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[Copyright©ND – archive presse sept 2007] On ne compte plus les films à succès qui ont fait de Cédric Klapisch, un des auteurs et cinéastes ultraplébiscités. Février 2008, PARIS débarquera sur nos écrans. Profitons-en pour découvrir l’homme qui a réinventé la comédie dans le paysage cinématographique français.
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Des débuts déterminants
Passionné dès l’âge de 12 ans par la photographie, c’est dans le cadre du lycée qu’il fait ses premières expositions. Bac en main, il rentre à Khâgne Hypokhâgne et prend option philosophie. Premier contact avec l’écriture où il acquiert un savoir faire rédactionnel. Il tente l’IDHEC, anciennement la Fémis, où il n’est pas reçu. Il s’oriente alors vers Censier et obtient une maîtrise de cinéma. Ces deux années lui permettent de découvrir tous les grands classiques américains, japonais, français et surtout de connaître l’histoire du cinéma. Second échec à la Fémis. Sa déception est profonde, mais renforce sa détermination.
À l’époque, aucune école en France n’enseignait la dramaturgie. Cédric se tourne vers plusieurs écoles étrangères en Belgique, à Londres et aux Etats-Unis. L’université de New York répond favorablement et son père l’aide à financer ses cours. C’était l’époque d’Orson Welles, d’Alfred Hitchcock, de Woody Allen, de John Cassavetes, de Martin Scorsese et des acteurs comme Al Pacino, Dustin Hoffmann. Son attirance pour le cinéma américain devient l’évidence et lui fait comprendre de façon consciente qu’il a un problème avec la France.
C’est outre-atlantique qu’il apprend véritablement la dramaturgie et les notions d’une structure classique : Qu’est ce qu’un scénario, un personnage ? Comment diriger des acteurs ? Cédric doit désapprendre les préceptes de Khâgne et de Censier et ne plus être dans une réflexion analytique. Écrire une histoire n’est pas uniquement se référer aux règles du film noir ou de la nouvelle vague : « L’histoire n’est pas juste une idée, mais elle naît d’un désir avec enchaînement des actes. Il faut être dans la création sinon ce que l’on crée n’existe pas ». Comme Picasso qui, après avoir suivi un enseignement classique, a pu en déconstruire les règles. Et il y a autant de règles que de réalisateurs.
Grâce à des professeurs marquants et de son ami Tod Solondz, célèbre aujourd’hui, avec lequel il partage une vision du monde, Cédric Klapisch réalise son premier court-métrage In transit. Des rencontres avec Jim Jarmusch et Spike Lee, lors de conférences dans sa classe, ont été décisives et ont contribué à la réflexion de son second court-métrage.
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A la recherche de la création
Ce qui me meut est un petit bijou cinématographique. Influencé par Zélig de Woody Allen, Cédric Klapisch avait envie de faire un faux vieux film muet et de chercher pourquoi le cinéma avait été inventé. En créant un nouveau genre cinématographique, il avait l’impression de commencer sa vie de cinéaste. Cédric savait qu’Etienne-Jules Marey avait eu une importance avant les frères Lumière, c’est lui qui avait conçu la caméra. Il trouvait intéressant qu’un scientifique étudie le mouvement, la locomotion, les animaux et tente de répondre à des questions fondamentales. Pourquoi le cinéma avait été inventé en étudiant le galop du cheval ? Pourquoi la locomotion et l’étude du mouvement étaient liées à l’invention du cinéma ? Etienne-Jules Marey s’est servi de la photographie pour fabriquer le cinéma.
Cédric s’est identifié à lui avec l’envie de passer à l’image en mouvement : « Étudier le mouvement d’une manière objective et scientifique alors que l’on recherche l’émotion était la question à laquelle je voulais répondre dans le film. L’émotion n’est pas quelque chose d’explicable. Dans le cinéma, il y a un rapport quantifiable et technologique : c’est la caméra avec 24 images seconde et des histoires assez techniques de profondeur de champs, de diagramme, de lumière, d’effets sonores. On cherche à échapper à toute cette technologie pour laisser place à l’émotion et aux mystères de la création ». Cédric reconstitue des images réalisées avec des caméras manivelles qui donnent la sensation d’images d’archives.
L’écriture et les recherches ont été rapides, mais il a mis deux ans avant de trouver les fonds : « Le projet était trop ambitieux (env 75 000 euros) et trop bizarre. Le CNC avait d’ailleurs refusé le projet ». Ce fut un moment fort où il a failli abandonner et faire un autre métier. Sans l’aide de la production Lazennec, d’Arte et de Canal+, il n’aurait pas pu faire du cinéma…
Parti de la phrase anglaise « What moves me » qui définit clairement la relation entre « ce qui me fait bouger » et « ce qui m’émeut », Ce qui me meut répond à la propre caractérisation de Cédric Klapisch. Le mouvement de la vie est lié à l’émotion et c’est cette émotion qu’il crée dans ses films. Donner ce même nom à sa maison de production après 4 longs-métrages est la résultante de ce qu’il est et ce qu’il réalise. Pourtant ses premiers scénarios ont été écrits dans la violence : « La qualité de ce que j’écrivais était liée à la souffrance que je vivais. C’était un peu une idée française où la création doit se faire dans la souffrance. Ce qui est faux. Aujourd’hui, il faut faire aussi confiance à l’idée écrite en bout de table et inclure la notion de plaisir ».
