Gemma Bovery de Anne Fontaine : critique

Publié par CineChronicle le 17 août 2014

Synopsis : Martin, pur produit de la classe moyenne parisienne, quitte le milieu de l’édition pour reprendre la boulangerie paternelle en sa Normandie natale. Il s’apprête à mener une vie calme et tranquille, mais l’arrivée d’une jeune anglaise, Gemma Bovery, va tout bouleverser. Il en tombe amoureux, et frappé par la coïncidence onomastique,  ce littéraire un peu trop rêveur, va voir en elle un double contemporain d’Emma Bovary, l’héroïne du roman de Flaubert.

 

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Gemma Bovery - affiche

Gemma Bovery – affiche

Un an après le sulfureux PERFECT MOTHERS, Anne Fontaine renoue avec sa veine comique en livrant une rêverie littéraire et amoureuse aux accents flaubertiens dans Gemma Bovery. Elle poursuit avec sa finesse habituelle son auscultation des couples et de leurs petits travers, la transgression en moins. En effet si son cinéma a souvent exploré les zones de troubles, cette comédie se destine plutôt à être une jolie romance pleine de charmes. Certes l’œuvre de Flaubert avait fait en son temps scandale, mais elle est devenue aujourd’hui banale sur le plan moral. Cependant il ne s’agit pas ici d’une adaptation contemporaine de l’intrigue de l’écrivain du 19e siècle. Le scénario, coécrit par Anne Fontaine et Pascal Bonitzer, est en fait tiré du roman graphique de Posy Simmonds retraçant le récit d’un homme fasciné par une femme qu’il trouve Bovery. Et qui mieux que Gemma Arterton, après avoir déjà incarné une jeune et jolie journaliste au charme ravageur dans Tamara Drew de Stephen Frears – également tiré d’une oeuvre de cette même auteure – pour prendre les traits avec sensualité d’une autre femme fatale. Face à elle Fabrice Luchini lui prête main forte dans le rôle de son voisin Martin. Acteur idéal pour jouer ce type de personnage intellectuel, rêveur et romanesque. Après Alceste à bicyclette l’année dernière, il se retrouve à nouveau dans un projet mariant cinéma et littérature. Martin ne s’attend pas à mener une vie idyllique ni à se ressourcer au contact de la nature en retournant dans sa Normandie natale pour reprendre la boulangerie paternelle. Cet homme désabusé s’apprête avec résignation à vivre une existence monotone.

 

Gemma Arterton dans Gemma Bovery de Anne Fontaine / © Jérôme Prébois / Albertine Productions - Ciné-@ - Gaumont - Cinéfrance 1888 - France 2 Cinéma

Gemma Arterton dans Gemma Bovery de Anne Fontaine / © Jérôme Prébois / Albertine Productions – Ciné-@ – Gaumont – Cinéfrance 1888 – France 2 Cinéma

 

En dépit du portrait de ce héros a priori un peu terne, Gemma Bovery est une œuvre sur la beauté. La campagne française n’était jamais apparue aussi bucolique que sous la caméra d’Anne Fontaine. Tout regorge de belles images presque irréelles, aux lumières dorées et aux tons pastels. On est absorbés par des paysages de carte postale qui pourraient appartenir à la Normandie fantasmée du jeune couple britannique emménageant dans la région. Tous deux sont amoureux des belles choses. Charles Bovery (Jason Flemyng) est restaurateur d’œuvre d’art, Gemma est une décoratrice d’intérieur. C’est une femme pleine de charme qui s’émerveille de tout, des fleurs des champs et de la miche de pain du boulanger local. Anne Fontaine saisit l’occasion pour se moquer gentiment de ces anglais enclins à s’enthousiasmer pour l’art de vivre à la française, son cognac et sa cuisine. Si elle expose au passage un florilège de scènes parfois convenues sur les relations culturelles entre les Britanniques et les Français, Gemma Bovery exhale la fraîcheur et l’innocence, ce qui évite de réduire son intérêt à un quelconque émerveillement touristique de pacotille. Ceci est en partie dû à la performance de Gemma Arterton qui confère à son personnage une grâce lumineuse et une grande sensualité. Aux yeux de Martin, elle finit par apparaître comme l’incarnation de la femme idéale, même si elle n’a pourtant rien d’exceptionnel. Cette jeune femme vit son existence ordinaire et ses amours plus ou moins heureuses. Car si parfois elle peut sembler trop lisse et superficielle, le charisme et le charme naturel de l’actrice s’imposent avec ferveur.

