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[Copyright©ND – archive web fev 2010] Primé à la 82ème cérémonie des Oscars, à la Semaine de la Critique au 62ème Festival de Cannes, à Lille, à Cinanima au Portugal, à Clermont-Ferrand… et sélectionné à Sundance, Logorama est une petite révolution. Donner vie à 2500 logos qui se confrontent dans un scénario catastrophe de 17 minutes, sans demander l’avis aux marques, il fallait le faire. Hervé de Crécy, François Alaux et Ludovic Houplain l’ont fait dans leur premier court-métrage d’animation ! Rencontre avec les créateurs.

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Bandeau Logorama

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Au delà de son concept subversif et de ce qu’il symbolise, l’intérêt de Logorama se porte également sur l’émergence de nouveaux talents, venus d’univers autres que le cinéma ou la télévision. Une volonté de créer des histoires se dessine de plus en plus du côté des graphistes/illustrateurs et des dessinateurs de BD (Les beaux gosses de Riad Sattouf, Gainsbourg, vie héroïque de Joann Sfar). Ils apportent avec eux une nouvelle façon d’appréhender l’écriture scénaristique.

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Ludovic Houplain, Hervé de Crécy et François Alaux (diplômés ESAG Penninghen) du collectif H5 développent des concepts visuels et des logos pour des publicités et des vidéo-clips. Les plus populaires : The Child d’Alex Gopher, où chaque élément est représenté par sa typo et son mot approprié, et Remind Me de Royksöpp, montrant une femme à Londres à travers des pictos. Tous deux annoncent les prémices de ce qu’est Logorama : un film pop art, acidulé, surfant sur une tendance cinématographique actuelle, le film d’action catastrophe, avec des logos très colorés et où les personnages sont totalement pervertis. Les cinéphiles peuvent reconnaître de nombreux films dont L’Arme Fatale, Die Hard, Batman, Superman, James Bond, Ghostbusters, Invasion Los Angeles

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Aujourd’hui, Hervé de Crécy et François Alaux ont quitté le collectif H5 et développent actuellement un projet de moyen-métrage.

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Le synopsis

Course-poursuite effrénée dans la ville de Los Angeles. Deux flics (Michelin) prennent en chasse un gangster (Ronald McDonald) qui prend en otage deux enfants (Haribo et Big Boy) et menace de leur faire sauter la tête avec sa mitraillette (sigle de la Fraction Armée rouge). Le bain de sang est interrompu par un séisme qui fout la ville par terre, et notamment le zoo, d’où s’échappent le lion de MGM, le crocodile Lacoste, le panda WWF et bien d’autres…

 

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Concept et langage cinématographique

Logorama est avant tout un manifeste revendiquant le droit de raconter une histoire avec des logos. Sans cette audace, ce mini chef d’œuvre n’aurait jamais vu le jour.

 

 

 

 

Ludovic Houplain : C’est surtout un droit de réponse aux marques, car aux États-Unis, chaque logo placé dans un film doit avoir une autorisation préalable et leur placement engendre de nombreuses contraintes. Nous avons fait un film interdit que les américains ne se permettent pas. De cette manière, il devient un ovni à Hollywood. En France, nous avons la liberté d’expression. Et notre but est que ce film soit vu et devienne en quelque sorte « libre de droit ». Qu’il soit sur internet en HD pour tout le monde, je suis ravi.

Hervé de Crécy : Le langage cinématographique faisait partie de notre trame elle-même. On voulait un film iconique et logotypé, une caricature des films américains avec de grosses ficelles. C’est notre principe de diversion des logos. L’histoire décrit la société de consommation et les États-Unis sont l’exemple parfait. Ils ont eux-mêmes établi des règles de base sur la consommation. Los Angeles est une ville linéaire, façonnée par les marques, où il n’existe aucune norme architecturale. Les rues sont comme des grilles que nous avons matérialisées au sol avec Burberry. Par ce biais, nous voulions opposer également l’idée de détruire cette ville, ordonnée et structurée, par un cataclysme où tout va se mélanger. C’est ainsi qu’on peut voir la tête des Chicago bulls sur le corps de Michelin. Hommage à Tintin dans les 7 boules de cristal.

François Alaux : Ce film n’est pas américain, mais la plupart des marques dans le monde sont américaines et on ne peut rien y faire. Le logo français est en pleine décadence et pour compenser avec la culture anglo-saxonne du logo, nous avons pris ceux qui ont une force énorme par leur forme. Logorama, c’est confronter des forces : comment faire fonctionner tous ces logos, qui sont par définition tous concurrents ? Tout était dans la difficulté de ce rendu.

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Un scénario, deux story-boards

En publicité comme sur les clips, leur travail se construit d’abord avec l’image. D’une idée d’un pitch rédigée sur une ou deux pages présentant le concept/l’histoire et la manière dont ils vont la traiter à la réalisation, ils story-boardent ensuite. Ils ont procédé de la même manière avec Logorama.

