Antoine Charreyron

INTERVIEW : Le 8 juin prochain, arrivera sur les écrans ‘The Prodigies’, un premier long-métrage d’animation ambitieux en 3D, entièrement conçu en motion capture, adapté librement de ‘La nuit des Enfants Rois’ de Bernard Lenteric, qui pose les bases d’un réalisateur talentueux et prometteur. Rencontre exclusive avec Antoine Charreyron.

 

 

Si Antoine Charreyron a d’abord suivi un cursus de droit, il a rapidement bifurqué vers des études en infographie à Supinfocom et a fait ses gammes dans la création de séquences cinématiques de jeux vidéo, tels Tomb Raider 6, Terminator 3 ou encore 50Cent pour le rappeur américain. Il a gravi les échelons en se faisant notamment le spécialiste de la motion capture bien avant que cette technique ne se popularise au travers d’Avatar de James Cameron. Il a en parallèle fait la rencontre de Mathieu Kassovitz, avec lequel il a travaillé sur la seconde équipe de Babylon AD. Issu d’une famille non cinéphile, Antoine Charreyron fait aujourd’hui une incursion dans l’univers du Septième Art, en mettant en scène son premier long-métrage, un thriller fantastique inspiré librement du best-seller paru en 1981, de Bernard Lenteric, La nuit des enfants rois, coproduit par Studio 37, Fidélité Films, Onyx Films et Orange, avec un budget estimé à 20M€. Entouré par une équipe talentueuse tels le concepteur de l’univers visuel Viktor Antonov, les dessinateurs de chez Marvel, Humberto Ramos et Francisco Herrera en charge des personnages, le compositeur Klaus Badelt (Le Prince d’EgypteLa Ligne RougePirate des Caraïbes 1) et l’acteur-réalisateur-producteur Mathieu Kassovitz (prochainement L’Ordre et la Morale) qui prête ici sa voix au personnage principal, Antoine Charreyron signe une première œuvre sombre, violente, immersive et bluffante, destinée aux adulescents. Après une campagne de marketing viral efficace, où une grande chasse au trésor digitale faisait découvrir l’univers du film, et la projection en séance spéciale le 12 mai dernier au 64e festival de Cannes, The Prodigies – distribué par Warner Bros – est l’un des événements très attendus de l’animation cinématographique française de l’année 2011…

 

 

CinéChronicle : Parmi les réalisateurs convoités sur le projet, avez-vous été le seul à proposer la Motion Capture ? Et comment les producteurs Marc Missonnier et Aton Soumache sont-ils arrivés jusqu’à vous ?

Antoine Charreyron : J’étais l’un des meilleurs dans mon domaine et l’un des premiers. Cela faisait déjà 5 ans que je faisais de la réalisation en motion capture avant qu’on me propose ce projet en 2007. Personne n’utilisait cette technologie dans le monde hormis les grands studios comme Weta. Depuis 2002, le producteur Marc Missionnier voulait faire un film ado adulte, violent, sans concession et souhaitait vraiment garder l’idée du jeu des mouvements des comédiens humains, même lorsque le projet est passé à l’animation. Il y avait donc deux solutions : soit faire du Arthur avec la rotoscopie, soit de la Motion Capture, essentiellement utilisée dans l’univers des jeux vidéo, et ça devenait alors une première car Avatar n’était pas encore sorti. Je savais gérer la violence en 3D, je venais de travailler sur les cinématiques des jeux Terminator 3 et Tomb Raider et pour des personnalités comme 50Cent et Vin Diesel. J’étais dans cette mouvance comics, jeux vidéo et super pouvoirs alors que d’autres réalisateurs se tournaient vers le familial. Je leur ai donc montré mes films avec ce procédé et expliqué ma vision par rapport au roman.

 


CinéChronicle : Avez-vous rencontré Bernard Lenteric ? Comment cela s’est-il passé ?

Antoine Charreyron : Tout à fait. Je suis un grand fan du livre, que j’ai lu quand j’avais 12 ans, et comme il s’agissait d’une adaptation libre, je voulais respecter l’auteur. J’ai rencontré Bernard Lenteric avec le scénario qu’on m’a livré et on a discuté ensemble car je voulais être sûr qu’il l’approuve. Chose qu’il a faite. J’ai eu plusieurs réunions avec lui sur les lignes de direction qu’on allait prendre avec les personnages que l’on voulait garder, car on a réduit à 5 les prodiges, la transposition du récit des années 1980 à nos jours et l’ajout des pouvoirs à la place du braquage des distributeurs de banque, qui n’a plus rien d’impressionnant aujourd’hui. Fidélité avait déjà fait plusieurs versions avant de trouver l’axe définitif via l’animation et que je n’arrive sur le projet. La plus grande difficulté était d’adapter l’histoire du roman s’étalant sur plus 10 ans et compacter ce temps dans une 1h30 d’animation.

 

 

CinéChronicle : The Prodigies est finalement une adaptation ‘très libre’ du roman de Bernard Lenteric, vous ne risquez pas de décevoir certains fans du livre alors que les premières annonces partaient sur une adaptation ?

