Synopsis : Peter Von Kant, célèbre réalisateur à succès, habite avec son assistant Karl, qu’il se plaît à maltraiter. Grâce à la grande actrice Sidonie, il rencontre et s’éprend d’Amir, un jeune homme d’origine modeste. Il lui propose de partager son appartement et de l’aider à se lancer dans le cinéma…
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Les remakes qui suivent à la lettre le scénario de leur prédécesseur ont toujours l’intérêt, qu’ils soient ratés ou non, de placer la mise en scène au-dessus de l’écriture. Puisqu’un film à la structure et aux dialogues identiques existe déjà, seule la forme peut servir de justification au projet. Il y a quelques mois, West Side Story offrait déjà l’occasion d’un tel comparatif. Mais là où Spielberg dépassait l’original, François Ozon peine à rivaliser avec le génie de Fassbinder. En fait, il ne s’essaie pas vraiment à la confrontation, son film prenant la direction opposée du Petra Von Kant de 1972. Alors que le cinéaste allemand embrassait totalement la forme théâtrale, en maintenant un huis-clos où les plans longs mettaient en valeur les déplacements de ses personnages, Ozon brise ce postulat dès son premier plan. L’immeuble de Peter, filmé depuis l’extérieur, donne sur une cour où s’activent véhicules et habitants. Cette vue sur le bâtiment n’a d’autre intérêt que d’afficher d’emblée la volonté d’Ozon de se démarquer des formes théâtrales. Ainsi se permet-il toute une série d’ellipses, divise des scènes uniques de la pièce originale en plusieurs séquences distinctes, et va même jusqu’à filmer un passage dans une rue, lorsque Amir appelle Peter depuis une cabine téléphonique. Les quarante minutes perdues par rapport à l’original (2 h 00 contre 1 h 20) attestent de cette cadence renouvelée. Les mouvements lents et éthérés sont abandonnés au profit de gestes vifs et d’un texte récité en accéléré. C’est qu’en réalité, Peter von Kant ne fait pas tant hommage au film de Fassbinder qu’au réalisateur lui-même, dont Ozon est un grand admirateur. Plusieurs références à son œuvre ont donc été ajoutées : Adjani y cite La loi du plus fort avant de chanter un morceau de Querelle, et ce sont les yeux de l’auteur qui font office de générique. Denis Ménochet y incarne l’alter ego de Fassbinder, la ressemblance étant même particulièrement saisissante lorsqu’il revêt des lunettes de soleil, dans l’une des dernières scènes du film.
La justification à ce remake pourrait tenir aux mentions du milieu de la mode remplacées ici par celles au cinéma. Deux différences notables : les confessions d’Amir, cette fois filmées par Peter de manière exubérante, et l’absence du jeune homme, rappelée par des tonnes d’affiches là où Fassbinder se contentait d’un jeu habile sur les mannequins. Tout est effectivement plus explicite ici, jusque dans le départ de Carl, dont la violence contraste avec la rigueur glacée de celui de Marlene.
C’est le passage d’In my room qui condense les divergences entre les deux œuvres. Chez Fassbinder, un seul plan contenait tout le film : Petra perdue dans son passé racontait un souvenir douloureux, Karin dansait comme hors du monde, et Marlene observait la scène dans le fond, son visage baigné d’une blancheur cadavérique. Chez Ozon, plusieurs plans se succèdent, montrant tantôt Peter et Amir danser (ici, la distance est marquée par la nudité du jeune homme), tantôt Carl observant dans le fond.
Le film de 2022 montre, là où celui de 1972 laissait voir. L’intérêt de la démarche reste donc discutable, mais l’éloignement de son modèle permet de limiter les dégâts qu’aurait pu faire une comparaison directe. Finalement, c’est dans son casting que réside sans doute sa plus grande force. L’impressionnant Denis Ménochet, évidemment, mais surtout Carl, dont le physique fascinant permet de contrebalancer l’absence du mystère qui entourait Marlene.
Joffrey Liagre
- PETER VON KANT
- Sortie salles : 6 juillet 2022
- Réalisation : François Ozon
- Avec : Denis Ménochet, Isabelle Adjani, Khalil Ben Gharbia, Hanna Schygulla, Stefan Crepon, Aminthe Audiard…
- Scénario : Rainer Werner Fassbinder, François Ozon
- Production : François Ozon
- Photographie : Manuel Dacosse
- Montage : Laure Gardette
- Décors : Katia Wyszkop
- Costumes : Pascaline Chavane
- Musique : Clément Ducol
- Distribution : Diaphana
- Durée : 1 h 25