Du 1er mars au 4 mai 2016, la France est à l’honneur en Australie avec la 27ème édition du Festival du Film Français. Au programme, 48 longs métrages présentés dans 9 villes australiennes et un parrain de luxe, George Miller, futur président du Festival de Cannes. L’occasion de rencontrer Emmanuelle Denavit-Feller, attachée culturelle à l’ambassade de France et directrice artistique du festival qui nous en dit un peu plus sur ce rendez-vous résolument francophile.
CineChronicle : Comment est né le Festival du Film Français en Australie ?
Emmanuelle Denavit-Feller : Le festival est né de la rencontre entre l’Alliance Française et les cinémas Palace. Cette chaîne d’exploitant fondée par Antonio Zeccola, un entrepreneur d’origine italienne, a toute sa vie soutenu le cinéma français en Australie. Si l’événement était modeste à ses débuts, aujourd’hui le festival est un moment culturel important. En 2015, nous avons même battu notre record de fréquentation, avec plus de 157 000 entrées dans tout le pays.
CC : Qui vient voir ces films ?
EDF : Le public est assez varié, mais les gens ici sont très francophiles. Plus d’un million d’Australiens vont en France chaque année, c’est énorme et cela peut expliquer leur engouement pour nos films. Il s’agit d’une vraie demande pour le cinéma français, il est d’ailleurs quatrième au box office.
CC : Est-ce un phénomène qui se limite aux grands villes australiennes ?
EDF : Le festival n’est que dans les grandes villes (Sydney, Melbourne, Perth, Canberra, Brisbane, Adélaïde, etc) mais il y a aussi quelques films présentés dans des agglomérations plus petites. Par exemple, cette année, nous serons à Towsville et Newcastle. On essaie d’être présent dans le plus d’endroits possible pour aller à la rencontre du public.
CC : Plus généralement, les distributeurs australiens sont-ils intéressés par les films français ?
EDF : Oui, absolument. Je dirais que c’est parce que nous produisons beaucoup de longs métrages, le choix est riche. Les distributeurs australiens ont ainsi acheté 60 des 250 films produits en 2014. C’est près du quart de la production française, c’est considérable. Les professionnels savent que le Festival du Film Français fonctionne bien, donc ils sont forcément intéressés. C’est aussi à cela que sert cet événement : promouvoir notre travail et inciter les acquisitions locales.
CC : Comment expliquez-vous cette francophilie ?
EDF : Je pense que cela s’explique d’abord de façon historique. Nous sommes des frères d’arme. Les Australiens nous ont beaucoup aidé durant la Première Guerre mondiale. Un grand nombre d’entre eux ont des personnes de leur famille enterrées en France. En plus de cela, ils adorent notre art de vivre, notre gastronomie, notre champagne. Ils connaissent bien le pays et ses musées. Notre langue joue aussi un rôle très important. D’ailleurs quand ils vont au festival, les gens sont contents de l’entendre, ils aiment ce sentiment d’immersion. Après, il est toujours difficile d’expliquer rationnellement ce genre de phénomène. Je pense que justement ce n’est pas rationnel, comme chaque fois qu’il est question d’amour.
CC : Quels sont les enjeux derrière la présence culturelle de la France en Australie ?
EDF : C’est ce qu’on appelle la diplomatie globale. Développer la présence de la France à l’international, c’est garantir des échanges. C’est la base du principe de réciprocité. De ce point de vue, la culture est aussi importante que l’économie. L’art a de vraies retombées sur le plan financier, ce sont des emplois et des revenus très importants. De plus, des événements comme ce festival, ou la grande exposition Degas qui se prépare à Melbourne, sont des moments forts qui donnent envie aux gens de venir dans notre pays. De nombreuses autres industries en profitent ainsi.
CC : Comment choisissez-vous les films présentés lors du Festival du Film Français ?
EDF : L’idée est de montrer la diversité et la créativité de notre cinéma. Chacun doit pouvoir se retrouver dans un film. Nous voulons faire rire, provoquer des émotions, raconter des histoires. Nous avons aussi envie de provoquer le public, de le faire réfléchir et peut-être de le faire avancer, sans être pour autant trop prétentieux. Constituer une sélection, c’est un peu comme faire cuisine, préparer un bon repas pour des amis ; c’est à la fois soigner chaque met dans son individualité et faire en sorte que le tout fonctionne.