Antoine Charreyron : Si les fans n’aiment pas la transposition, c’est un autre débat que je ne peux contrôler en tant que réalisateur car je ne suis pas le scénariste. L’affiche annonce ‘adapté librement’ et le titre est devenu assez rapidement The Prodigies. Malheureusement tout est une histoire de communication et on est parti très vite sur l’adaptation de La nuit des enfants rois sans trop donner d’explications. Pendant le développement, j’ai fait régulièrement venir des fans du roman qui m’ont confirmé que je n’en avais pas trahi l’esprit, ce qui était pour nous fondamental. Marc Missionnier – fan ultime du livre – et moi-même, on s’est battus tous les deux pendant des mois pour conserver la séquence d’amour entre Jimbo et Lisa, ne serait-ce qu’en rêve. Mais on n’a pas pu la garder car elle ne fonctionnait plus avec le scénario. On a essentiellement suivi Jimbo et son passé dont des éléments de l’enfance ont été ajoutés.

 

CinéChronicle : Avez-vous eu un droit de regard sur le scénario ?

Antoine Charreyron : Comme c’est une commande, l’idée ne vient pas de moi et je ne suis pas crédité au scénario, mais j’ai eu un droit de remarques.

 

CinéChronicle : On aurait bien souhaité 1/2 heure de plus au film…

Antoine Charreyron : Oui on aurait mérité quinze minutes de plus, au minimum, pour développer les personnages. Mais en animation, le budget donne le minutage du film et on avait 87 minutes. C’est contractuel. Au final, The Prodigies a été développé sur un peu plus de trois ans – au lieu de deux années prévues – et contient exactement 1387 plans sur 87 minutes.

 


CinéChronicle : Comment s’est passée votre collaboration avec Viktor Antonov et les dessinateurs de chez Marvel, Humberto Ramos et Francisco Herrera ? Sont-ils arrivés avant ou après vous ?

Antoine Charreyron : Je les ai fait venir sur le projet. J’ai vraiment eu la chance de travailler avec des super producteurs qui ont été à l’écoute, avec cette envie de faire un film différent. Je suis fan du travail de Humberto Ramos et de Francisco Herrera et de leurs comics que je lisais adolescent. Je suis donc allé au ComicCon de San Diego en 2007. Je les ai rencontrés le dernier jour avant de rentrer en France et, en une heure, je leur ai présenté et proposé mon projet qu’ils ont accepté. Trois mois après, ils étaient à Paris pour se charger du design des personnages. Pour Viktor Antonov, j’avais plein de visuels en tête. Je ne voulais pas aller vers le photoréalisme, mais avoir un rendu beaucoup plus graphique. Je suis également fan de son travail sur Half Life 2 et Team Fortress 2 qui sont des références incontournables du jeu vidéo. On a vu plein de designers et de concepteurs, mais cela ne collait pas. Et puis on m’a fait rencontrer quelqu’un à qui j’ai présenté les visuels de ces deux jeux et il s’est avéré que j’étais en face de Viktor Antonov que je n’avais jamais vu !

 

 


CinéChronicle : Comment avez-vous travaillé avec Viktor Antonov ?

Antoine Charreyron : On s’est enfermés pendant une semaine chez moi pour préparer dans un schéma excel, toute la musicologie qui représente les courbes d’intensité du film, sur différentes couleurs selon la force des scènes. On avait déjà un premier draft du scénario complet sur lequel on a pu travailler. On s’est également penché sur le style graphique, car dans certaines scènes, je ne voulais pas de décors, mais uniquement des corps en mouvement pour un rendu viscéral. On est ensuite passer en ‘conseil de discipline’ avec tous les producteurs pour leur présenter notre vision dans un document qui faisait bien 2 mètres, avec la musicologie et les dessins de Ramos et Herrera. C’est une mécanique de fabrication bien industrialisée et bien carrée, typiquement américaine.

 


CinéChronicle : Quelles ont été les plus grandes difficultés que vous avez rencontrées pendant la conception du film ?

Antoine Charreyron : On m’a déjà posé la question et je n’ai pas vraiment de réponse. On n’a pas eu de réelles difficultés. J’ai passé trois ans à fabriquer ce film. Il fallait déjà tenir ce temps, de manière intensive et même ça, ça n’a pas été très difficile en fin de compte. Le seul « problème », a été la séquence de cauchemar où New York est détruit. Elle était compliquée à mettre en place car elle ne figurait pas dans le script et était donc hors budget. J’en avais eu l’idée et les producteurs ainsi que les équipes techniques m’ont suivi. J’avais gardé en souvenir ce que m’avait conseillé la sœur de Vin Diesel à l’époque où j’ai travaillé avec lui. C’était de toujours faire des trailers shots. C’est également une méthode typiquement américaine qui permet d’avoir 2 ou 3 plans iconiques et marquants pour pouvoir les intégrer dans la bande-annonce. Sinon même les idées foireuses n’ont pas été une complication en soi. Elles rentrent dans le processus de travail d’un réalisateur. J’ai commencé dans le jeu vidéo et notamment aux côtés de Pierre Coffin qui a réalisé Moi Moche et Méchant. Il m’a vite fait comprendre qu’un réalisateur a besoin d’une équipe. Depuis j’ai 5 personnes qui sont comme ma famille et avec lesquelles je travaille tout le temps. Elles sont comme des garde-fous sur toutes les idées que je peux avoir.

