Résumé : Des héros solitaires et meurtris. Qui, obstinés jusqu’à l’obsession, se méfient des normes et des institutions officielles. Qui font volontiers usage de la violence, et en sont aussi les victimes, dans un monde sans pitié qui ne leur a jamais laissé le choix. D’un film à l’autre, en soixante ans de carrière, Clint Eastwood a su mettre en scène, grâce à sa magistrale utilisation du clair-obscur, une Amérique déchue où hommes et femmes sont hantés par leurs souvenirs, leurs remords, et leur souhait de rédemption. Mais ces individualistes forcenés rêvent aussi d’une Amérique utopique, celle des grands espaces de l’Ouest sauvage, où marginaux et laissés-pour-compte trouvent enfin leur place, où les injustices fondamentales sont réparées, où l’amour peut enfin être vécu totalement. Cette œuvre complexe et paradoxale est aujourd’hui plébiscitée par le public comme par la critique. De A comme American Sniper ou Amitié à W comme Western ou Forest Whitaker, sans oublier Le Bon, la brute et le truand, Million Dollar Baby ou Sur la Route de Madison, ce dictionnaire décrypte toute l’œuvre de Clint Eastwood, acteur et réalisateur mythique qui n’a jamais renoncé à conjuguer cinéma d’auteur et succès populaire.
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Gros plan. Les yeux plissés fixent le lointain, les dents se serrent et soulignent la présence d’une mâchoire affirmée tandis que les traits marqués du visage évoquent la puissance d’une détermination à toute épreuve. À n’en pas douter, Clint Eastwood est une icône, une image de marque à la mythologie universelle. Après l’acteur, c’est le réalisateur que le public et la critique admireront unanimement. Les traits distinctifs du premier se retrouvent d’ailleurs chez le second : âpreté de la forme, goût prononcé pour l’ombre et l’ambiguïté du discours. Pour en savoir plus sur l’histoire de cette figure incontournable du cinéma américain, reportons-nous à l’entrée « Carrière » du Dictionnaire Clint Eastwood, composé d’une main de maître par Andrea Grunert, enseignante en cinéma à l’Université Protestante des Sciences Appliquées de Bochum en Allemagne. Après le western, le cinéma documentaire, le cinéma fantastique et Steven Spielberg, c’est donc au tour d’Eastwood de se voir honorer par les éditions Vendémiaire d’un dictionnaire dont le petit format ne reflète pas la richesse d’érudition. Dès la première entrée consacrée aux acteurs, la forme choisie apparaît comme une nécessité méthodologique. Acteur au style classique, animé par une certaine tempérance que vient nourrir une énergie violente et brutale, le physique d’Eastwood le rapproche de ses contemporains du Nouvel Hollywood tout en convoquant une singularité propre à l’aura des stars hollywoodiennes. Passé réalisateur, Eastwood se révèle être un directeur d’acteurs soucieux du bien-être de ses interprètes, préservant leur sensibilité à travers une douceur qui n’enlève rien à sa volonté de maîtrise et à son implacable efficacité.
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À travers ses quelques deux cents entrées, le Dictionnaire Clint Eastwood cherche à analyser les différents aspects d’une persona qui, plus qu’aucune autre, apparaît aujourd’hui comme l’incarnation d’une certaine image de l’Amérique. On ne s’étonne donc pas de trouver aux côtés des films réalisés et/ou interprétés par l’acteur-cinéaste, certaines entrées consacrées à des notions plus générales, relevant de la sociologie ou de l’histoire du cinéma (« Amérique », « Homosexualité », « Melting-pot », « Famille », « Afro-Américains », « Film noir », « Film policier », « Western », entre autres exemples). On regrette cependant l’absence d’entrées plus anatomiques qui auraient pu informer sur les qualités de jeu de l’acteur Eastwood (le regard, le geste…). Volontiers thématique, l’approche adoptée par l’auteure dépasse le seul recensement encyclopédique pour entrer dans le détail, n’hésitant pas à prolonger une thématique sur plusieurs pages ou à structurer une entrée en différentes sous-parties. Ce dictionnaire prend alors la forme d’une monumentale monographie. On revient sur ce point à l’entrée « Noir » qui décline en trois pages les différentes facettes du style eastwoodien à partir d’une seule couleur. Les références picturales (Rembrandt, Le Caravage) et cinématographiques (George Stevens, Akira Kurosawa) éclairent les origines d’une forme qui apparaît progressivement comme un motif tout à la fois formel et dramatique.
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Andrea Grunert va même jusqu’à prouver que l’obsession du réalisateur pour les ténèbres chromatiques influencera la manière de travailler de ses chef-opérateurs (John Surtees, Jack N. Green). Car l’un des multiples intérêts de cet ouvrage est de parvenir à aménager un espace conséquent aux collaborateurs de création : des acteurs aux scénaristes en passant par les compositeurs, les décorateurs et les chefs-opérateurs, sans oublier les studios et les cinéastes avec lesquels Eastwood a tourné. Les illustrations couleurs insérées au milieu de l’ouvrage permettent quant à elles de revenir de manière bienvenue sur certaines notions telles que la direction d’acteurs, le contraste visuel, mais aussi d’expliciter encore un peu plus certains enjeux thématiques, tels que la place des femmes ou la représentation de l’Amérique. Richement référencé, passionné et passionnant, ce Dictionnaire Clint Eastwood devrait ravir les spécialistes comme les spectateurs soucieux de parfaire leur culture cinématographique.
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- DICTIONNAIRE CLINT EASTWOOD par Andrea Grunert disponible aux Éditions Vendémiaire depuis le 20 octobre 2016.
- 256 pages
- 28 €