Sortie fin février sur AMC et Netflix, cette dernière salve d’épisodes est à l’image du zèle artistique de ses créateurs, qui disposent désormais d’une carte blanche pour laisser libre cours à leur génie. Dans la foulée de la quatrième saison, la cinquième poursuit le virage pris par Jimmy, faisant office de charnière entre les restes de sa droiture et son abandon au monde de l’imposture. Et à l’inverse du basculement peu subtil de Daenerys dans le final de Game of Thrones, Better Call Saul privilégie – comme toujours – la nuance.Â
Tandis que Saul Goodman prend vie, ameutant par des plans foireux une clientèle peu prisée de ses confrères, sous le regard suspect de Kim, l’épisode six marque une césure pour le moins surprenante. Volant au secours de sa partenaire dans une affaire d’immobilier, Jimmy se laisse emporter par son goût pour la gagne et la ridiculise devant Mesa Verde, son cabinet, et son client, se livrant à un chantage grossier qui porte ses fruits. Ce mauvais coup manque de la faire radier, et mène Kim au point de non-retour. Mais alors qu’elle envisage la rupture pour se protéger de la versatilité de son compagnon, cette dernière opte contre toute attente pour une demande en mariage. Une décision qui contraint Jimmy à se remettre en question en étant transparent avec celle qui partage sa vie.
La séparation qui se profilait pour le couple se mue en une solide alliance, qui freine quelque peu le tempérament frondeur de l’avocat et augure une chute commune douloureuse. Le portrait d’un vrai gentil, incorrigible mais toxique se dessine alors. L’équilibre s’inverse et Jimmy craint de déteindre sur Kim, confronté pour la première fois depuis la mort de son frère aux conséquences de ses actes sur un être cher.
Ces épisodes, comme la traversée du désert de Mike et Jimmy qu’offre le superbe épisode 8 en écho à Breaking Bad, et la confrontation finale avec Lalo Salamanca (l’édifiant Tony Dalton) suivie de la trahison de Nacho, sont autant d’expression de l’écriture et de la mise en scène ciselées de Peter Gould et Vince Gilligan. S’en dégagent une virtuosité scénaristique et une force maîtrisées sur toute la ligne. Chaque plan, séquence, personnage est pensé pour donner de l’envergure au tout. L’obsession de Gus pour les friteuses propres, le bob du redoutable sniper qu’est Mike, le chapeau d’anniversaire d’Hector Salamanca (Mark Margolis), la cravate bariolée et les tongs de Jimmy, sa glace dévorée par les fourmis sur le trottoir.
Cette nouvelle saison sublime plus que jamais le sens de l’ironie et du désespoir déjà présents dans Breaking Bad avec la pizza sur le toit, la mouche, la peluche dans la piscine, le van dans le désert… Toutes ces images qui marquent nos esprits sur le long terme, et contribuent à rendre une Å“uvre culte. Sur le point d’entrer dans sa dernière ligne droite, Better Call Saul s’impose comme la plus belle réussite de dérivé sériel qui existe à ce jour.
La série a gagné en maturité et n’a plus a se légitimer auprès de son audience. Sa patte installée, son rythme s’appesantit, livrant juste le nécessaire, mais toujours d’une qualité remarquable. Elle peaufine et parvient à rendre captivante une histoire dont le dénouement est en grande partie déjà connu. Plus lente, plus posée que son aînée, ses personnages moins nombreux ont un parcours moins houleux, et n’en sont que plus approfondis. Sa trame se faisant même plus consistante dans certains segments que celle de Breaking Bad. Un grand cru dans l’offre désormais foisonnante des séries, qui restera dans l’Histoire de la télévision.
- BETTER CALL SAUL
- Diffusion : depuis le 8 février 2015
- Chaîne/plateforme : AMC (États-Unis) – Netflix (France)
- Créateurs : Vince Gilligan, Peter Gould
- Avec : Bob Odenkirk, Jonathan Banks, Rhea Seehorn, Patrick Fabian, Michael McKean, Michael Mando, Giancarlo Esposito…
- Saisons : 5
- Durée : 50 épisodes de 45 à 60 minutes chacun