Synopsis : Emmanuelle est en quête d’un plaisir perdu. Elle s’envole seule à Hong Kong, pour un voyage professionnel. Dans cette ville-monde sensuelle, elle multiplie les expériences et fait la rencontre de Kei, un homme qui ne cesse de lui échapper.
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En ressuscitant Emmanuelle, célèbre héroïne d’une longue série de films érotiques éponymes dans les années 1970-80, on se doutait que la réalisatrice Audrey Diwan et sa coscénariste Rebecca Zlotowski allaient livrer un long-métrage radicalement différent de tout ce qui a déjà été fait. La cinéaste s’est fait remarquée avec L’Évènement, centrée sur une jeune femme cherchant à avorter dans la France des sixties, où l’avortement était encore passible de prison. Propulsée espoir d’un nouveau cinéma français, Audrey Diwan était forcément attendue au tournant, d’autant plus en faisant le choix déstabilisant de réadapter le roman emblématique d’Emmanuelle Arsan. Et déstabilisant, Emmanuelle version 2024 l’est assurément. L’érotisme mâtiné d’exotisme qui constituait la recette de la franchise est ainsi détourné avec malice par les deux scénaristes pour servir leur vision moderne de la célèbre héroïne. Plutôt qu’un panorama de cartes postales de paysages hongkongais, Audrey Diwan opte pour un récit aux allures de huis clos au cœur de l’hôtel de luxe où Emmanuelle est hébergée. Il représente d’ailleurs plus qu’un lieu de travail dans lequel, entre deux inspections et réunions, elle semble poliment s’ennuyer. Ainsi resserrée en un unique décor, l’intrigue prend des allures de thriller psychologique lancinant, renforcé par la musique feutrée mais presque inquiétante du duo Evgueni et Sacha Galperine. Si le plaisir physique reste évidemment un point d’importance, c’est plutôt la dimension psychologique qui intéresse Diwan. L’intrigue d’Emmanuelle n’est pas tant une quête de plaisir qu’une véritable crise existentielle. Il s’agit ici avant tout de se retrouver soi-même.
Chaque scène de sexe (réelle ou fantasmée) sert à nourrir le parcours et l’évolution de l’héroïne vers une forme de paix intérieure. De façon assez osée, Audrey Diwan et Rebecca Zlotowsk choisissent d’en dire le moins possible sur leur protagoniste en la caractérisant de façon très simple. Si l’on comprend qu’elle entretient une relation distante avec sa mère, rejetant farouchement ses origines modestes et noyant ses angoisses existentielles dans son travail, Emmanuelle est surtout un personnage dans lequel il est assez simple de se projeter. Cette version contemporaine n’a ainsi jamais pour but de satisfaire le voyeurisme des spectateurs. Emmanuelle n’est plus tant un objet de désir qu’un personnage auquel on est amené à s’identifier.
L’érotisme ne sert plus à flatter un public masculin, mais bien à célébrer un empowerment féministe à travers la réappropriation du plaisir féminin. Si le parcours d’Emmanuelle semble avoir été longuement travaillé, les scénaristes sont en revanche moins à l’aise avec la construction du reste de leur intrigue. Le rythme très languissant participe pleinement à son charme, mais il s’avère aussi parfois assez lâche. Certains longs passages dialogués peinent à maintenir l’intérêt, donnant l’impression que le scénario traîne volontairement en longueur.
Si le rythme a ses faiblesses, on ne peut pas en dire autant de son interprète principale. D’abord annoncé pour Léa Seydoux, le rôle échoit finalement à Noémie Merlant. Un changement heureux tant la persona d’Emmanuelle semblait faite pour la comédienne. Découverte par le grand public avec Portrait de la jeune fille en feu (2019), l’actrice n’a eu de cesse depuis lors de s’illustrer dans des rôles féminins forts et indépendants. Des Olympiades à Tàr en passant par L’Innocent, ses performances se distinguent par une forme de sincérité et une volonté de ne pas s’enfermer dans un seul registre.
Encore une fois, et malgré des dialogues en anglais au style très littéraire, elle parvient à rendre son personnage crédible du début à la fin et à lui insuffler la sensibilité nécessaire pour en faire une figure aussi touchante qu’iconique. Au final, Emmanuelle est surtout une nouvelle consécration pour Noémie Merlant, démontrant qu’elle est une comédienne de premier ordre, dont la carrière n’a pas fini de nous surprendre.
Timothée Giret
- EMMANUELLE
- Sortie salles : 25 septembre 2024
- Réalisation : Audrey Diwan
- Avec : Noémie Merlant, Naomi Watts, Will Sharpe, Jamie Campbell Bower, Chacha Huang, Harrison Arevalo, Adam Tin-Nam Pak, Anthony Wong…
- Scénario : Audrey Diwan, Rebecca Zlotowski
- Production : Marion Delord, Reginald de Guillebon
- Photographie : Laurent Tangy
- Montage : Pauline Gaillard
- Décors : Katia Wyszkop
- Costumes : Jürgen Doering
- Musique : Evgueni Galperine, Sacha Galperine
- Distribution : Pathé Films
- Durée : 1 h 47