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De l’intuition à l’écriture
Seul ou à plusieurs, Cédric Klapisch a toujours une trame solide pour chacun de ses scénarios et construit des personnages qu’il réoriente en fonction des acteurs. « Le scénario n’est pas une étape définitive du cinéma et de l’écriture cinématographique. Il y a quelque chose dans le papier qui est faux et qui devient vrai dans la chair et dans la bouche des acteurs ; c’est la notion d’incarnation. Pas de caméra stylo puisqu’il y a une trame de base. L’improvisation est possible lorsqu’on sait de quoi on parle ». Ses intuitions se fondent sur sa sensibilité face au monde qui l’entoure et sont souvent le reflet de ce qu’il est à l’instant T.
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Pour son premier long-métrage Riens du tout, co-écrit avec Jackie Berroyer, Cédric Klapisch avait envie de parler de gens perdus au milieu d’une foule, d’entreprise et de libéralisme. Il y avait forcément beaucoup de personnages liés dans l’histoire. C’était l’apprentissage d’un point de vue narratif car c’est un film sans héros. Découvrir tous ces acteurs de tous âges plus ou moins aguerris lui a donné le goût du casting et de franchir la peur de la rencontre. Le personnage du nouveau PDG Monsieur Lepetit avait été écrit pour Michel Blanc qui a refusé, c’est finalement Fabrice Luchini qui a accepté le rôle sans hésiter. Il a aussi beaucoup retravaillé les personnages de Karine Viard et de Zinédine Soualem qu’il aimait particulièrement. Le but du film était de faire exister chaque personnage car chaque rien du tout devient un tout qui existe à un moment.
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Le péril jeune partait d’une commande : inventer un scénario qui part de l’idée d’un lycée en 1975. Cédric a écrit avec Santiago Amigorena, Alexis Galmot et Daniel Thieux enfermés 12 heures par jour dans une maison pendant 3 semaines, totalement repliés sur eux-mêmes. Ils se sont alors penchés sur la question : qu’est ce que c’est que d’avoir 17 ans ? Puis il a rencontré Romain Duris, il avait 18 ans.
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Chacun cherche son chat, il a écrit seul chez lui. Il avait envie de parler de Paris, des vieux, de l’évolution d’un quartier, le mélange entre les gens branchés et le vieux Paris. La structure importante faisait 70 pages sur 120. Il a remanié et écrit les pages supplémentaires aux heures de déjeuner pour les acteurs qui jouaient dans l’après-midi. Le hasard a remis Romain Duris sur son chemin.
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Pour Un air de famille, Cédric Klapisch a accepté d’adapter à la demande d’Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri cette pièce de théâtre, comédie grinçante, qui remporte le César du Meilleur scénario. De nature curieuse, il ne s’enferme pas dans un genre. Il le démontrera encore avec le polar Ni pour ni contre (bien au contraire).
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Écrire en quinze jours
Pour Peut-être, en 1999, Cédric Klapsich retrouvait ses co-scénaristes Santiago Amigorena et Alexis Galmot en 1999. L’approche de l’an 2000 l’intéressait. L’imagerie de l’an 2000 au cinéma n’est représentée que par des soucoupes volantes et la technologie. Cédric avait envie d’inventer un nouveau futur lié à la récupération car « peut-être » que dans une cinquantaine d’années, la vie sera plus archaïque qu’aujourd’hui avec moins de confort, sans électricité, sans eau potable… Il s’est appuyé sur des références littéraires comme Queneau, Boris Vian, Murakami ou Voltaire.
Le projet du film a mis cinq ans à voir le jour, avec une quarantaine de versions et a eu du mal à trouver des producteurs. Il était trop ambitieux (10 millions d’euros). Le cinéaste avait écrit pour Mathieu Kassovitz, qui n’a pas pu le faire. Romain Duris a pris le rôle. Cédric a réorienté l’écriture de son personnage et c’est à ce moment qu’ils ont appris à se connaître. Si le film a eu des difficultés auprès du public, l’erreur narrative provenait des deux tons ; fantastique et réaliste. Cela ne fonctionnait pas et a déstabilisé le spectateur.
