Ressortie/ Cris et Chuchotements de Ingmar Bergman : critique

Publié par Charles Villalon le 20 décembre 2016

Synopsis : Quatre femmes sont réunies dans une grande et belle demeure suédoise. Karin et Maria se relaient au chevet de leur soeur Agnes, atteinte d’un cancer incurable. Sa servante Anna, qui entretient avec sa maîtresse une relation privilégiée, tente elle aussi d’apaiser les souffrances de la malade. La proximité qui s’est installée entre les femmes fait ressurgir en chacune d’elles de vieux souvenirs…

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Cris et chuchotements de Ingmar Bergman - affiche

Cris et chuchotements de Ingmar Bergman – affiche

Chef-d’œuvre unanimement célébré d’Ingmar Bergman, Cris et Chuchotements, lauréat de l’Oscar de la meilleure photographie sur cinq nominations, ressort en salles ce 21 décembre pour la première fois en version restaurée 2K, distribué par Carlotta Films. À noter qu’une rétrospective du cinéaste est également programmée sur les écrans dès le 4 janvier prochain. Dans ce récit, on y suit l’agonie d’Agnès dans son manoir familial, entourée de ses deux sœurs, Maria et Karin, ainsi que de sa servante Anna. L’occasion pour Bergman de faire le portrait de quatre femmes, leurs rapports différents à un même monde, à une même solitude. Agnès (Harriet Andersson, bouleversante), à l’article de la mort, se penche sur ses souvenirs. C’est une femme pieuse chez qui la douleur n’a pas éteint la gratitude. Chez Maria (Liv Ullmann), la jeune sœur sensuelle et pateline, les élans altruistes peinent à supplanter l’égoïsme. Karin (Ingrid Thulin) est une femme dure et aigrie, dont le silence résigné a fini par tourner à la haine la plus glaciale. Anna (Kari Sylwan), la servante dévouée, met quant à elle toute sa compassion à soulager la malade. Si un certain nombre des derniers Bergman ont un caractère nettement théâtral (Sonate d’automne, Après la répétition), c’est du côté de la peinture que celui-ci lorgne plus volontiers. Devant beaucoup à sa collaboration avec Sven Nykvist – son directeur de la photographie attitré, qui a éclairé le film uniquement en lumière naturelle – et Marik Vos, qui a travaillé sur les décors et les costumes, cette approche picturale de la mise en scène saute aux yeux dès les premiers plans. D’abord par la stupéfiante utilisation de la couleur, en premier lieu ce rouge vif et profond qui est la toile de fond du film, la « couleur de l’âme » comme l’a confié plus tard le réalisateur. Sur cet arrière-plan carmin se détache nettement la blancheur des draps et des toilettes, la noirceur des tenues de Karin, dans une trichromie saisissante.

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Cris et Chuchotements

Cris et Chuchotements

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L’aspect pictural de Cris et Chuchotements tient aussi à sa mise en scène remarquable qui, par son cadrage précis, cherche moins à recomposer un espace qu’à produire une succession d’impressions, de tableaux. De la même façon, la trame, qui se découpe en scènes semi-indépendantes séparées les unes des autres par un fondu au rouge, semble plus près du portrait que de la narration. À cet égard, on a moins à faire à des épisodes qu’à ce que l’on nommerait en peinture, des détails. Chaque segment précise les points d’ombre et de lumière de chaque personnage, comme on s’attarderait sur telle figure d’une peinture. L’arrière-plan psychologique, quant à lui, est de ceux dont Bergman est coutumier. Le réalisateur suédois a grandi sous la férule d’un père pasteur dont la volonté d’être un exemple moral pour sa communauté l’a amené à être d’une rigueur étouffante avec sa famille. Le cinéaste s’est d’ailleurs inspiré de cette expérience pour réaliser le splendide Fanny et Alexandre, sans doute son plus grand chef-d’œuvre. Ici aussi, on sent immédiatement cette chape de puritanisme protestant peser sur la maisonnée, apportant à certains la grâce, aux autres d’indicibles tourments. Cette influence contraint les âmes et inhibe les élans, laissant chacun à l’abandon dans une prison isolée, habitée tantôt par la foi, tantôt par la terreur.

