Synopsis : Trois amies embarquent pour une croisière. Mais au moment de partir, elles reçoivent une lettre d’une relation commune. Celle-ci les prévient qu’elle part avec le mari de l’une d’entre elles. Mais lequel ?
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Le distributeur Splendor Films a la bonne idée de ressortir Chaînes conjugales (1949), en version restaurée et en salles le 4 mai prochain. Ce joyau de Joseph L. Mankiewicz, avec pour têtes d’affiche Jeanne Crain (Péché mortel), Linda Darnell (La Poursuite infernale) et Ann Sothern (La Femme au gardénia), s’inspire du roman A Letter to Five Wives de John Klempner, publié pour la première fois en 1946. Produit par Sol C. Siegel pour la 20th Century Fox, qui possédait les droits du roman, il doit selon Zanuck, le patron de la Fox, être réalisé par Ernst Lubitsch. Mais celui-ci, déjà gravement malade – il décède en 1947 –, est remplacé par Mankiewicz, auréolé du succès de L’Aventure de madame Muir, et choix initial de Siegel. Du livre au cinéma, l’histoire subit pas mal de modifications au rythme des versions du scénario, signé finalement par Vera Caspary. La plus notoire, outre de passer de cinq à trois héroïnes, a été la décision de ne pas faire apparaître le personnage de Addie Ross, dont tous les personnages parlent, et auteure de la lettre qui déclenche l’intrigue et les soupçons. Parmi les maris des trois amies, lequel s’est envolé avec Addie en leur absence ? Réponse à leur retour, lors d’un coup de théâtre final savoureux, à défaut d’être totalement surprenant. La présence fantomatique de ce quatrième personnage féminin (interprétée en voix off par Celeste Holm, la future Karen Richards de Eve) est un des nombreux traits de génie de cette superbe comédie dramatique de Mankiewicz. Le spectateur récrée en effet dans son esprit cette Addie Ross, très belle jeune femme que tous décrivent par des adjectifs élogieux, à la limite de la déification. Ce « spectre » cristallise la jalousie, l’envie et l’admiration des trois autres femmes.
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Joseph L. Mankiewicz pose ainsi un regard acerbe sur les rapports hommes/femmes et l’hypocrisie du mariage, qu’il dépeint avec intelligence, férocité et humour. Deborah (Jeanne Crain), Lora (Linda Darnell) et Rita (Ann Sothern) ainsi que leurs maris respectifs Brad (Jeffrey Lynn), Porter (Paul Douglas), George (Kirk Douglas) dessinent trois couples symbolisant les mœurs de la société américaine de l’époque. La construction narrative, profondément astucieuse, achève de faire de Chaînes conjugales une œuvre à part. L’intrigue principale est entrecoupée par trois longs segments en flashback, constituant trois récits conjugaux séparés, un pour chaque personnage féminin. Trois histoires indépendantes qui peuvent chacune faire l’objet d’un film entier, et participent à l’originalité et l’attrait singulier du long métrage. Enfin, la longue tirade du personnage qu’incarne Kirk Douglas envers les médias (la radio) et la publicité, demeure célèbre et encore d’actualité par la profonde modernité de son discours. Ce passage a même subi les foudres de la censure, en étant tout simplement supprimé lors de certaines diffusions sur les chaînes de télévision américaines… Récompensé aux Oscars – meilleur réalisateur, meilleur scénario adapté, Chaînes conjugales reste un classique incontournable de l’âge d’or d’Hollywood et une des meilleures réalisations de Joseph L. Mankiewicz. Un petit bijou de psychologie à ne pas manquer dans les salles le 4 mai.
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- Ressortie de CHAÎNES CONJUGALES (A Letter to Three Wives) réalisé par Joseph L. Mankiewicz en salles le 4 mai 2016 en version restaurée.
- Avec : Jeanne Crain, Linda Darnell, Ann Sothern, Kirk Douglas, Paul Douglas, Barbara Lawrence, Celeste Holm, Jeffrey Lynn
- Scénario : Joseph M. Mankiewicz, Vera Caspary d’après l’oeuvre de Curt Goetz, John Klempner
- Production : Sol C. Siegel
- Photographie : Arthur C. Miller
- Montage : J. Waston Webb Jr.
- Décors : Thomas Little, Walter M. Scott
- Costumes : Charles Le Maire, Kay Nelson
- Musique : Alfred Newman
- Distribution : Splendor Films
- Durée : 1h43
- Date de sortie initiale : 30 novembre 1949
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