Synopsis : 1572. Dans un Japon en proie à des guerres incessantes, Shingen Takeda voudrait agrandir le territoire de son clan. Mortellement blessé au cours d’une bataille, Shingen fait promettre à ses généraux de garder le secret de sa mort pendant trois ans, période durant laquelle il sera remplacé par un « Kagemusha » ou « ombre du guerrier ». Les qualités du sosie de Shingen en font un seigneur efficace et respecté, ce qui lui vaut la jalousie du prince héritier, Katsuyori. Mais le stratagème est bientôt éventé…
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Attention chef-d’œuvre ! Le splendide Kagemusha de Akira Kurosawa ressort en salles en version longue restaurée le 28 octobre prochain. Ce drame guerrier flamboyant, qui appartient au jidai-geki (fresque historique), est une œuvre puissante et poétique, aux accents shakespeariens. Il a été couronné par la Palme d’or au Festival de Cannes en 1980 (ex-aequo avec Que le Spectacle commence de Bob Fosse), le César du meilleur film étranger et deux BAFTA (meilleurs réalisateur et costumes) en 1981. Tatsuya Nakadai (Les Sept Samouraïs, Le Garde du Corps, Ran) joue à la fois le seigneur Shingen Takeda et le sosie chargé de le remplacer après sa mort sur le champ de bataille, pour préserver le prestige de sa grandeur et la stabilité de son clan durant trois années. Il est « La force de la Montagne » comme cela est exprimé symboliquement. Le « Kagemusha » (Ombre du guerrier), incarné donc par un vagabond pauvre, s’avère à la hauteur de son modèle, du moins en apparence. L’amitié naissante entre le « Kagemusha » et le jeune Takemaru, véritable successeur de Shingen, provoque le chaos au sein de la cour. Jalousies et rancœurs se font jour dans l’entourage du seigneur défunt, surtout avec Katsuyori Takeda (Kenichi Hagiwara), l’héritier bâtard de Shingen. Sur un thème universel, le cinéaste exploite plusieurs réflexions sur le pouvoir, l’ambition et l’apparence. Mais la force de Kagemusha est de mêler le fond et la forme, à l’image du cinéma de Kubrick ou de Welles où l’ensemble se répond constamment, faisant ainsi office de grammaire cinématographique remarquable.
Le propos, enrichi considérablement, offre une succession de visions fabuleuses et oniriques, comme la très belle scène de rêve et la bataille finale. L’intense partition musicale de Shinichiro Ikebe, pleine de lyrisme et aux accords parfois morriconien des westerns de Leone, ajoute à la fascination et à l’émotion. Quand on songe que ce joyau puissant et magnifique a failli ne jamais voir le jour, c’est édifiant. En effet, durant les années 70, Akira Kurosawa peinait à trouver des producteurs pour ce scénario. Désespéré de ne pouvoir montrer sa vision au public, il a conçu lui-même près de 300 dessins en couleurs. L’aide providentielle est venue de George Lucas en collaboration avec son ami Francis Ford Coppola, en bouclant le budget à hauteur de six millions de dollars, avec le soutien des studios Toho et 20th Century Fox. Ce dernier était rassuré suite au succès immense de La Guerre des Étoiles, sachant que nos droïdes légendaires furent inspirés des paysans de La Forteresse Cachée de Kurosawa, de l’aveu de George Lucas. À l’écran, la dimension picturale prend son sens ; les illustrations du cinéaste japonais habitent les plans comme autant de tableaux sublimes au sein d’un musée. les teintes y tiennent un rôle essentiel jusque dans les costumes des soldats ; chaque ton rouge, vert et bleu exprime le feu, la forêt et le vent. C’est en outre le premier film tourné en couleurs par le cinéaste.
Dans cette version longue restaurée de vingt minutes supplémentaires, le montage de trois heures ajoute ainsi six scènes, transformant l’intrigue de manière plus complexe, voire même plus alambiquée. La narration semble étirée et surtout moins compréhensible pour la culture occidentale, en témoigne la très longue séquence sans dialogue de théâtre japonais (nô). Si le rythme devient également plus lent et répétitif, certains passages, autrefois coupés, sont particulièrement grandioses comme celui du château enneigé de Kenshin Uesugi (Eiichi Kanakubo), le seigneur rival de Shingen. Enfin, la bataille finale apparaît dans toute sa splendeur visuelle, funèbre et tragique. On peut donc apprécier cette version longue comme la plus aboutie de Kagemusha en respect à la vision initiale de son réalisateur. Cette œuvre miraculée de Akira Kurosawa avait été très bien accueillie par les critiques et le public à l’époque de sa sortie. L’occasion aujourd’hui de tenter de renouveler cette prouesse, d’autant que la restauration numérique est tout simplement superbe.
- Ressortie de KAGEMUSHA – L’ombre du Guerrier réalisé par Akira Kurosawa en salles le 28 octobre 2015 en version longue numérique restaurée.
- Avec : Tatsuya Nakadai, Tsutomu Yamazaki, Kenichi Hagiwara, Jinpagi Nezu, Hideji Otaki, Daisuke Ryu, Masayuki Yui, Kaori Momoi, Mitsuko Baisho, Hideo Murota…
- Scénario : Akira Kurosawa, Masato Ide
- Production : Akira Kurosawa,
- Production exécutive : Francis Ford Coppola, George Lucas, Tomoyuki Tanaka, Akira Kurosawa
- Photographie : Takao Saitô, Shoji Ueda
- Montage : Akira Kurosawa, Yoshihiro Iwatani
- Direction Artistique : Yoshiro Muraki
- Costumes : Seiichiro Hagakusawa
- Musique : Shinichiro Ikebe
- Distribution : Splendor Films
- Durée : 2h59
- Date de sortie : 1er octobre 1980
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