Résumé : Le cinéma de Visconti a trop souvent été lu sous le prisme d’un classicisme décadentiste ayant succédé à ses films néoréalistes. Cet essai entend contester cette approche et réinterroger les créations du Visconti sous l’angle du motif du « trop tard », en abordant deux œuvres en particulier, Les Damnés et le scénario Proust resté à l’état de fantôme. L’analyse des paradoxes et tensions de l’esthétique viscontienne, de la fonction qu’il impartit au cinéma mettra au jour sa problématique de l’Histoire, sa métaphysique de la mort et les promesses que recèle tout crépuscule.
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De Luchino Visconti, on se rappelle surtout l’image d’un réalisateur esthète, passé de la forme grisée et socialisante du néoréalisme (Ossessione, La Terre tremble) à la description d’une aristocratie perçue comme une caste déclinante (Le Guépard), sinon décadente (Ludwig). Ce passage, le plus souvent considéré comme un point de bascule, est évoqué par Véronique Bergen comme un prolongement porteur de nombreuses continuités. La preuve se trouve à l’intérieur des films dont l’auteure étudie les caractères à travers de courts chapitres synthétiques. Pas de rupture donc chez le cinéaste italien, mais la production d’une œuvre pleine et entière qui dépasse d’ailleurs le seul cadre du cinéma pour toucher aux arts de la scène, qu’il s’agisse du théâtre ou de l’opéra. L’écriture de Bergen, tenant tout à la fois de la poésie, du roman et de la philosophie, évite habilement l’écueil du découpage chronologique pour orienter l’analyse monographique vers la question du sensible. L’étude des images se rapporte sans cesse à l’expérience du spectateur. C’est un plan, un geste, une atmosphère qui ravive la mémoire du cinéphile, invitant à de nombreux prolongements. Si elle touche volontiers à l’esthétique, l’étude n’oublie pas le référencement biographique, allant jusqu’à interroger l’iconographie du blason de la famille Visconti pour en percevoir les possibles échos formels et symboliques à l’intérieur d’une filmographie perçue comme une force unitaire.
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Se positionnant ouvertement sous l’égide de Gilles Deleuze, l’auteure convoque les notions de pensées, de temporalités, ou de crise(s), mais en renouvelle l’approche par un développement approfondi de leurs concepts associés. Ainsi de la relativité que l’on retrouve à travers les questions du « trop tôt » et du « trop tard » permettant à Bergen d’évoquer sans détour les rapports de Visconti et de l’Histoire. Ailleurs, ce sera un motif (le feu) ou une catégorisation (classicisme et modernité) qui invite à une exploration des thématiques viscontiennes.
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Décrit comme une « synthèse déséquilibrée, fêlée » de tous les autres arts, le cinéma de Visconti en appelle naturellement aux comparaisons multiples. Shakespeare, Wagner, Leibniz, ou encore Pasolini, Véronique Bergen décrit une œuvre travaillée par un réseau d’influences particulièrement érudites et stimulantes. Mais à travers elles, c’est bien le spectre de Marcel Proust qui vient hanter les pages de l’étude. Bergen analyse donc la fascination exercée par l’œuvre du romancier français sur le réalisateur italien, avant de revenir en détail sur l’adaptation avortée de La Recherche du temps perdu. Où quand l’absence « occupe une présence dont l’impact est d’autant plus fort qu’il est en creux », pour reprendre les (beaux) mots de l’auteure. Le lecteur sort de ces Promesses du crépuscule intellectuellement revigoré. S’offrant comme un partage de connaissances, l’ouvrage incite à (re)découvrir une œuvre qui n’a, décidément, pas fini de nous surprendre.
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- LUCHINO VISCONTI. LES PROMESSES DU CRÉPUSCULES par Véronique Bergen disponible aux éditions Les Impressions Nouvelles depuis mai 2017.
- 224 pages
- 17€