Jeff Lindsay / Photo©Hilary Hemingway

Alors que son nouveau best-seller ‘Double Dexter’ paraîtra aux Editions Michel Lafon courant 2012, le romancier américain Jeff Lindsay était à Paris à l’occasion de la parution le 10 novembre de son cinquième roman ‘Ce Délicieux Dexter’ en format poche Points. CinéChronicle a eu l’opportunité de rencontrer l’incroyable créateur de ce serial killer devenu une figure culte du petit écran et de la culture populaire à travers le monde.

 

 

 

CineChronicle.com : Comment est né en vous Dexter ?

Jeff Lindsay : J’étais à un dîner avec principalement des hommes d’affaires qui souhaitaient avoir mon avis sur l’art, par rapport à mon expérience de musicien/comédien. J’étais donc assis à la table d’honneur avec des agents immobiliers, des responsables d’assurances et de banques. Face à tous ces sourires forcés, ces poignées de mains, ces discussions exagérées et toute cette hypocrisie générale, tout en mangeant, l’image d’un meurtre en série s’est imposée dans ma tête. J’ai commencé à noter quelques idées sur des petites serviettes en papier le soir même.

 

CineChronicle.com : Sur quoi et sur qui vous êtes-vous basé pour construire ce personnage ?

Jeff Lindsay : Je me suis d’abord demandé quel était le moyen de rendre un tueur en série sympathique. Qui dois-je tuer pour que les gens me trouvent sympathique ? Malheureusement dans la vraie vie, les personnes aiment bien les agents immobiliers et même les assureurs, je ne pouvais donc pas les tuer, eux (rires). J’ai puisé mes références dans de nombreux ouvrages sur les tueurs en séries et j’ai également eu la chance d’avoir au sein de ma famille des personnes spécialisées en psychologie qui m’ont donné des éléments. Mais j’ai compris très vite les mécanismes que je pouvais utiliser. J’ai très peu puisé dans la fiction en télévision ou au cinéma. L’une des premières critiques sur le premier tome indiquait que Ce Cher Dexter redynamisait le genre. Ce dont je n’avais pas conscience car je ne savais pas qu’il existait un genre, n’ayant pas lu d’autres romans avec un personnage de tueurs en série de la sorte. J’avais seulement vu au cinéma Le Silence des Agneaux.

 

CineChronicle.com : Qu’est ce qui vous rapproche le plus de lui ?

Jeff Lindsay : J’aime les enfants. Sérieusement, je suis un peu dans tous les personnages de la saga. Dexter représente bien sûr la part sombre que chaque être humain possède au fond de lui. Heureusement, tout le monde ne le met pas en pratique. Deborah me ressemble vraiment du point de vue du caractère. Rita, ce sont plutôt ses talents de cuisinière. Tous les mets qu’elle cuisine dans le roman, c’est tout ce que j’aime. Et Cody, c’est mon innocence de petit garçon.

 

CineChronicle.com : Lorsque Showtime s’est emparé des droits de Ce Cher Dexter (Darkly Dreaming Dexter), vous a-t-on consulté pour l’approche du personnage ou l’écriture de l’adaptation ? Avez-vous collaboré avec James Manos Jr. sur certains épisodes ?

Jeff Lindsay : C’était comme un rêve. Avant d’être sollicité par Showtime, je souhaitais une adaptation en long-métrage avec Johnny Depp dans le rôle-titre. J’ai été approché par plusieurs producteurs et scénaristes à Hollywood dans ce sens. Mais mon agent m’a convaincu que la télévision était une meilleure idée et beaucoup plus rentable. Cela fait six ans que je vends mes romans grâce à l’adaptation en série TV alors qu’au cinéma, cela aurait été beaucoup plus aléatoire. Lorsqu’un projet est acheté à Hollywood, il existe une chance sur un million qu’il aboutisse véritablement. S’il aboutit sur grand écran, les chances se réduisent d’autant pour qu’il soit remarqué et remporte un Oscar. Cela m’aurait permis de vendre Ce Cher Dexter pendant peut-être trois mois, le temps du film à l’affiche et après terminé. Lorsque Showtime a développé la première saison, j’étais effectivement en contact permanent avec James Manos, essentiellement par email. J’étais à la fois consulté et consultant pour les pistes à suivre en leur répétant souvent : « n’oubliez pas que j’écris des livres drôles ! ». La tendance principale dans les séries télévisées américaines est de jouer sur le mélodrame pour toucher une plus large audience. Mais si j’ai écrit des romans sur un tueur en série avec de l’humour noir, c’est parce que je savais que cela manquait.

