Interview de Jim Cummings, le réalisateur de Thunder Road

Publié par Camille Carlier le 10 septembre 2018
Jim Cummings - Thunder Road

Jim Cummings – Thunder Road

Nous avons rencontré Jim Cummings quelques heures seulement avant son départ pour le Festival du Cinéma Américain de Deauville où son premier film, Thunder Road, y a reçu le Grand Prix du Jury.

 

 

 

Thunder Road - affiche

Thunder Road – affiche

Ce premier long-métrage est tiré d’un précédent court éponyme du réalisateur, lauréat du Grand Prix du Jury au Sundance de 2016. Originaire de la Nouvelle-Orléans, cet amoureux du plan-séquence a également fait parler de lui au Très Court Festival de cette année. It’s All Right, It’s ok, une arrestation coup de poing en trois minutes d’un homme qui tente de sauver une fillette noyée avant d’être embarqué, s’était vu distingué du Grand Prix. Très engagé dans la promotion d’un cinéma indépendant pétri d’histoires fortes, Jim Cummings signe ici un film qui convoque toutes les thématiques déjà amorcées dans ses courts métrages. 

 

 

CineChronicle : Thunder Road est votre premier long-métrage après la réalisation d’une dizaine de courts. Pourquoi avoir choisi de développer ce scénario en particulier ?

Jim Cummings : J’ai l’impression que ce scénario est très important pour la culture américaine actuelle. Il y résonne beaucoup de tristesse en restant drôle. En Amérique, il y des hommes très forts et virils qui agissent de manière agressive. Un comportement qui embarrasserait probablement leur propre mère ou leur soeur. De plus, j’avais envie de parler d’un texan qui se retrouve presque émasculé, qui perd l’esprit et finit humilié pour d’une certaine manière, convaincre les machos dont je parle de ne plus agir ainsi.


CC : Vous avez choisi le plan-séquence du court-métrage comme scène d’ouverture pour le long en la tournant de nouveau. En quoi est-elle différente ? 

JM : Seulement quelques éléments ont été changés. Des petites choses qui n’auraient pas fonctionné du court au long. Premièrement dans le film, il n’y a plus la chanson Thunder Road de Bruce Springsteen. Dans le court, comme je chante et danse, je ne peux pas décrire ce dont parle la chanson. Alors que dans le long, comme le poste ne fonctionne pas, je suis obligé d’expliquer ce qui rend cette chanson si particulière ; l’histoire d’un homme qui convainc sa copine de quitter leur petite ville pour vivre la grande vie. Et c’est finalement ce qui arrive à la fin de Thunder Road. C’est une clé de compréhension pour apprécier la fin comme il se doit. Nous avons tourné la scène avec la musique, puis sans. Ce n’est qu’au montage que j’ai soumis l’idée de ne pas l’utiliser et mon producteur était très content ! Ensuite, quelques lignes du monologue ont évolué. Quand je dis “Je ne voulais pas être méchant envers ma mère. Je ne l’ai jamais souhaité. John Wayne” et que j’utilise “John Wayne” comme excuse. Les Texans l’utilisent comme verbe de manière virile et c’est quelque chose que je n’avais jamais entendu avant d’aller là-bas. J’ai pensé qu’il fallait que ce soit dans le film.

 

Jim Cummings - Thunder Road

Jim Cummings – Thunder Road


CC : Pour réussir à pleurer autant, vous avez déclaré avoir recours à une photo des princes Harry et William à l’enterrement de leur mère. La méthode empirique est-elle une façon de travailler votre jeu ?

JM : Oui exactement. Je n’ai jamais pris de cours de théâtre alors je dois me référer à mon système biologique et au mécanisme des larmes en pensant à ce qui me fait pleurer. J’ai une longue liste de choses, des scènes de films, des photos, des musiques que je consultais avant de jouer une scène. Mais dans le processus d’écriture, je prends vraiment cela en considération. Si j’écris une ligne et qu’elle commence à me faire pleurer, je me dis que c’est exactement ce vers quoi je dois aller. C’est le même processus que pour le rire. Parfois c’est accidentel. Si j’écris quelque chose que je ressens comme drôle ou tragique, je sais que cela marchera en plateau au moment de le jouer.

 

CC : Le film traite de la fragilité masculine. Pensez-vous que c’est un sujet qui manque de visibilité ?

JM : Oui, surtout en Amérique. Il y a cette image d’homme fort qui joue au football comme si c’était une religion. C’est un sujet sur lequel on ne peut pas rire du tout où on finit brutalisé. C’était pour moi une opportunité de faire quelque chose avec ce type de mec. Pas seulement pour attaquer l’autorité mais aussi pour que cette communauté se reconnaisse et arrête d’agir ainsi. C’était une façon de briser un tabou.

 

CC : Est-ce pour cela que votre personnage principal est un policier ?

JM : Effectivement. Aux États-Unis, depuis de nombreux mois les violences policières occupent le débat. Vous ne pouvez pas vous rendre sur les réseaux sociaux sans lire ou voir quelque chose sur les meurtres d’innocentes personnes. Des mouvements ont émergé tandis que les démocrates et conservateurs s’opposent dans le soutien aux forces de l’ordre. Je voulais que Jim soit policier car l’idée est amusante en plus d’être une sorte de conversation de paix. Finalement, ce que je voulais, c’était faire une vidéo d’un policier qui danse et que ça devienne viral. Rendre un mec en uniforme ridicule et en même temps très humain.


