Résumé : La polémique qui a accompagné la sortie en 2017 de Detroit aux Etats-Unis s’inscrit dans les vagues successives de succès et d’échecs, de scandales et de consécrations qui ont, depuis plus de quarante ans, balayé la carrière de Kathryn Bigelow, cinéaste majeure et pourtant mal identifiée par la presse et le public. Sans doute parce qu’elle est à la fois populaire et avant-gardiste, classique autant qu’expérimentale, post-féministe et politique. En redessinant à travers dix films (parmi eux, Aux frontiéres de l’aube, Point Break, Blue Steel, Strange Days, Zero Dark Thirty) les frontières éthiques, physiques et sexuées, les limites entre la vie et la mort, la réalité et la virtualité, Bigelow a fait exploser les genres cinématographiques. Son cinéma, voué aux cauchemars étasuniens, est tour à tour claustrophobe et libérateur, frontal et viscéral, entre fresque et spectacle, hyperréalisme et abstraction, intime et collectif. Cet ouvrage français, richement illustré, est le premier à se consacrer à l’oeuvre intégrale de la seule réalisatrice récompensée à ce jour par un Oscar (en 2010 pour Démineurs).
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Si Kathryn Bigelow est depuis quelques années considérée unanimement par la critique, le public et l’académie comme l’une des réalisatrices majeures du cinéma américain, les études qui lui sont consacrées demeurent, tout du moins en France, limitées. On peut donc se réjouir de cette parution signée par Jérôme d’Estais, déjà auteur de nombreux ouvrages sur le cinéma. Après une longue préface revenant sur la formation artistique et l’évolution de la carrière de Bigelow, l’auteur se focalise sur les films pour tracer une cartographie monographique marquée par le motif de la frontière, du passage, et de l’échange. Brouillant volontairement les pistes et les catégories, le cinéma de Bigelow suppose en effet une rencontre entre des tendances souvent opposées afin de bien souligner la porosité de leurs limites respectives. L’analyse de d’Estais est à la fois profonde, cohérente, et exhaustive. Avec perspicacité, l’auteur dresse une typologie des personnages dont les crises identitaires rencontrent la forme même de la mise en scène des films. Entre feu et eau, détail et vue d’ensemble, le cinéma de Bigelow rencontre des tendances héritées de sa formation en arts visuels (l’hyperréalisme) et tissent des liens avec les filmographies de certains de ses contemporains (Michael Mann, David Lynch…). Ces références et comparaisons assurent une compréhension sensible des différentes facettes de l’œuvre de Bigelow, entre figuration, dramaturgie et abstraction. À l’acuité de l’analyse s’ajoute un souci de description parfaitement pris en charge par la mise en page des éditions Rouge Profond. Comme à son habitude, l’éditeur a pris soin de multiplier les captures d’écran (d’excellente facture) pour amplifier le plaisir pris à la lecture de l’ouvrage. À ces différents éléments s’ajoute encore la présence d’une bibliographie particulièrement fournie qui permet d’orienter le lecteur vers différents chemins de traverse pour mieux appréhender l’originalité de l’œuvre de Bigelow. Cette annexe contribue en définitive à souligner la grande qualité scientifique et cinéphile de cet essai incontournable pour les (nombreux) admirateurs de la réalisatrice.
- KATHRYN BIGELOW. PASSAGE DE FRONTIÈRES
- Auteur : Jérôme d’Estais
- Éditions : Rouge Profond
- Collection : Raccords
- Parution : 19 mars 2020
- Langues : Français uniquement
- Format : 204 pages
- Tarif : 19 €