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Cris et Chuchotements

Cris et Chuchotements

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Dans ce nid de douleurs et de solitudes, le contact entre les corps apparaît comme la seule voie du salut, le seul rapprochement possible entre des êtres que tout sépare et qui sont incapables de se parler. Quand Anna se précipite au chevet d’Agnès, en proie à la plus grande souffrance, elle se dénude, pour caresser la malade de son corps sain. Ce geste n’est pas sans évoquer celui de Saint-Julien l’Hospitalier, tel que le raconte Flaubert, qui s’allonge auprès d’un lépreux et gagne ainsi sa place aux cieux. La dimension religieuse des moindres gestes du quotidien n’est en toute logique jamais loin dans Cris et chuchotements, et la douceur pleine de dévotion d’Anna dans cette scène lui confère une aura mariale. À l’inverse, Karin, qui entretient un rapport conflictuel au corps – conflit qui va, à l’occasion d’une scène terrible, jusqu’à l’auto-mutilation – ne supporte pas d’être touchée. Lorsque Maria essaie de percer son armure, Karin résiste à tout prix, répétant à plusieurs reprises un « Ne me touche pas » résolu, évoquant le « Noli me rangere » christique. Et quand enfin les deux sœurs survivantes passent ensemble un moment d’intimité, Bergman substitue à leur paroles de la musique. Nous faisant ainsi sentir que la communication entre les êtres ne passent pas par les mots que l’on prononce mais par les caresses que l’on échange.

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Cris et Chuchotements

Cris et Chuchotements

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Le commerce des corps est aussi ce qui sort les deux sœurs de leurs préoccupations égoïstes lorsqu’elles soignent Agnès dans son dernier moment de quiétude avant le trépas. Traitant tendrement ce corps souffrant, diminué, elles connaissent toutes trois un dernier moment de grâce qui laisse à penser que tout n’a pas toujours été entre elles si douloureusement inextricable. C’est d’ailleurs sur une telle note, étonnement heureuse, que Bergman conclut son film. Une fois Agnès décédée, il reste à régler le sort de l’héritage, du manoir familial et de la bonne, Agnès. On propose toutefois à celle-ci, après l’avoir congédiée sans le moindre égard, d’emporter un objet ayant appartenu à la défunte. Elle refuse, mais dérobe son journal intime. Parcourant ces mémoires, elle revit dans le secret de son cœur une après-midi que nos quatre protagonistes ont passé ensemble quelques mois auparavant. La tonalité picturale change alors subitement. Dans une nature aux couleurs automnales, les quatre femmes, habillées de blanc, se promènent doucement dans le parc. Arrivées à la balancelle de leur enfance, les trois sœurs s’installent en silence, tandis qu’Anna les berce lentement. En voix-off, le souvenir d’Agnès nous raconte la possibilité d’une adhésion au monde, dans l’apaisement momentanée des déchirements de l’âme et des tiraillements de la chair.

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Charles Villalon

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  • Ressortie de CRIS ET CHUCHOTEMENTS (Viskningar och rop) écrit et réalisé par Ingmar Bergman en salles en version restaurée le 21 décembre 2016.
  • Avec : Liv Ullmann, Harriet Andersson, Ingrid Thulin, Kari Sylwan, Erland Josephson
  • Production : Ingmar Bergman et Lars-Owe Carlberg
  • Photographie : Sven Nykvist
  • Montage : Siv Kanalv-Lundgren
  • Décors et Costumes: Marik Vos
  • Musique : Frédéric Chopin et Jean-Sebastien Bach (pas de musique originale)
  • Distribution : Carlotta
  • Durée : 1h31
  • Sortie initiale : 1972

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