CC : Le film est drôle et tragique. Les bons drames sont souvent des comédies. Est-ce votre manière de raconter une histoire ?

JM : Oui, je m’interroge d’abord sur ce qui fait une bonne histoire et j’y injecte ensuite de la comédie ou j’écris un personnage très drôle. Je suis un grand fan de Charlie Chaplin car il a une habilité incroyable à doser cela, surtout dans Le Dictateur. Lorsqu’il danse avec le globe et qu’on pense qu’il va détruire la planète, c’est encore très actuel. C’est ce que j’ai tenté de faire, en dire beaucoup sur les figures d’autorité et les émasculer. Mon personnage semble tout à fait normal et sérieux mais il termine entièrement nu devant un poste de police. Sous l’uniforme, il y a un humain déprimé qui est en charge de protéger la population.

 

Jim Cummings - Thunder Road

Jim Cummings – Thunder Road


CC : Il y a quelque chose de Truman Show dans votre travail. L’idée qu’un jour on décide de briser la monotonie et de s’interroger pour passer de spectateur à acteur…

JM : C’est intéressant. J’aime effectivement l’idée de ne plus être spectateur de sa vie car c’est le problème des petites villes. Et c’est ce qui est si appréciable chez Bruce Springsteen et c’est tout le propos de Thunder Road. Sortir de l’impasse qu’est la routine, faire son sac et partir.


CC : Vos dialogues ont une patte. Volontairement brouillons, au rythme naturel comme dans une conversation que n’importe qui pourrait avoir. Comment construisez-vous cela ?

JM : De la même manière que nous parlons maintenant. En écoutant, en parlant. Au départ, j’ai l’idée d’une scène, j’ai sa colonne vertébrale mais je me lève ensuite pour la jouer. Je dois jouer mille fois avant d’en trouver les bons dialogues. Mais le travail est avant tout oral.

 

CC : Laissez-vous la place à l’improvisation ?

JM : Lors de l’écriture oui, mais sur le plateau jamais. Ce sont de longues prises, donc nous devons savoir exactement où l’on va, ne serait-ce que pour savoir où positionner la caméra. Tout est planifié.

 

CC : Le plan-séquence semble être votre marque de fabrique…Qu’est-ce qui vous plaît tant dedans ?

JM : L’expérience. Vous êtes vraiment dans la scène, c’est très immersif. De ce que je sais, il est plus facile de camoufler des erreurs de tournage au montage, mais sur un plan-séquence, c’est impossible. Donc c’est également une performance. Je ne l’ai pas fait seulement pour impressionner le public mais pour leur faire sentir quelque chose.

 

CC : Avez-vous des influences ?

JM : J’aime beaucoup le travail d’Alfonso Cuaron dans Le fils de l’Homme. Je suis allé le voir au cinéma sans rien savoir du film. À la fin, je suis ressorti pour acheter un autre ticket et le voir de nouveau. Vous avez tellement d’empathie pour les personnages. C’est aussi une tragédie sur la fin du monde qui reste drôle. J’ai vraiment découvert le potentiel de ce qu’on pouvait faire au niveau filmique et j’ai probablement commencé à faire des films pour cette raison.

 

CC : It’s all right It’s Ok, Thunder Road, The Mountain of Mourne. Vos court-métrages semblent conduits par la musique. Quelle est votre relation avec celle-ci ?

JM : Elle m’aide à me mettre des images en tête. Pour Thunder Road, j’ai écouté encore et encore l’album Nebraska de Springsteen. Cela parle de l’Amérique et vous pouvez en voir beaucoup d’éléments dans mon film. It’s All Right, It’s Ok, plus particulièrement, est une sorte de blague sur les classiques de la chanson. Je trouve drôle que ces chansons soient interprétées par mes personnages. En Amérique, lorsque vous réalisez un massage cardiaque, on vous explique que le rythme à maintenir est celui de la chanson des Bee Gees. Donc toutes les personnes qui apprennent cela doivent chanter Staying Alive. C’est très commun en Amérique, ce qui l’est moins, c’est le contexte. Cet homme qui tente de sauver une petite fille en essayant de se rappeler les paroles d’une chanson des années 1970 avant de se faire arrêter… Le court-métrage est arrivé après Thunder Road, donc j’ai pensé en faire une version plus courte de 3 minutes, It’s All Right, It’s Ok.

 

CC : Quels sont vos projets ?

JM : Je travaille actuellement sur un plus petit film dans un seul et même lieu. Un peu comme les endroits où mes courts ont été filmés. Mais je développe également une série qui raconte l’histoire d’astronautes qui reviennent de la Lune et doivent réintégrer la société en rentrant en Floride et au Texas. Ils sont très tristes et dépressifs. C’est un phénomène qui s’appelle l’Overview Effect. Ils ont vu notre planète du ciel mais ils rentrent et doivent reprendre leur vie où elle en était. Et c’est assez dingue que ni la NASA ni les programmes spatiaux n’en parlent. Mes personnages deviennent alcooliques au point d’en avoir des accidents et de tuer des gens à cause de leur crise existentielle. C’est une sorte de post-traumatisme. Je souhaite vraiment travailler dessus pour les deux prochaines années. Je trouve qu’il y a matière pour une belle comédie poignante. On peut avoir vu la Lune et rester malheureux.

 

>> Lire notre critique du film <<

 

 

 

THUNDER ROAD écrit, réalisé et interprété par Jim Cummings. Dans les salles le 12 septembre 2018, distribué Paname Distribution.

 

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Source: CBO Box office

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