 

CineChronicle.com : Auriez-vous souhaité adapter la série vous-même car votre plume est très aiguisée et très visuelle ?

Jeff Lindsay : Pas vraiment et c’est un choix délibéré. La question s’est vraiment posée avec les producteurs de me faire participer. Je connais bien Hollywood et je pense que non seulement je n’aurais pas été heureux, mais mon agent et ma femme, qui sont des avis très importants, me l’ont déconseillé. Et je n’y tiens pas plus que cela. Je me sens bien avec mes livres dans le calme et ma solitude.

 

CineChronicle.com : Comment expliquez-vous cet engouement du lecteur/téléspectateur pour un tel serial killer au sang froid ? Car les livres comme la série soulèvent les questions de moralité en explorant les différents sentiments et aspects psychologiques.

Jeff Lindsay : Je vais être un court instant académique. Je pense qu’il y a une similarité entre notre époque actuelle et l’ère jacobéenne en Angleterre, juste après Shakespeare. Le point commun entre ces deux périodes, c’est que nous connaissons l’art de faire fonctionner les histoires, l’écriture, les idées et les situations cocasses pour tendre vers la comédie. Et de ce fait, nous avons la possibilité de commenter le fonctionnement de la fiction et de ce qui a déjà été produit. Pour citer un exemple, je vais le comparer avec ma pièce de théâtre favorite Hamlet et son genre dévoué le Revenge Tragedy que je considère comme le pic de la période élisabéthaine, où l’on se posait la question de l’existence et tentait d’y répondre. Des années après Hamlet, une pièce a été éditée qui s’appelle The Revenger’s Tragedy (1607) de Cyril Tourneur et qui reprenait ces questionnements métaphysiques en y ajoutant une pointe d’ironie. Et c’est ce que j’ai voulu faire avec Dexter, à savoir prendre du recul sur des situations graves. J’ai beaucoup étudié ce dramaturge anglais et son oeuvre la plus célèbre. Tourneur a commenté Hamlet comme je commente la pièce de Tourneur avec les questions d’aujourd’hui. Que les lecteurs comprennent ou non cette démarche que j’ai eue pour populariser mon personnage, peu importe. J’avais envie de ce challenge pour les motiver et je pense que ce que souhaitent les lecteurs, c’est passer un bon moment.

 

CineChronicle.com : La série a fini par un peu polir le côté noir, cynique et grinçant de Dexter et de son Passager Noir dans vos romans. Quel est votre point de vue sur l’adaptation ? Que perd-on et que gagne-t-on en adaptant une saga en série TV ?

Jeff Lindsay : Je ne suis pas un expert dans l’écriture pour la télévision, mais je pense que les scénaristes ne vont pas toujours très loin. La grande tendance est de refaire souvent ce qui a déjà été fait auparavant. L’autre tendance, qui ne va malheureusement pas toujours dans le sens de mes écrits, vient des comédiens de télévision et de cette tentation qu’ils ont d’explorer profondément et de manière plus personnelle la psyché de leurs personnages et de choisir leur interprétation.

 

CineChronicle.com : Que pensez-vous de Michael C. Hall ?

Jeff Lindsay : Lorsque j’ai appris à l’époque que Michael C. Hall était retenu pour le rôle, j’étais effondré. J’avais en mémoire son interprétation de David Fisher dans la série Six Feet Under. Il était très bien mais ce qu’il dégageait ne correspondait pas à Dexter. Et le premier jour de tournage quand je l’ai entendu prononcer les premières paroles, j’ai pleuré. J’ai senti qu’il était l’acteur parfait pour interpréter ce tueur en série.

