Musique / L’Apparition : critique

Publié par Jérôme Nicod le 20 février 2018

Résumé : Alors que le personnage joué par Vincent Lindon cherche la vérité dans la foi, Xavier Giannoli nous laisse entendre une partition composite qui s’amuse à semer le doute, avant d’accompagner le héros, et les spectateurs, vers sa révélation. La musique à l’image est porteuse de sens et chacun des quatre compositeurs (Arvo Pärt, Georges Delerue, Claudio Monteverdi et Jóhann Jóhannsson), à leur insu, apportent leur contribution.

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LApparition - affiche

L’Apparition – affiche

Xavier Giannoli a rejoint le club des cinéastes qui veulent absolument maîtriser la couche musicale émotionnelle de leurs oeuvres, en utilisant des compositions existantes au détriment de partitions créées pour l’image. Parmi ses prestigieux prédécesseurs, on peut citer Luchino Visconti, Stanley Kubrick ou, plus moderne, Quentin Tarantino. Les relations entre Giannoli et la musique à l’image sont depuis le début ambivalentes : il utilisait déjà beaucoup de chansons existantes pour véhiculer l’émotion (Quand j’étais Chanteur, Marguerite), il a désormais sauté le pas. Au-delà de la réussite artistique, la question demeure pour tous ceux qui s’aventurent sur ce chemin : n’y avait-il vraiment aucun compositeur moderne pour créer une oeuvre originale ? Le film s’ouvre en mode ultra-réaliste, une déflagration, un mort, une blessure, un deuil… La musique dépose une couche funèbre sur les images, sans mélodie véritable. Cette strie va accompagner les premières scènes de Jacques (Vincent Lindon), qui souffre d’acouphènes dans l’oreille droite. La pression sonore dans son crâne est illustrée musicalement à l’écran. Si l’on devait résumer le rôle de chaque compositeur, Monteverdi représente la foi (et la dévotion), Pärt le processus de l’enquête canonique et son potentiel mystique, Jóhannsson le chaos (médiatique, religieux, et intime – Pour Jacques et Anna) et Delerue la synthèse, la réponse aux questions. Le personnage de Lindon compose avec ces quatre dimensions, qui illustrent ses ressentis tout au long de l’histoire et gardent le focus sur son personnage. Lindon n’est pas véritablement croyant et le scénario ne nous invitera pas à la foi. Giannoli n’est pas Bresson, ce n’est pas cette vérité qu’il recherche. Il veut mettre en lumière la potentielle imposture autour d’une apparition. Le thème de l’imposture est constant dans la filmographie de Giannoli : Depardieu en crooner de baltringue (Quand j’étais Chanteur), Cluzet en chef de chantier fantôme (À l’origine), Catherine Frot (Marguerite) en diva de pacotille… Ici, l’imposture prend une forme collective autour de la foi et la musique va elle-même jouer un rôle majeur.

 

Vincent Lindon - LApparition

Vincent Lindon – L’Apparition

 

La mélodie, ou plutôt le rythme musical, intervient très vite, mais de manière fugace, lorsque Lindon reçoit un mystérieux appel téléphonique et recherche sur Google la biographie de son interlocuteur présumé. Retour à la vie après la souffrance, son coeur bat à nouveau. Le long-métrage est découpé en six parties, intertitrées à l’écran. Les choix musicaux et les quatre compositeurs convoqués trouvent chacun leur place dans cette évolution. Le premier tiers du film est musicalement très fort, au sens où il dérange. Les chants, choeurs et hymnes triomphants de Claudio Monteverdi surenchérissent l’aspect religieux des scènes. Ils créent une perturbation qui rend plus délicate l’immersion du spectateur dans l’histoire. Il faut laisser le temps agir pour comprendre le choix avisé du cinéaste de proposer une musique qui rend difficile l’accès au réel. Le Barnum religieux exalté autour de Lindon l’empêche lui aussi de voir clairement les faits, il lui faudra du temps pour pénétrer à l’intérieur, via l’intimité de sa relation avec Anna, portée par la grâce.

 

Dans le second tiers, l’enquête canonique, on entendra davantage le génial Arvo Pärt, magnifique choix, avec de multiples fragments de Fratres pour cordes et percussions même si celui-ci est présent tout au long de l’histoire. L’intime et le double doute (Lindon doute des faits et commence à douter de son agnosticisme) va s’installer par la présence, répétée, de Jóhann Jóhannsson avec un morceau particulièrement approprié, A Deal with Chaos, tiré de son album Orphée. On l’entend pour la première fois lorsque Anna s’échappe de sa chambre pour rejoindre un ami dans un centre commercial. Elle veut garder secrète sa relation, et le morceau de Jóhannsson, qui n’a aucune connotation religieuse, ni mystique, correspond à la vérité d’Anna. Le morceau est magistral et contient autant de silences que de notes. Car parmi les temps forts de L’Apparition, il y a aussi les silences. Une scène est prodigieuse : l’interrogatoire d’Anna par la commission d’enquête canonique. Un interminable plan fixe, sur le fragile visage d’Anna, Lindon et les questions en voix-off. La quête de vérité, la recherche de la lumière, se fait en silence. De la même manière qu’il le fait avec la musique, Giannoli joue avec le cadre et leur profondeur. Quel personnage est au premier plan, au second ou au troisième ? La mise en scène utilise l’ensemble des outils de manipulation pour embarquer le spectateur dans son histoire.

 

Vincent Lindon et Galatea Bellugi - LApparition

Vincent Lindon et Galatea Bellugi – L’Apparition

 

Le dernier tiers, enfin, contient une révélation (multiformes), qui prendra corps à l’aide de Georges Delerue, avec le morceau Stellaire (extrait du documentaire Tours du monde, Tours du ciel, 1987). « Il y a aussi un thème de Georges Delerue auquel je tiens beaucoup » a expliqué Giannoli « C’est une musique qu’il avait composée dans les années 80 pour une série documentaire sur l’astrophysique à la télévision. Je me souviens que des très grands scientifiques qui avaient passé leur vie à étudier l’univers finissaient par se poser la question de l’existence de Dieu ». D’une certaine manière, la partition de Delerue est décrite à l’écran, par une sublime phrase prononcée par Lindon, reporter cartésien : « Les âmes ont leur monde; Je ne savais rien de ce monde ». On voit alors à l’écran Anna, dans le coma à ce moment de l’histoire, littéralement monter au ciel, son corps flottant à l’extrémité d’un câble d’hélicoptère. C’est un des moments magiques de ce film intelligent et subtil, qui au passage fait revenir Jóhann Jóhannsson à l’écran, une semaine après sa disparition. Une véritable apparition.

 

 

 

  • L’APPARITION
  • Réalisateur : Xavier Giannoli
  • Musique de Film / Original Motion Picture Soundtrack
  • Compositeurs : Arvo Pärt, Georges Delerue, Claudio Monteverdi et Jóhann Johannsson
  • Pas de parution d’album annoncée

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