euros)
  • Plus d’informations sur Kristine Landon-Smith, professeure et maître de conférence

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