Une chimie parfaite et ambitieuse
Le Parrain est dans sa forme, classique, né dans une période révolutionnaire pour le cinéma et qui fait montre d’audaces techniques et de propos. Coppola l’a lui-même décrit, à la deuxième lecture du livre, comme « une histoire qui est la métaphore du capitalisme américain par le récit d’un grand roi et de ses trois fils ». Mais c’est également une œuvre anti-guerre qui fait écho au contexte politique de l’époque. Lorsque Vito (Marlon Brando) constate la mort de son fils ainé Sonny (James Caan), et bien que le chagrin le ravage, il décide qu’il n’y aura pas de guerre et le déclare plus tard lors d’une réunion avec les cinq familles, et surtout l’assassin de son enfant de l’autre côté de la table. Multi-générationnel, le déroulé permet un casting incroyable et pluriel qui s’étire sur plusieurs opus.
Le jour même où Paramount Pictures démarcha Coppola pour lui proposer le deal, celui-ci contacta Marlon Brando au téléphone au sujet d’un rôle dans Conversation secrète, drame qui sortirait en 1974 avec Gene Hackman (Palme d’or à Cannes). Le réalisateur était persuadé d’avoir son Parrain, contre l’avis des producteurs. De manière habile, il s’est arrangé pour que Charles Bluhdorn – patron de Gulf&Western qui détenait la Paramount – se retrouve seul avec un Brando gominé et la bouche pleine de coton. Le résultat a emballé les studios. Mais la major avait également des réticences à engager Al Pacino. Ce dernier a mis tout le monde d’accord lors de la scène cruciale où Michael tue Virgil Sollozzo (Al Lettieri) et renverse le récit. Le tout donne à ce jour l’un des castings les plus emblématiques de l’Histoire du cinéma tant les personnalités contrastées des fils Corleone sont admirablement servies par Caan, Pacino et John Cazale. Mais aussi nuancées par la douceur d’une Diane Keaton qui, à l’image des grandes héroïnes du théâtre classique, craint l’homme qu’elle aime autant qu’il la fascine.
Pour son interprétation de Vito Corleone, celui que l’on considérait comme le rebelle d’Hollywood remporta l’Oscar du meilleur acteur en 1973 ainsi qu’un Golden Globe. Pacino lui, est nommé aux Oscars la même année, dans la catégorie meilleur acteur dans un second rôle, puis nommé en 1975 dans celle du meilleur acteur dans un premier rôle. Il est par ailleurs nommé aux Golden Globes en 1973, 1975 et 1991 pour son rôle de Michael Corleone.
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Un chiaroscuro légendaire
Bien que Gordon Willis ne se soit pas entendu, lors du tournage, avec un réalisateur qui imposait une cadence anarchique à son équipe, on doit reconnaître que l’association de ces deux talents a produit une magie visuelle culte. Surnommé The Prince of Darkness (Le prince des ténèbres) pour son travail sur Le Parrain, c’est à Gordon Willis que l’on doit des scènes extrêmement sombres et des ambiances tamisées que rehaussent parfois des points de couleurs, comme les oranges dans les coupes de fruits ou les jardins. Le contraste est d’autant plus saisissant que les scènes en extérieurs sont très éclairées et d’une patine rétro très esthétique. En témoigne la première séquence qui alterne entre plans d’un mariage très lumineux et entretien dans l’obscurité. La lumière est projetée de telle manière que les yeux du protagoniste, la clé de l’âme pour un mafieux, ne soient jamais réellement visibles.
À l’époque, les films devaient être très éclairés pour être projetés dans les drive-in. À l’instar de son propos, Le Parrain est ambivalent jusqu’à sa photographie. Les personnes présentes lors de la première diffusion, auprès des producteurs, racontent que la panique aurait saisie l’assemblée devant des plans presque noirs, renforçant les tensions entre Coppola et la Paramount. C’est également à Gordon Willis que l’on doit les teintes nostalgiques utilisées dans le second volet et qui n’avaient encore jamais été vraiment exploitées. Une palette ambre qui sera reprise dans de nombreuses productions pour une didactique du souvenir et des scènes de flashback.
Le roi de la musique sicilienne comme compositeur
Distingué d’un Golden Globe pour sa participation, Nino Rota signe la partition d’un thème désormais incontournable et qui fut produit par Paramount Records. Le motif principal fut inspiré par La Force du Destin de Verdi et les premières notes accompagnent encore parfaitement la scène d’ouverture mémorable du Parrain dans laquelle on entre dans le récit par une supplication de Amerigo Bonasera (Salvatore Corsitto) au Don. Une maîtrise de mise en scène dans laquelle le thème est déclaré. « I believe in America, America has made my fortune » (« Je crois en l’Amérique, l’Amérique a fait ma fortune »).
Triptyque et succès imprévus
Francis Ford Coppola était persuadé que le film serait un échec au box-office. Aussi fut-il surpris d’apprendre que dans les premières semaines de sa sortie, les gens attendaient patiemment dans la file d’attente longue plusieurs mètres. En moins de six mois, le film a fait plus d’entrées que celles d’Autant en emporte le vent de Victor Fleming sorti plus de vingt ans auparavant. Coppola a donc obtenu les pleins pouvoirs pour diriger le second opus qui avait été pensé et écrit comme une extension directe du premier, et décrocha un budget de 13 millions de dollars, quand le précédent s’élevait seulement à 6,5 millions. Une victoire quelque peu amère pour Coppola, qui pense encore aujourd’hui avoir perdu sa liberté d’auteur et avoir vendu son âme. Le Parrain III est réalisé en 1991 pour des raisons d’argent et sa qualité a fait davantage débat. Quoiqu’il puisse en être, il a été tout de même nommé aux Oscars dans la catégorie meilleure photographie pour Gordon Willis, meilleur montage, meilleure acteur dans un second rôle pour Andy Garcia ou encore meilleur réalisateur.
L’héritage de la trilogie du Parrain est toujours présent et résonne encore quarante-cinq ans après, comme un récit cathartique au classicisme séduisant qui, loin de glorifier la mafia et les criminels, se propose de les rendre authentiques et complexes. À l’instar d’un Il était une fois en Amérique de Sergio Leone, sorti en 1984, cette fresque initiatique porte en elle des thèmes qui sont inépuisables et encore profondément actuels. Mais l’aventure du Parrain tient aussi dans sa genèse d’écriture et dans l’interaction des personnes ayant participé à l’entreprise.