Synopsis : De petits boulots en petits boulots, Gary est embauché dans une centrale nucléaire. Là, au plus près des réacteurs, où les doses radioactives sont les plus fortes, il tombe amoureux de Karole, la femme de Toni. L’amour interdit et les radiations contaminent lentement Gary. Chaque jour devient une menace.

 

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Grand Central afficheCelui qui a vu la bande-annonce de Grand Central sera sans doute moins surpris(e) par sa dualité et son déroulement. Mais si le second long-métrage de Rebecca Zlotowski – présenté à la sélection officielle d’Un certain regard au dernier Festival de Cannes – en étonnera plus d’un, c’est parce que son militantisme et son engagement ne se trouvent pas forcément là où l’on pouvait les attendre. Une sirène peut en cacher une autre même si l’aventure, au moins dans les vingt premières minutes, semble d’abord suivre la voie d’une chronique sociologique à travers les pas de Gary (Tahar Rahim). « En pleine forme » selon ses propres mots, le jeune homme est rapidement embauché dans une centrale nucléaire, parmi ces ouvriers qui forment une famille, soudés dans la difficulté et vivant les uns à côtés des autres en camping, dans leur mobile-homes, en attendant de reprendre la route vers d’autres missions à risque. Dans un scénario qu’elle a imaginé avec sa coscénariste Gaëlle Macé, Rebecca Zlotowski s’applique et s’implique beaucoup dans la description du milieu quotidien du nucléaire de ces héros anonymes, méticuleux dans leurs gestes mais conscients du danger encouru. Elle montre tout autant de maîtrise dans le virage que prend son histoire dès lors que la belle Karole (Léa Seydoux) apparaît à l’écran. Le terrain du nucléaire devient alors l’analogie du vrai grand thème qui nourrit Grand Central, la passion amoureuse. Le titre, d’ailleurs, désigne à la fois le décor – la centrale et ses alentours – ainsi que ce palpitant qui va s’accélérer, s’animer et souffrir au gré de cet amour impossible entre Gary et Karole, fiancée à Toni (Denis Ménochet).

 

Grand Central Tahar Rahim Lea Seydoux

 

Via ce triangle amoureux, la réalisatrice de Belle épine (2010) montre qu’elle ne manque pas non plus de ressources dans la direction d’acteurs. Elle saisit ainsi chaque regard et chaque mouvement de la sublime et troublante Léa Seydoux, qu’elle retrouve après son premier film, pour mieux rendre grâce à sa sensualité et sa sensibilité. Quant à Tahar Rahim, bien qu’il se trouve une nouvelle fois au milieu d’un cercle amoureux après A perdre la raison de Joaquim Lafosse et LE PASSÉ d’Asghar Farhadi (notre critique), il dégage ici une vulnérabilité inédite. Tous deux forment un couple assez émouvant qui prend forme, se dénoue et se renoue au sein d’une nature solaire contrastant évidemment avec l’obscurité de ce monde du travail qui continue de tourner. Rebecca Zlotowski n’oublie pas pour autant en cours de route le terrain qui entoure et sous-tend ce grand échiquier amoureux au cœur duquel gravite également un très bon Denis Ménochet en conjoint épris et trompé, mélange de virilité affirmée et de fragilité implosive. Les incidents aux circonstances aggravantes illustrent autant la réalité de ces galériens des temps modernes qu’ils symbolisent l’impasse sentimentale qui se construit sous nos yeux. L’excellent Olivier Gourmet, dans la peau de Gilles le chef de la bande, présente lui-même cette double identité. Dans un rôle familier tels ceux qu’il a notamment tenus chez les frères Dardenne, il porte à nouveau la voix prolétaire tout en étant ce sage qui annonce le mal d’amour. Lorsqu’il met en garde Gary contre cette dose de radiation indolore et inodore contre laquelle il n’y a pas de vainqueur, il évoque implicitement cette passion qui rongera le corps et l’âme du protagoniste.

 

Grand Central Tahar Rahim

 

Les personnages secondaires avancent donc tels des fils conducteurs tout en existant par eux-mêmes, tandis que le film passe de la reconstitution authentique à une dimension romanesque et anxiogène. Pas si éloignée de celle de Jonny Greenwood dans THE MASTER (notre critique) de Paul Thomas Anderson de l’aveu même de Rebecca Zlotowski, la partition musicale envoûtante et entêtante de Rob, collaborateur privilégié du groupe Phoenix, n’y est pas pour rien. La mise en scène non plus, qui évolue des scènes de groupes filmés en plans larges à un cadre plus resserré, au plus près de ces regards apeurés et perdus et de ces souffles courts. L’énergie des premiers instants, comme celui où Gary brille sur un rodéo mécanique dans un saloon devant ses nouveaux camarades, laisse place à l’angoisse de cette sirène qui hors champ, rappelle aux amants cette épée de Damoclès qui plane au dessus d’eux. Paradoxalement, Grand Central se laisse un peu trop dépassé par ces aspects lancinants sur la fin, et souffre de quelques ralentis à répétition inutiles. A défaut d’épater, il reste tout de même suffisamment prenant et poignant pour ne pas nous égarer en chemin. Rebecca Zlotowski connaît son métier et parvient également à faire ressurgir les grandes figures tragiques passées, Gary devenant cet héros sacrificiel semblable à ceux des films noirs français des années 30. Infine, l’union de cet héritage assumé sans être trop pesant et de cet univers du nucléaire très peu exploré par le cinéma de fiction emporte largement l’adhésion.

 

>> NOTRE INTERVIEW DE REBECCA ZLOTOWSKI ET TAHAR RAHIM SUR GRAND CENTRAL <<

 

 

GRAND CENTRAL de Rebecca Zlotowski en salles le 28 août 2013 avec Tahar Rahim, Léa Seydoux, Olivier Gourmet, Denis Ménochet, Johan Libereau. Scénario : Rebecca Zlotowski, Gaëlle Mace, sur une idée originale de Gaëlle Macé. Collaboration au scénario : Ulysse Korolitski. Directeur de production : Thomas Paturel. Directeur de postproduction : Pierre-Louis Garnon. Productrice associée : Marie Lecoq. Coproductrice Autriche : Gabriele Kranzelbinder. Productrice exécutive Autriche : Marie Tappero. Premier assistant réalisateur : Jean-Baptiste Pouilloux. Scripte : Cécile Rodolakis. Décors : Antoine Platteau. Costumes : Chattoune, Sylvie Ong. Image : Georges Lechaptois. Son : Cédric Deloche, Gwennolé Le Borgne, Alexis Placé, Marc Doisne. Conseiller nucléaire : Claude Dubout. Montage : Julien Lacheray. Musique originale : Rob. Distribution : Ad Vitam. Durée : 1h34.

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