Ludovic Houplain : Nous avons construit l’histoire en deux étapes. Nous avons réalisé un premier story-board sur l’histoire, puis construit un second qui inclut les logos. On s’est rendu compte qu’il était impossible de travailler directement sur l’objet même dès le début. Partir de l’histoire était nécessaire pour pouvoir évoluer. Dans la première version, Mamie Nova avait le rôle de la mère de Ronald. On s’est aperçu que les deux personnages ont exactement la même coupe de cheveux, la même tête. C’est sa mère par essence ! L’accident de Ronald dans le Diners Club International était déclenché par une embrouille avec sa mère. On avait réuni également de vieux logos dans cette scène. On voyait Mamie Nova dans un transat en train d’écouter Pathé Marconi sur son phonographe, une mama noire (la marque alimentaire Aunt Jemima) et Paul Newman en Newman’s Own. Le monteur américain a décidé de s’en séparer car la scène ne fonctionnait pas avec l’accident. C’est dommage car ça lui donnait une vie et de la profondeur.

Hervé de Crécy : Le cadre général défini, le processus scénaristique s’est construit jusqu’à la fin du premier montage. Des scènes et des dialogues ont été ajoutés au fur et à mesure. De l’étape du story-board, on est arrivé à l’étape d’animatique. Comme nous ne sommes pas habitués à un travail classique de cinéma, ça peut paraître désordonné, mais le rendu est assez efficace.

François Alaux : Nous voulions surtout construire des situations où plusieurs protagonistes se retrouvent dans un drame commun en pleine ville de Los Angeles et ensuite les développer en partant du dessin. Au départ, le personnage de Ronald, dessiné par Hervé, était un homme avec une moustache. Ce fut un processus de travail et d’écriture, basé sur l’instinct et le principe de rebond entre nous où rien n’est verrouillé, pour ne pas tomber dans un exercice graphique froid.

 

Dialogues et Adaptation

François Alaux a été le superviseur pour la partie dialogues. Pour la version originale, les voix des Pringles sont interprétées par Andrew Kevin Walker (Pringles Hot & Spicy) et David Fincher (Pringles Original). Pour la version française adaptée par les auteurs des Lascars, les voix sont de Omar & Fred.

Hervé de Crécy : Toute une phase de travail a été faite très en amont sur l’écriture des dialogues avec un américain, Paul Hahn, pour construire la psychologie des personnages. On a retravaillé ensuite avec Greg Pruss. Il a réalisé un travail incroyable, lié à la contrainte du scénario déjà construit, en apportant la dernière couche de caractérisation avec une culture très L.A.

François Alaux : On en est venu à travailler avec eux par le biais de RSA Film où nous sommes représentés, maison de production de Ridley Scott. On a montré notre montage à la productrice qui l’a fait voir aux productions Scott Free, qui se chargent des longs-métrages des frères Scott. On a eu un quart d’heure pour discuter avec le producteur, Michael Costigan (Brokeback Mountain, American Gangster). Très réactif, nous avons obtenu un rendez-vous avec le scénariste Andrew Kevin Walker (Seven, Sleepy Hallow) et Greg Pruss. Et en un mois Greg Pruss a écrit un dialogue vrai et absurde et très LA. Dans les films, les méchants ont souvent l’accent anglais, allemand et/ou français. L’acteur Bob Stephenson (Zodiac, Fight Club, Seven) qui interprète Ronald et le sheriff Bibenbum, a suggéré que pour le flic Michelin local avec le chapeau, un accent de la Nouvelle Orléans serait adéquat. La version française a été difficile à traduire littéralement, les auteurs des Lascars ont dû procéder à une adaptation.

 


Archivage et Modélisation des logos
Sur une base de 45 000 logos, 2500 ont été sélectionnés. Quentin Brachet, en charge des recherches de décors, de personnages, a pris les commandes de tout l’archivage et de la modélisation.

Hervé de Crécy : Son énorme travail a été de les catégoriser et de les ranger dans des rubriques (nature, personnages, véhicules, animaux…) et des sous rubriques (par ex : dans « nature », recensement des logos de montagnes comme celles d’Évian). Dans la sélection, Quentin a dû tous les redessiner en volume car un logo n’est fait que de face. Sur des planches, il a construit des mises en place dans la ville, fait des simulations de logos dans l’environnement où l’action se passe. Lorsqu’on avait une scène à construire en pleine ville, on recherchait dans « équipements urbains » les logos appropriés (bancs, poubelles, réverbères…). Tout ce travail d’archivage a duré environ 3 ans, mais nous a permis ensuite d’aller beaucoup plus vite pour la fabrication du film.

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Vidéo logo Ronald McDonald, modélisé en volume – @H5

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Un casting bankable : quel personnage pour quel logo ?

Pour sélectionner ceux qui feraient partie de la seconde étape dans l’écriture du scénario, ce fut pour les auteurs un aller-retour perpétuel entre les personnages et les logos.

