Été 85 de François Ozon : Critique

Publié par Joanna Wadel le 14 juillet 2020

Synopsis : L’été de ses 16 ans, Alexis, lors d’une sortie en mer sur la côte normande, est sauvé héroïquement du naufrage par David, 18 ans. Alexis vient de rencontrer l’ami de ses rêves. Mais le rêve durera-t-il plus qu’un été ? L’été 85…

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Ete 85 - affiche

Été 85 – affiche

« C’est l’amour à la plage », chantait Niagara en 1985. C’est cette même date qu’a choisi François Ozon pour situer l’histoire de son nouveau film, qui inaugure le label Cannes 2020. L’adaptation du roman Dance on my Grave (La Danse du Coucou) du Britannique Aidan Chambers, que le cinéaste découvrait durant l’été 1985, l’année de ses dix-huit ans. Hasard des choses – ou pas -, le livre traite d’un premier amour entre deux adolescents. Une passion secrète, intense, se tisse un été entre les jeunes Anglais et s’achève tragiquement. L’amour, la mort, le deuil, la confession, les relations au cÅ“ur du livre marquent le réalisateur et deviendront le fil rouge de sa filmographie. Il en nourrit un premier projet de scénario, sans jamais le réaliser. En concrétisant enfin Été 85 qu’il transpose de l’autre côté de la Manche avec l’approbation de Chambers, Ozon revient aux sources de ses premières inspirations, – son premier long-métrage, Sitcom, débutait par le coming-out d’un fils de bonne famille – et peut-être aussi du souvenir du garçon qu’il était, de ses premiers émois. Ce sont tous ces facteurs et plus encore que concentre son dix-neuvième film. Contrairement au sujet lourd du poignant Grâce à Dieu, ode à la libération de la parole des victimes de pédophilie dans l’Église, Grand prix du jury de la Berlinale 2019, également en contraste avec le sulfureux L’Amant Double, l’opus estival de François Ozon fait planer un vent de liberté doux-amer sur ce 14 juillet. Avec la légèreté d’Alexis (Félix Lefebvre), 16 ans, son héros et narrateur, le récit et son charme romanesque intrigue dès l’introduction.

 

 

À l’orée d’un drame annoncé, le jeune homme narre sa rencontre avec David (Benjamin Voisin), « futur cadavre ». Il couche sur le papier les étapes d’une tragédie dont le premier acte est la naissance d’une amitié décisive, qui commence par un sauvetage en mer, symbolique. Un détachement et une pointe d’ironie propres au livre et à son personnage emportent le tout. Ozon s’amuse, renoue avec une narration généreuse, celle de ses longs-métrages les plus allègres (8 Femmes, Potiches), en conservant son style épuré, écrit, où l’affect, mesuré, n’est présent que dans le jeu des acteurs, qu’il choisit toujours avec pertinence.

 

On retrouve avec plaisir ses habitués. Melvil Poupaud (Grâce à Dieu), joue à nouveau les passeurs en incitant Alexis, son élève, à s’affirmer et confier son expérience, tandis que Valéria Bruni Tedeschi (5×2) excelle en mère poule exubérante. Isabelle Nanty complète brillamment la distribution avec une pudeur et une tendresse qui lui vont à merveille.

 

Filmé en pellicule, convoquant une panoplie vintage de vacances en bord de mer (fête foraine, blousons, bandanas, coupes de cheveux aux mèches rebelles, walkman et des titres comme In Between Days de The Cure), Été 85 est une carte postale aux couleurs des années 80 envoyée depuis 2020. Le long-métrage brasse une somme de références générationnelles qui feront écho aux souvenirs des quinquagénaires et peuvent rappeler, à ceux qui les ont vu, la fougue de L’Effrontée de Claude Miller, ou les escapades de La Baule les pins, classiques jeunesse sortis entre 1985 et 1990. Influences inconscientes d’un cinéma d’auteur désormais trentenaire, ou simples résonances cinéphiles, les images qui nous viennent à l’esprit sont multiples.

 

 

À la vue de certains plans, on ne peut s’empêcher de repenser au plus récent Call Me By Your Name, incontournable mélodrame de Luca Guadagnino sur l’éveil homosexuel d’un garçon durant l’été 1983, bel exemple du traitement d’une romance brève, sensuelle et intense dans la chaleur de l’été. La vague de nostalgie enveloppe également les premières amours et la force des idylles estivales de l’adolescence, un vécu à la fois collectif et personnel qui offre un terrain propice à l’émotion. Mais davantage qu’une madeleine de Proust bien conçue, le film étend son propos à la jeunesse actuelle. Le thème de l’homosexualité et les problématiques sociales qu’il soulève sur l’identité et la tolérance sont toujours valables, de même que le dilemme pour les futurs bacheliers d’avoir à choisir entre poursuivre ses études et travailler se pose encore.

 

Le talent de Ozon est de parvenir à ouvrir le cadre de son adaptation, pourtant datée et ancrée à une époque, sur l’universel. De même qu’il s’imprègne de la désinvolture et des désirs d’émancipation de ses héros, Été 85 ne s’enlise pas dans les sujets qu’il aborde, sans en ignorer la teneur dramatique. La réalisation centrée sur les protagonistes ne s’éparpille pas. La caméra reste soudée aux visages et aux corps, capte les regards, laisse s’exprimer toutes les nuances de l’interprétation des deux comédiens. Leur dernier échange, déchirant, abolit les marqueurs temporels et livre un concentré brut d’émotions auquel chacun peut s’identifier ; les enjeux intimes et la tension qui se jouent dans une rupture, les failles qu’elle met en évidence sont autant ressentis qui nous sont, pour la plupart, communs. La mélancolie qui résulte du dénouement n’en est que plus évidente, elle prend à la gorge. Le deuil de David, la douleur d’Alex semblent partagées par la salle.

 

Plus encore qu’avec Grâce à Dieu, François Ozon signe ici l’un de ses opus les plus fédérateurs, un drame lumineux sur un amour condamné, point de basculement qui annonce l’entrée dans la maturité. Une initiation exaltante à contre-courant de ses thrillers aux airs de polars, à ne pas manquer.

 

 

 

  • ÉTÉ 85
  • Sortie salles : 14 juillet 2020
  • Réalisation : François Ozon
  • Avec : Félix Lefebvre, Benjamin Voisin, Philippine Velge, Melvil Poupaud, Valeria Bruni Tedeschi, Isabelle Nanty…
  • Scénario : François Ozon d’après l’œuvre d’Aidan Chambers
  • Production : Éric Altmayer et Nicolas Altmayer
  • Photographie : Hichame Alaouié
  • Montage : Laure Gardette
  • Décors : Benoît Barouh
  • Costumes : Pascaline Chavanne
  • Musique : Jean-Benoît Dunckel
  • Distribution : Diaphana
  • Durée : 1h40

 

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