 

CineChronicle.com : Votre Dexter semble plus terrifiant car il prend du plaisir. Il est dénué de compassion ou d’intérêt pour les autres. Celui de James Manos est plus empathique, modéré et quasiment esclave de ses pulsions. Pensez-vous que l’approche est différente pour des raisons de prime-time ?

Jeff Lindsay : Pas au début et je ne sais pas si c’est vraiment une question de prime-time. Les scénaristes changent à chaque saison et certains d’entre eux n’ont probablement pas lu mes romans ou seulement le premier tome. La tentation d’humaniser un personnage si peu conventionnel ou d’aller vers la compassion reste toujours aussi grande chez les scénaristes, alors qu’il n’en existe pas du tout chez Dexter, du moins dans mes romans. Et l’autre tentation, encore plus malheureuse, est de chercher la rédemption pour sauver le personnage à la fin, alors qu’il n’en est pas question dans mes livres. Le monde est beaucoup plus sombre mais également plus changeant et plus beau que nous le pensons et la télévision ne reflète jamais assez ces nuances.

 

CineChronicle.com : Pourtant l’individu est toujours en quête de rédemption…

Jeff Lindsay : L’envie est parfaitement louable, mais Dexter ne peut pas être sauvé car il ne changera jamais. Il est pathologiquement atteint, c’est un psychopathe. Aujourd’hui pour le vérifier, il existe des véritables cartographies du cerveau prouvant que chaque partie correspond à un acte, une pensée, une parole. Il est possible de géolocaliser chez les individus ou les malades mentaux l’endroit atteint de troubles avec des scanners et des radios performants et sophistiqués. Et de ce fait, pour Dexter la rédemption n’a pas lieu d’être.

 

CineChronicle.com : Vous développez d’ailleurs chez les enfants de Rita un comportement sociopathe avec un Dexter concentré sur leur enseignement via le code Harry. Quel est votre objectif ? Souhaitez-vous des héritiers ou une descendance ?

Jeff Lindsay : C’est effectivement une question que je me pose souvent dans chacun de mes romans. Cody, Dexter et Astor représentent l’innocence perdue. Ce sont dès le départ des enfants désorientés et abandonnés par la figure paternelle. Et nous avons tous un jour une idée obsessionnelle de vouloir réaliser un fantasme qu’on ne fera probablement jamais. Ici c’est d’aborder l’idée tentante que Dexter va enseigner aux enfants de Rita l’art de tuer méthodiquement, les former au mal et développer leur part sombre. J’ai très envie de le faire, mais je le repousse toujours au prochain livre car ce sont des enfants et je me sens coupable. Il y a une idée que je n’ai encore jamais donnée en interview. C’est au sujet du dernier tome de la saga. Je ne sais pas encore quelle direction je vais prendre, mais cela montrerait à quel point je veux sauver Cody. J’ai très envie qu’il commette un meurtre et que Dexter en assume la responsabilité jusqu’au point de non retour.

 

CineChronicle.com : Et le dernier roman s’arrêterait à quel numéro de tomes ?

Jeff Lindsay : Cela ne dépend vraiment pas de moi. Mais pour être tout à fait sincère, j’ai l’attitude d’un bon élève discipliné et tant que les lecteurs réclament la suite des histoires de Dexter, je continue car je suis loin d’être à court d’idées. J’ai une anecdote pour illustrer. Connaissez-vous ce vieux hit country américain de Don McLean, Bye bye Miss American Pie ? Un de mes amis connaît bien ce chanteur et lui a demandé : « Tu n’en as pas marre de chanter encore et encore le seul succès de ta carrière ? » et il lui a répondu « Non, mon grand-père est venu d’Irlande, il était ‘réparateur en tout genre’, mon père l’était également et moi je ne le suis pas. Donc je leur dois bien de chanter encore et encore ce succès musical.

 

CineChronicle.com : Vous donnez une fille à Dexter et donc une certaine humanité dans le tome 5 ‘Ce Délicieux Dexter’ (Dexter is Delicious) tandis que les scénaristes lui ont donné un garçon dans la saison 4. Pourquoi une fille et pourquoi ce décalage ?