 

Fabrice Luchini et Gemma Arterton dans Gemma Bovery de Anne Fontaine / © Jérôme Prébois / Albertine Productions - Ciné-@ - Gaumont - Cinéfrance 1888 - France 2 Cinéma

Fabrice Luchini et Gemma Arterton dans Gemma Bovery de Anne Fontaine / © Jérôme Prébois / Albertine Productions – Ciné-@ – Gaumont – Cinéfrance 1888 – France 2 Cinéma

 

Pourtant Gemma Bovery nous est tenue toujours à distance car elle est souvent vue par le prisme de Martin. Avec son attrait voyeur, il a la mauvaise habitude de l’épier pour tenter de dérober des moments de son intimité. Il devient finalement le plus proche du spectateur. D’autant qu’il endosse la fonction de narrateur avec des longs monologues jalonnant le récit. Il est de ceux qui soliloquent sans cesse, commentant intérieurement les moindres faits et gestes de ses contemporains. Ce procédé n’est pourtant ni artificiel ni pesant. Le film ne paraît jamais trop bavard. Il s’accorde tout à fait à ce personnage masculin, qui comble sa solitude en parlant souvent à son chien. Observant la vie de cette femme, il reste lui-même à distance de l’action. Mais de narrateur à metteur en scène il n’y a qu’un pas. Persuadé qu’elle va subir un sort funeste à l’instar de son double littéraire, il va tout faire pour tenter de la protéger. C’est finalement la grande question de l’œuvre d’Anne Fontaine : Gemma est-elle réellement le double du personnage de Flaubert ou est-ce seulement l’imagination de Martin ? Il est bien connu qu’il n’y a d’amour que dans l’imaginaire. En fin de compte, c’est sans doute ce dernier qui se rapprocherait davantage du personnage de Madame Bovary, femme prompte à faire de la vie un roman. La réalisatrice joue ainsi avec intelligence de l’intertextualité flaubertienne. Car à partir de certaines coïncidences, Martin va supposer l’existence d’une correspondance intime entre la vie fictive de l’héroïne littéraire et celle de sa charmante voisine. Il suffit qu’elle lui donne rendez-vous à la Cathédrale de Rouen, lieu où se joue une des scènes du roman, pour en faire une preuve que Gemma Bovery est Emma Bovary.

 

Fabrice Luchini dans Gemma Bovery de Anne Fontaine / © Jérôme Prébois / Albertine Productions - Ciné-@ - Gaumont - Cinéfrance 1888 - France 2 Cinéma

Fabrice Luchini dans Gemma Bovery de Anne Fontaine / © Jérôme Prébois / Albertine Productions – Ciné-@ – Gaumont – Cinéfrance 1888 – France 2 Cinéma

 

Dans un sens Gemma Bovery est une œuvre hautement prévisible pour ceux qui connaissent le roman. Mais tout le plaisir consiste à deviner comment les deux histoires (fictive et réelle) vont s’entrecroiser, et créer un léger écart entre les deux œuvres. Car la réalité ne se plie bien sûr pas toujours au rêve. Et l’humour ajoute tout le piquant à cette affaire. On retrouve ainsi ici la patte cinématographique d’Anne Fontaine, à savoir un mélange entre une certaine légèreté d’écriture, un style classique et un ton plus acide. La cinéaste livre au passage sa petite critique de la moyenne bourgeoisie au travers notamment d’une voisine quelque peu obsédée par son bien être personnel. Mais c’est surtout le contraste entre Gemma la naïve et Martin le désabusé, qui prête souvent à rire. Fabrice Luchini apporte son mordant habituel à ce personnage qui aurait pu devenir rapidement falot en amoureux éconduit. Mais ses longs monologues contribuent à donner à cette comédie un certain détachement ironique. On a cette impression permanente d’assister à un destin déjà écrit et vécu au travers du récit de Martin. Ainsi la cinéaste signe une œuvre légère, drôle et pleine de délicatesse qui se joue des références du roman avec esprit et intelligence.

 

Laetitia della Torre

 

 

  • GEMMA BOVERY réalisé par Anne Fontaine en salles le 10 Septembre 2014.
  • Avec : Gemma Arterton, Fabrice Luchini, Jason Flemyng, Isabelle Candelier, Kacey Mottet Klein, Niels Schneider, Edith Scob, Mel Raido.
  • Scénario : Anne Fontaine, Pascal Bonitzer d’après l’œuvre de Posy Simmonds.
  • Production : Philippe Carcassone, Matthieu Tarot.
  • Photographie : Christophe Beaucarne.
  • Montage : Annette Dutertre.
  • Décors : Arnaud de Moléron.
  • Costumes : Pascaline Chavanne.
  • Musique : Bruno Coulais
  • Distribution : Gaumont
  • Durée :1h39.

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