Résumé : Arnold Schwarzenegger est né une première fois en Autriche, le 30 juillet 1947. Le cinéma, lui, l’a fait naître comme prodige. Né d’un éclair prophétique dans Terminator, d’une expérience génétique dans Jumeaux, d’un rêve d’enfant dans Last Action Hero, il a traversé la fin du vingtième siècle comme un oracle, pour annoncer le destin de l’homme à l’époque de sa reproductibilité technique. Comme le Terminator, il est venu nous faire craindre le futur et en même temps nous le faire aimer. Comme lui, il est venu, sans contradiction, sonner le glas de l’humanité et en même temps la sauver, en prenant au pied de la lettre le rêve américain du self-made-man. Trente ans plus tard, la prophétie s’est réalisée : l’homme est devenu un cyborg. Et Schwarzenegger ? Qu’est-il devenu ?
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Mais qui es-tu Arnold ? Un champion de culturisme, une égérie de l’art moderne, un businessman avisé, une star hollywoodienne ou un homme politique ? Tout cela à la fois, rassemblé à l’intérieur d’un seul et même corps. Un peu à la manière d’un couteau suisse (autrichien en l’occurrence), Schwarzenegger est un outil efficace dont les nombreuses fonctionnalités se rattachent toutes à la même pièce, unique en son genre. Difficile dès lors de bien cerner cette persona aux multiples facettes. Schwarzenegger lance aux critiques et autres spécialistes un défi à la hauteur de sa carrure : hors-normes. Épreuve relevée avec brio par Jérôme Momcilovic, critique et journaliste pour la revue Chronic’art, dont l’essai apparaît aujourd’hui comme l’ouvrage français de référence consacré à cet acteur si particulier. Les quatre parties structurant l’écrit font état d’une évolution organique : de la naissance à la décrépitude, Schwarzenegger est étudié sous toutes les coutures. L’apparition du corps d’abord dont Momcilovic rattache la sidération consécutive à un procédé classique propre au cinéma hollywoodien. Pour audacieuse qu’elle soit, la comparaison avec Marlene Dietrich reste saisissante. Dans un cas comme dans l’autre, la star se détache d’une dialectique visuelle pour en formuler la synthèse absolue. Véritable « épiphanie » selon l’auteur, l’apparition de Schwarzenegger s’apparente à une révélation. Représentation iconique, figure allégorique, « créature cinématographique » (pour reprendre la belle formule proposée par Christian Viviani), l’acteur se confond avec une image. Logique en ce sens que le motif du miroir vienne ponctuer la lecture de l’essai. Momcilovic analyse avec détails certaines séquences pour souligner la parenté qui se tisse entre les différents films de l’acteur. Corps amovible et surhumain, Schwarzenegger incarne l’idéal du blockbuster. Machine partie à l’assaut du box office, la star convoque un modèle indépassable. Soumis au langage cinématographique, le corps sculptural confond l’intérieur et l’extérieur, les muscles tendus attestant d’un effort normalement invisible.
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Chez Schwarzenegger, l’exploration physique se confond avec la pénétration anatomique. L’alliage de métal du Terminator recouvre le corps qui était pourtant censé l’abriter, un contraste qui retrouve la fameuse mécanique plaquée sur du vivant chère à Bergson. Proche du palimpseste, la représentation de l’acteur embrasse tout un pan de l’histoire de l’art, du Penseur de Rodin aux films expérimentaux de Buñuel en passant par les peintures de Rembrandt et les chronophotographies de Muybridge. Les comparaisons esquissées par Momcilovic sont habiles, les références pointues et clairvoyantes. Anthropologie, psychologie, physiologie, esthétique ; pluri-disciplinaire mais cohérente, l’approche adoptée par l’auteur se confond avec la nature de son objet d’étude.
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Au fil des pages, Momcilovic décrit la confusion d’un corps et de sa fiction, le basculement progressif de la réalité dans son envers fantasmatique. Robot venu du futur ou guerrier ultra-musclé, Schwarzenegger fait état d’une amnésie aux accents idéologiques. À l’inverse d’un Stallone, soucieux de se plonger dans le passé pour réécrire l’histoire américaine, Schwarzenegger rêve d’un lendemain sans passé. Des concours de culturisme à la scène du spectacle politique, le passage prend la forme d’une continuité et non d’une rupture. Ce parcours du combattant qui est aussi celui d’un immigrant exemplaire aboutit pourtant à un paradoxe : si le corps se confond avec son image, que reste-t-il du premier lorsque la seconde entre dans l’ère de la reproductibilité infinie ? La perte de référent origine le reflet à l’intérieur d’une glace sans tain. Pour une icône, le vieillissement est insupportable, contrevenant à la structure immuable du mythe. Vanité vivante, le corps de Schwarzenegger fonctionne comme un rappel de notre propre condition humaine. La fiction doit alors se clore sur elle-même, un écueil nécessaire auquel échappe heureusement la réflexion de Momcilovic, demeurant jusqu’aux derniers pages bien vivante et ouverte aux interprétations les plus expertes.
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- PRODIGES D’ARNOLD SCHWARZENEGGER de Jérôme Momcilovic disponible depuis le 2 septembre 2016 aux éditions Capricci, Collection « La première collection ».
- 264 pages
- 18 €