CC : Quels sont les films les plus significatifs présentés cette année ?
EDF : Je ne sais pas s’il y a des films plus significatifs que d’autres. À titre personnel, j’aime beaucoup MICROBE ET GASOIL de Michel Gondry et L’Hermine de Christian Vincent. Il y aussi bien sûr TAJ MAHAL de Nicola Saada, une Å“uvre basée sur des faits réels qui, d’une certaine façon, fait écho aux événements tragiques de Paris. Il y a dans ce thriller une émotion intense et Louis-Do de Lencquesaing est remarquable. J’ai aussi un faible pour Nous trois ou rien de Kheiron, un joli film inspiré de sa propre histoire, et AVRIL ET LE MONDE TRUQUÉ de Franck Ekinci et Christian Desmares, un dessin animé qui parle à tous les âges.
CC : Selon vous, qu’est-ce qui fait la force du cinéma français ?
EDF : Je pense que c’est sa variété. Le fait qu’il se renouvelle sans cesse. Prenez par exemple LA LOI DU MARCHÉ de Stéphane Brizé. C’est une Å“uvre complétement originale, hormis Vincent Lindon, tous les acteurs sont non professionnels. De plus, il y a vraiment un ton français, une « French Touch » indéfinissable. Les créations d’aujourd’hui sont le résultat de tout ce que l’on est, de notre histoire. C’est d’ailleurs pour cela que l’on a choisi de diffuser Le Mépris en clôture du festival. Cette Å“uvre fait partie de notre patrimoine. La montrer est une façon de boucler la boucle et de rappeler aux gens que, pour en arriver là , nous avons fait beaucoup de choses. Chaque réalisateur a apporté sa pierre à l’édifice.
CC : Qu’est-ce qui plaît le plus au public du festival ?
EDF : Les comédies romantiques fonctionnent très bien. Mais l’année dernière, Diplomatie de Volker Schlöndorf et Loin des hommes de Davie Oelhoffen ont aussi eu beaucoup de succès. Nous avons toujours des surprises lorsque nous avons les résultats des films, c’est ce qui est intéressant.
CC : Le festival présente cette année une nouvelle catégorie, les séries télévisées. Pourquoi ce choix ?Â
EDF : Ce choix a été encouragé par le développement très fort des séries télé françaises, tant dans leur production que dans leur exportation. C’est un genre qui s’est entièrement renouvelé et qui incarne lui aussi la créativité française. C’est aussi l’occasion de retrouver de grands noms du cinéma (Niels Arestrup, Mathieu Kassovitz, Cécile De France,…) dans des formats différents, nouveaux.
CC : La télévision australienne achète-t-elles beaucoup de séries françaises ?
EDF : Les chaînes australiennes achètent régulièrement des séries françaises, comme Les Témoins ou Les Revenants. Mais en les montrant au festival, l’objectif est aussi d’encourager les acquisitions. Un très bon exemple est Panthers, qui sera montré au festival et ensuite sur SBS [Chaîne de télévision subventionnée par le gouvernement australien diffusant en majorité des programmes multilingues et multiculturels, NdR]. Il y a un fort intérêt du public pour ces séries, qui sont aussi l’occasion de pénétrer dans les maisons françaises et de partager peut-être encore plus notre quotidien, et j’espère qu’elles rencontreront le succès qu’elles méritent au festival.
CC : Il existe aussi un Festival du film italien, du film chinois, etc. Diriez-vous que le Festival du Film Français est vraiment le plus populaire de tous ces événements ?
EDF : Pour ce qui est des festivals de films « communautaires, » comme on les appelle en Australie, c’est en effet le plus populaire si on prend en considération le nombre d’entrées. De son point de vue, nous sommes chanceux.
CC : Quelles sont les ambitions de la France en Australie d’un point de vue culturel ?
EDF : Notre mission est d’une part de montrer que la France est un pays moderne et novateur, d’autre part de développer encore davantage nos industries culturelles sur le sol australien. Le cinéma donc, mais aussi la littérature et la musique. Il y a par exemple en Australie, un festival de musique française et So Frenchy So Chic la compilation qui en est issue, est un peu la bande son du Festival du Film Français.