Jeff Lindsay : C’est vraiment le hasard et les aléas de l’adaptation. J’ai écrit le livre où apparaît Lily Anne bien avant l’adaptation dans la série. Je les avais prévenus par mail qu’une petite fille allait naître dans le cinquième roman. Et probablement dans un esprit de compétition pour savoir qui était le plus fort, ils ont créé un fils, Harrison Morgan. Etait-ce pour prouver qu’ils avaient la mainmise sur mon personnage ou pas ? Cela reste une coïncidence.

 

>>> CRITIQUE du cinquième tome ‘Ce Délicieux Dexter’ <<<

 

CineChronicle.com : Avez-vous le sentiment de perdre un peu de votre paternité sur votre création ou au contraire est-ce complémentaire ? Car James Manos s’est affranchi de votre modèle dès la 2e saison pour proposer sa trame originale et une trajectoire différente du personnage.

Jeff Lindsay : Je n’ai pas l’impression d’avoir perdu la paternité du personnage et je pense que je n’aurais jamais ce sentiment. Même si la série dure encore des centaines d’années, mon nom apparaîtra toujours dans les crédits en tant que créateur du personnage issu de mon roman. D’une façon ou d’une autre, cela revient toujours. Ils peuvent revenir à l’original. Je ne ressens aucune frustration au contraire.

 

CineChronicle.com : Quel est votre point de vue sur la différence d’exploitation des personnages féminins ? Votre Deborah découvre la part sombre de Dexter alors que dans la série, elle ne sait rien. Rita reste encore un moyen de camouflage alors qu’elle parvient s’imposer avant de mourir dans la saison 4. Et Laguerta disparaît dès le premier tome alors qu’elle dirige le service dans la série.

Jeff Lindsay : Ce sont malheureusement les exigences de la télévision. Les personnages de Rita et Déborah étaient relativement proches du roman dans la première saison, même si l’actrice Jennifer Carpenter, qui interprète la sœur de Dexter, reste très différente de la description physique dans le livre. Les scénaristes ont fini par s’emparer des personnages et les comédiens ont exploré leur rôle à leur manière, comme je le mentionnais précédemment. Je pense que Rita devenait intéressante au moment où ils l’ont tué.

 

CineChronicle.com : Le 5e volume contient des éléments de cannibalisme, qu’est ce que vous nous concoctez pour le 6e qui va paraître courant 2012 ? Dexter finira-t-il par se faire piéger ?

Jeff Lindsay : Pour illustrer, je vais vous parler de ma passion à l’Université pour la littérature du Moyen-Âge et du théâtre. L’un de mes livres préférés parlaient du fameux bouffon du Roi. Je suis un peu comme lui. Pour faire rire le Roi, il faut raconter des histoires de plus en plus drôles et donc repousser les limites. Mais la question est de trouver le bon équilibre entre l’amuser suffisamment et ne pas perdre la tête parce qu’on est allé trop loin. Pour Dexter, c’est le même principe. Je dois savoir choquer sans dépasser les limites de ce que le lecteur peut supporter. Pour le 6e volet Double Dexter, je ne suis pas allé plus loin, j’ai plutôt pris des chemins de traverse. Quelqu’un surprend Dexter à l’œuvre sur une scène de crime, mais lui ne connaît pas l’identité de celui qui va le harceler et rendre public son nom…

 

 

Bio express : Après avoir été musicien et comédien, Jeff Lindsay (né en 1952) se consacre désormais à l’écriture. Dexter, devenu une figure culte du petit écran sous les traits de Michael C. Hall, est l’antihéros de six de ses romans, publiés en France chez Michel Lafon et en poche Points : Ce Cher Dexter, Dexter Revient, Les Démons de Dexter, Dexter dans de beaux draps, Ce Délicieux Dexter et Double Dexter (à paraître courant 2012 chez Michel Lafon). Le créateur et romancier vit en Floride avec son épouse, l’écrivaine Hilary Hemingway, nièce d’Ernest Hemingway.

 

 

 


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