 


CinéChronicle : Vous avez quand même gardé l’idée du manga pour les moments les plus violents, de la scène d’ouverture et la ceinture rouge à la séquence clé à Central Park. C’était un choix de départ ?

Antoine Charreyron : La logique de création vient d’abord des comics avant les mangas, même si les traits viennent du manga. La règle est de construire d’abord les décors et dès les scènes de bagarres, tout l’arrière plan disparaît pour se focaliser sur les personnages, car les dessinateurs doivent faire 22 planches par mois et ils n’ont pas le temps de tout dessiner. L’idée était donc d’utiliser dès le départ cette règle, sur la vision qu’on peut avoir du monde et particulièrement sur celle décuplée par ceux qui subissent la violence et la douleur. Les adultes deviennent alors des monstres dans la séquence d’ouverture avec la ceinture rouge, qui est un élément de la douleur, et dans celle du viol à Central Park. Je n’ai pas fait d’école de cinéma, je viens du jeu vidéo, du comics et j’ai amené ce qui moi me parlait, à des personnes qui sont du cinéma comme Fidélité, Onyx mais aussi Mathieu Kassovitz et Klaus Badelt le compositeur, qui ont été pour moi des gardiens importants.

 


CinéChronicle : Mathieu Kassovitz s’est imposé de suite pour incarner la voix de Jimbo ?

Antoine Charreyron : Depuis le premier jour, j’ai dit que la voix de Jimbo ce sera Mathieu Kassovitz. Non pas pour le plan marketing et la star qu’il est, mais pour le côté adolescent devenu adulte. On a d’ailleurs soigneusement travaillé la voix pour qu’on ne le reconnaisse pas immédiatement. Mathieu et moi nous nous sommes rencontrés sur Babylon AD où on a passé ensemble des mois d’enfer. Il a vraiment participer à The Prodigies pour moi. C’est quelqu’un de très attachant et avec beaucoup d’humilité. Quand il aime bien les gens il le rend bien. Il m’a vraiment guidé sur le processus du projet.

 


CinéChronicle : quels sont vos réalisateurs de référence ?

Antoine Charreyron : Je vais être très générique. C’est Spielberg par son côté spectacle et une réalisation marquée par son style de mise en scène des années 80, même encore actuellement en dépit du fait qu’il soit devenu très maniéré. On pouvait reconnaître sa patte par rapport à certains de ses plans. James Cameron pour ses leçons de cinéma notamment pour Titanic car il a réussi à m’accrocher dans une histoire d’amour avec un bateau qui coule. Et enfin David Fincher pour tous les sujets assez violents et sa manière de les réaliser. Mais j’ai compris rapidement qu’il fallait être généreux avec le public et essayer de leur donner le maximum. Si le thème est la violence, il faut pouvoir marquer les esprits dès les premières minutes du film. La séquence d’intro de The Prodigies est inspirée en fait du premier Scream avec le dingue au téléphone. J’avais lu une interview de Wes Craven qui disait « dans un film d’horreur, ce qui compte ce sont les 5 premières minutes car c’est ce qui bande l’arc. Après on décoche la flèche et on va jusqu’à la fin du film ».


CinéChronicle : Quels sont vos projets futurs ? Avez-vous prévu une suite à The Prodigies ?

Antoine Charreyron : La fin est ouverte. Ce sera l’histoire des enfants si elle existe. On développera notamment le personnage de Lee qui est complètement survolé dans le film. Mais une suite est effectivement prévue avec des bases déjà élaborées par Viktor Antonov et moi-même. Au début du projet, on avait développé une préquelle sur l’histoire de Killian en BD, qui devrait devenir un comics dessiné par Humberto et Francisco. On avait également développé un jeu vidéo qui devait être la suite directe du film. Mais il n’a pas pu se monter dans les temps de production, car le développement du film a dépassé les deux ans de fabrication prévue. Sinon j’ai eu plein de propositions aux Etats-Unis depuis les trailers, les extraits et la projection à Cannes. Mais grâce à mon expérience sur Babylon AD, je sais qu’il ne faut pas aller trop tôt aux Etats-Unis. Marc Missionnier m’a proposé de faire au moins deux films avec Fidélité et Onyx. Le premier serait l’adaptation de la BD Naja de Jean-David Morvan et Bengal, en prise de vue réelle et en 3D relief, et pour laquelle je serais attaché au scénario. Le second serait un film de transition et un mixe entre la prise de vue réelle, la mocap et le relief. Et si tout se passe bien un troisième film d’envergure en mélangeant toutes les techniques que je connais.

 

 

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