Synopsis : Louise a dix-huit ans lorsque son père doit partir à Bombay pour son travail. En attendant d’emménager dans une maison, la famille est d’abord logée dans une suite du Taj Mahal Palace. Un soir, pendant que ses parents dînent en ville, Louise, restée seule dans sa chambre, entend des bruits étranges dans les couloirs de l’hôtel. Elle comprend au bout de quelques minutes qu’il s’agit d’une attaque terroriste. Unique lien avec l’extérieur, son téléphone lui permet de rester en contact avec son père qui tente désespérément de la rejoindre dans la ville plongée dans le chaos.
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Difficile de regarder le deuxième film de Nicolas Saada sans penser aux terribles événements survenus à Paris en novembre dernier. Si Taj Mahal ne se déroule pas en France, l’histoire de Louise (Stacy Martin, Nymphomaniac), qui s’inspire de faits réels, résonne douloureusement en chacun de nous. Entre le 26 et le 29 novembre 2008 à Bombay, un commando islamiste a attaqué les endroits les plus fréquentés de la ville (dont ce palace, l’une des sept merveilles du monde) et a tué environ 166 personnes. Pour ce drame, tout en pudeur, le réalisateur, ancien critique de cinéma, choisit d’adopter le strict point de vue de la victime. La caméra filme en gros plan le visage de la jeune femme, et le spectateur s’identifie peu à peu à elle ; qu’elle marche au soleil dans les rues de Bombay ou se terre dans sa chambre comme une bête apeurée. Taj Mahal est scindé en deux parties ; l’attaque de l’hôtel est en effet précédée d’un long prologue. Dans ces scènes d’exposition, Nicolas Saada capture l’Inde dans ce que pays a de plus majestueux. Les couleurs éclatent et la lumière inonde tout. On ne peut ici que souligner le remarquable travail de Léo Hinstin, directeur de la photographie. Cette introduction est aussi un des rares moments où le réalisateur choisit d’utiliser de la musique. Une ritournelle qui revient encore et encore pour mieux souligner l’ennui de Louise alors qu’elle erre seule, dans les couloirs de l’hôtel. Les images sont anodines mais le spectateur sait ce qui va se passer. La tension dramatique en est accentuée et chaque détail (l’achat d’un téléphone, des corbeaux qui s’envolent) prend une signification nouvelle. La seconde partie se déroule presque exclusivement dans la chambre d’hôtel de Louise. Un huis clos anxiogène où la jeune femme est comme un animal aux aguets. Tremblante et silencieuse, elle écoute et attend. Tout comme nous. La scène se passe la nuit. Le spectateur se retrouve plongé dans la pénombre et le décalage avec la première moitié du film n’en est que plus saisissant. La lumière est ici encore particulièrement significative. Les ombres inquiètent et l’éclat de l’écran d’un téléphone portable devient la seule chose qui relie l’héroïne au monde des vivants.
La tension monte d’un cran et l’œuvre bascule. Nicolas Saada joue avec les codes du thriller et tient le spectateur en haleine. Par sa mise en scène efficace et précise, il suggère plus qu’il ne montre. Le plus remarquable ici, est sans doute la bande son. Les dialogues s’effacent pour laisser la place aux bruits. Des bruits bien plus terrifiants que des images. Les mitraillettes crachent, les assaillants hurlent, les pas s’accélèrent et la porte de la chambre tremble sous les coups de boutoir. La puissance suggestive de la bande sonore saisit le spectateur. On imagine plus que l’on ne sait et le beau visage de Stacy Martin devient miroir de nos émotions : surprise, incrédulité, peur, espoir, résignation… Nicolas Saada fait donc le pari de s’en tenir à cette chambre d’hôtel. Un choix judicieux qui rappelle d’autres films d’angoisse comme Panic Room. Cette mise en scène permet quelques jolis moments, comme lorsque Louise, sortie sur son balcon, discute avec une Italienne enfermée dans sa chambre quelques étages plus bas.
Taj Mahal est aussi un film sur la solitude, un thème universel qui dépasse le cadre des attentats. Grâce à cette rencontre inespérée, l’héroïne comprend que tendre la main à l’autre, c’est aussi se sauver soi-même. Au casting, on retrouve également l’Anglaise Gina McKee et le Français Louis-Do de Lencquesaing. Tous offrent une performance juste, mais c’est peut-être ce dernier le plus remarquable. Tout en inquiétude, l’acteur nous émeut bien plus que Stacy Martin. La relation que cet homme entretient avec sa fille donne envie de pleurer. On quitte le fait divers pour parler d’humain ; c’est la principale force de Taj Mahal. Face au regard de ce père qui cherche par tous les moyens à sauver son enfant, on réalise toute l’horreur de ces événements. Nicolas Saada parvient ainsi à traduire l’horreur et l’indicible de façon bien plus poignante que tous les bilans et les images d’attentats diffusées en boucle dans les médias.
- TAJ MAHAL écrit et réalisé par Nicolas Saada disponible en DVD/Blu-ray le 5 avril 2016.
- Avec : Stacy Martin, Gina McKee, Louis-Do de Lencquesaing, Alba Rohrwacher, Frédéric Epaud, Praveena Vivekananthan…
- Production : Patrick Sobelman
- Photographie : Léo Hinstin
- Montage : Christophe Pinel
- Décors : Pascal le Guellec
- Costumes : Caroline de Vivaise
- Musique : Nicolas Godin
- Tarif : 19,99 € (DVD)
- Edition / Distribution : Bac Films
- Sortie en salles : 2 décembre 2015
- Durée : 1h30
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