François Alaux : L’idée du casting nous plaisait, un personnage/un logo comme un personnage/un acteur pour mieux détourner les marques. La sélection s’est faite essentiellement sur des logos complets avec un corps pour pouvoir les manipuler dans une contrainte de mise en scène, de variations avec un jeu par rapport aux marques elles-mêmes. Les garnements Big Boy et Haribo ont été choisis pour cette raison et pour être aussi comparés aux logos Bic, qui ressemblent à des élèves d’une école privée anglo-saxonne tel le lycée français à LA. Tout le monde est en uniforme, on a le stylo dans le dos et on est bien rangé. De par cette opposition dans la composition des personnages, l’équilibre s’installe. Le personnage de Ronald McDonald (le Joker) est venu très vite, tout comme Michelin pour les flics. Ce logo a une force dingue. Il est hyper bien dessiné, charismatique, puissant. Par contre, il a été difficile de trouver notre personnage féminin. Le monde de l’image des marques est extrêmement misogyne. Nous sommes allés chercher dans les années 60 pour sélectionner la Pin Up Esso. Certains sont venus de la publicité, comme Energiser pour les lampadaires. D’autres ont été rapides et amusants à installer comme le logo USB pour les cactus. Monsieur Propre est un personnage qu’il faut voir assis car le reste de son corps est une spirale. C’est un génie. Les Pringles, eux, n’ont qu’une tête et parfois des mains. C’est pour cette raison qu’on les voit uniquement au volant d’un camion et assis à une table. Les petits bonshommes jaunes AOL sont comme des figurants et représentent Monsieur Tout-Le-Monde.

Ludovic Houplain : IBM a été la seule marque à demander à figurer dans le film (sans directive d’emplacement) pour des raisons liées à Mikros.

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Logorama @H5

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Animatic et Rotoscopie

François Alaux et Hervé de Crécy ont réalisé des prises de vues réelles qu’ils ont ensuite rotoscopées. L’animation a décalqué leurs mouvements et leurs expressions, qui donnent ce côté réaliste. Cette version représente un mode d’écriture intéressant. Dès le départ le rythme, découpage et le cadrage du film d’action sont définis. Pour interpréter les Bic, Big Boy, Haribo, les fils de Ludovic Houplain se sont également prêtés au jeu car il est impossible de rotoscoper un adulte pour jouer un enfant.

Hervé de Crécy : Pour l’étape de l’animatic, nous nous sommes servis de dessins que nous avons animés sommairement. Nous avons ensuite pris des extraits de films existants avec les plans qui nous plaisaient. Par exemple, pour des plans d’hélicoptère sur un toit, nous avons pris l’extrait d’un plan d’arrivée dans La Chute du Faucon Noir de Ridley Scott. La rotoscopie, inventée par Disney sur Blanche-Neige, consistait à aller plus vite dans l’animation. Il filmait une actrice et les animateurs décalquaient sur l’image celles prises, les unes derrières les autres. Aujourd’hui, il est possible de réutiliser cette technique en 3D. Les animateurs peuvent travailler, avec en toile de fond, une image vidéo tournée. L’avantage est d’être directement lié au mouvement des personnages. L’animateur peut accélérer, faire des mouvements plus forts. Ca laisse une liberté d’interprétation pour nos personnages, qui sont tous différents et tout, sauf humains. On ne pouvait pas se caler sur un mouvement humain pour tous.

 

Une lecture en 3D pour un film en 3D

Alors que certains ne voient en Logorama qu’une gigantesque publicité, la majorité identifie aisément les différents niveaux de lectures, tant sur les personnages, les logos que sur les messages qu’il véhicule : « Il y a d’abord une lecture primaire sur n’importe quelle histoire ou blockbuster américain » explique Ludovic Houplain « ensuite celle sur la liberté d’expression et une dernière lecture instantanée de notre société contemporaine avec les logos d’aujourd’hui ». Du point de vue des personnages, des protagonistes principaux à Fido Dido et Élèves Bic au second plan, les auteurs ont été soucieux du détail. Tous ont une vie presque en 3 actes jusqu’à donner une lecture du figurant au troisième plan avec les piétons AOL, représentant Monsieur Tout-Le-Monde. Les auteurs ont eu un plaisir non dissimulé à malmener Fido Dido, icône des années 80 : « On a malmené aussi beaucoup la cacahuète » ajoute François Alaux « On écrase les M&Ms et la pauvre tête de Mr Peanut éclate dans le bar. À Cannes, certains se sont demandés si se cachait un message particulier… ». Enfin, une double lecture s’inscrit également dans la confrontation des logos comme Ronald McDonald, qui prend en otage Big Boy (autre marque de fast food) finalement vaincu par Weight Watchers. Ou encore la marque Formica, intéressante par son double sens entre le fond et la forme. Le logo, qui s’appelle Formica, a la forme d’une table, utilisé dans le Diners Club International, dont la plupart sont souvent de ce matériau. Des coïncidences qui contribuent à la réussite de film.

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Logorama Trailer

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