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Le scénario de L’auberge espagnole a été écrit en 15 jours. En solitaire. Il n’y a pas eu de réécriture. La sœur de Cédric avait fait Erasmus quelques années plus tôt. Il avait une intuition sociologique qui le touchait personnellement. Il était nécessaire de parler de l’Europe, de la communauté et du moment où l’on est étudiant : « La communauté hippie des années 70 a évolué et la colocation est une résolution. Elle dénoue ce que la communauté hippie n’arrivait pas à résoudre ». Cédric a trouvé la structure globale narrative du film en scooter. Il s’est arrêté, a sorti son palm et a écrit la structure et le dialogue de la fin « Tout a commencé là…. ». Ce fut un vrai moment d’émotion, une charge émotive. Il savait que cette base serait solide et qu’elle ne changerait pas. Et tourner en HD était une nouvelle expérience : « C’est aussi cela un scénario, une boîte à désir. Comment caser tous ses désirs dans cette boîte ? Et comment utiliser l’énergie du premier jet ? »
Le personnage de Xavier avait été écrit pour Romain Duris. Cédric était conscient qu’il représentait quelque chose pour le public et les gens de sa génération : « Comment l’expliquer ? Tout est lié à son talent et parce qu’il est beau. C’est ce qu’on appelle une star ! » Il avait 25-27 ans, c’était le moment de le faire. Leur relation a été très évolutive. Ils sont devenus amis très tard.
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Pour Paris, Cédric Klapisch avait envie de parler de mixité sociale et raciale : Paris est devenue une ville un peu trop critiquée où beaucoup tiennent de mauvais discours. Je voulais montrer ce qu’est devenu Paris avec l’embourgeoisement et l’immigration. Quatre mois d’écriture, seul. L’histoire est un vrai patchwork dans le ton de Short Cuts de Robert Altman. Il y a une dizaine d’acteurs Juliette Binoche, François Cluzet, Zinédine Soualem et Romain Duris en personnage central.
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Une réflexion engagée
Cédric Klapisch est coprésident avec Pierre Salvadori et Christian Vincent de la Société des Réalisateurs de Films (SRF), fondée en 1968 par une vingtaine de réalisateurs dont Jacques Rivette, Robert Bresson, Claude Berri… Il se charge de défendre les libertés artistiques, morales, professionnelles et économiques de la création et de participer à l’élaboration et à l’évolution des structures de cinéma dont la Quinzaine des réalisateurs.
Il est également tourné vers les élections, les sans papiers… C’est un citoyen engagé qui s’insurge quand il y a des choses qui ne lui plaisent pas. Ces films ne sont pas pour autant du cinéma engagé comme peut le faire Costa Gavras ou encore Ken Loach. Il écrit par rapport à un public et essaie d’ouvrir les esprits en gardant un certain recul avec des thématiques à messages politiques. L’ « intellectuel engagé » issu de l’imagerie Jean-Paul Sartre lui paraît ringard. Il n’a pas envie de personnifier cette image. Et le divertissement ne se fait pas en dehors de la réflexion philosophique ou politique. En revanche, le divertissement pur l’angoisse même s’il aime Weber, Guitry ou encore « L’homme de Rio » de Philippe de Broca.
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Laisser vivre et ressentir
En matière de mise en scène, Cédric Klapisch fait confiance à son feeling. Il n’a pas de méthode particulière. Il peut l’intégrer pendant l’écriture et au moment du tournage. Pour Ni pour ni contre (bien au contraire), c’était pendant l’écriture. Il avait des idées visuelles : « Lors d’une scène où Vincent Elbaz va tuer les gens, je voulais qu’il soit éclairé en rouge. Il devait dire une phrase au moment où il se trouve derrière la voiture pour avoir les phares rouges sur son visage ».
Le principe est le même pour la phase musicale. Il a des goûts très éclectiques. On peut retrouver des extraits de Chopin dans Chacun cherche son chat, de Brahms, de Radiohead dans L’auberge espagnole et une multitude de musiques composées par Loïk Dury avec qui il travaille souvent : « C’est tellement dingue ce qui se passe dans le rapport de l’image et du son. Certaines musiques me viennent dès l’écriture et je sais que je vais les retrouver dans le film ». Il joue d’ailleurs les musiques sur les plateaux. Cela a été le cas avec Daft Punk dans L’auberge espagnole, dans la scène de la sortie de la Paloma où toutes les images se succèdent. En l’annonçant aux acteurs, il a réussi à influencer leur jeu en apportant une émotion rythmique. Chaque étape est un moment de vie ; l’écriture, le tournage, le montage. S’il y a de la vie dans ses films, c’est parce qu’il a laissé vivre tous ces moments de vie : « Contrôler son scénario rend souvent un film trop bien écrit. C’est ce qui peut se passer dans des films chorals comme Magnolia, Collision, Babel… »
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Regard sur le cinéma
Ce qu’il aime dans le cinéma français d’aujourd’hui, c’est qu’il y a une vraie écriture comme Chéreau « La reine Margot », Audiard « De battre mon cœur s’est arrêté », Jean-Pierre Jeunet ou encore le duo Bacri/Jaoui. Il n’y a pas un cinéma français, mais des cinémas français qui ne veulent plus être dans le format. Tout comme le cinéma américain qui n’est pas que le blockbuster même si certains recherchent encore les ficelles. Il y a également un cinéma d’auteur. Clint Eastwood « Iwo Jima » est un cinéaste académique et classique, mais reste un auteur.