As Bestas de Rodrigo Sorogoyen : critique

Publié par CineChronicle le 21 juillet 2022

Synopsis : Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils ont une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique mais un grave conflit avec leurs voisins fait monter la tension jusqu’à l’irréparable…

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As Bestas - affiche

As Bestas – affiche

À l’inverse du précédent film de Rodrigo Sorogoyen, Madre, qui suivait une mère espagnole échouée sur une plage française, As Bestas se concentre sur la vie d’un couple français installé dans un village d’éleveurs espagnols. Dans les deux cas, l’origine étrangère s’ajoute à des divergences qui amènent une exclusion sociale. Mais là où Madre était le récit d’une rencontre, As Bestas s’attarde sur une escalade de tensions menant à une séparation tragique. Divisée en deux parties, l’histoire suit d’abord le conflit croissant opposant les paysans locaux à l’agriculteur français, Antoine, récemment installé. Celui-ci a pour projet, en plus du développement d’une agriculture biologique jugée ridicule, de rénover des logements pour attirer de nouveau la vie dans la vallée. Suite à un souvenir de jeunesse, il nourrit l’espoir de réanimer ce village déserté par les jeunes générations. De fait, il s’oppose donc à la vente des terres, convoitées par un groupe industriel pour y construire des éoliennes. Les causes de l’antagonisme sont donc multiples : la nationalité, le rapport à l’écologie, les origines sociales (Antoine est un grand voyageur et un ancien professeur, alors que les paysans n’ont jamais quitté leur village) et la position vis-à-vis des éoliennes, que les agriculteurs rêvent d’accueillir pour financer leur départ. Tous veulent partir, sauf lui, qui vient d’arriver. Sorogoyen matérialise ainsi ce phénomène moderne d’un développement à rebours, poussant les classes éduquées à se rapprocher de la nature dans le cadre d’une « quête de sens », tandis que ceux qui la côtoient depuis toujours subissent une précarité insoutenable.

 

Marina Fois et Denis Menochet - As Bestas

Marina Foïs et Denis Menochet – As Bestas

 

Le monde paysan est représenté comme une mafia. Le film s’ouvre sur une scène de discussion qui ne dépareillerait pas dans Casino ; le poker ayant simplement été remplacé par des dominos. Face aux caïds bavards et émaciés, Denis Ménochet fait jouer sa carrure imposante et son visage taiseux. Si Sorogoyen prend évidemment parti pour son couple en lui donnant les rôles principaux, il dessine aussi habilement quelques terrains d’ambiguïté, au-delà des doutes sur la légitimité d’un citadin à décider de l’avenir d’une région rurale où il vient d’emménager.

 

Dans l’espoir de faire condamner ses bourreaux, Antoine se promène avec une caméra à la main, filmant tout ce qui pourrait s’avérer incriminant. Cette obsession le pousse à la provocation, à faire passer la création d’images compromettantes au-delà de sa propre survie. Il joue avec le feu, attise la haine pour faire éclater la vérité. As Bestas laisse ainsi son personnage accélérer sa propre descente aux enfers, faite d’intimidations et de sursauts de violences avortées.

 

Denis Menochet - As bestas

Denis Menochet – As Bestas

 

Dans sa deuxième partie, le film fait volte-face et se recentre sur les femmes, jusque-là maintenues en arrière-plan de cette bataille masculine. Olga et sa fille revisitent la guerre d’Antoine, errent dans le champ de ruine qu’il a abandonné, à la recherche d’un sens qui s’efface progressivement. Les menaces de la première partie sont reléguées en périphérie de l’image, comme autant de fantômes traumatiques. Les vidéos enregistrées avec la caméra prennent alors une nouvelle portée, ultimes souvenirs d’un temps révolu.

 

La bataille achevée sans grand vainqueur se dévoile dans toute sa vacuité. As Bestas est d’abord un thriller à la violence sourde, puis sa propre autopsie. S’y confondent des scènes très courtes, illustrant un quotidien aux potentialités idylliques, et d’autres plus longues, où des plans-séquences dialogués creusent l’impossibilité d’une cohabitation. Mais, alors que s’effrite inéluctablement tout espoir d’accalmie, la paix n’est jamais envisagée comme une option. Les personnages poursuivent leur idéal, malgré l’horreur qui s’y cache, et vont jusqu’à tout lui sacrifier.

  

Joffrey Liagre

 

 

 

  • AS BESTAS
  • Sortie salles : 20 juillet 2022
  • Réalisation : Rodrigo Sorogoyen
  • Avec : Denis Ménochet, Marina Foïs, Luis Zahera, Diego Anido, David Menéndez, Machi Salgado…
  • Scénario : Isabel Peña, Rodrigo Sorogoyen
  • Production :  Ibon Cormenzana, Ignasi Estapé, Anne-Laure Labadie, Jean Labadie, Nacho Lavilla
  • Photographie :  Alejandro de Pablo
  • Montage :  Alberto del Campo
  • Décors :  Marta Loza Alonso
  • Costumes : Paola Torres
  • Musique :  Olivier Arson
  • Distribution : Le Pacte
  • Durée : 2 h 17

  

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