La récente découverte d’un négatif original dans un laboratoire cinématographique portoricain qui a fermé ses portes il y a plusieurs années, a permis à quelques privilégiés d’assister ce dimanche 26 septembre au soir à Los Angeles, à la projection du premier long-métrage réalisé en 1953 par Stanley Kubrick, ‘Fear and Desire’.
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Fear and Desire de 72 minutes, dont on connaissait des copies et qui peut être vu sur internet dans une qualité d’images et de son très médiocres, pourrait être restauré par la George Eastman House et être distribué directement sur un DVD de très haute qualité, pour les inconditionnels kubrickiens et les autres. Cependant des obstacles importants restent à surmonter selon la conservatrice de films chez George Eastman House, accompagnée du réalisateur et acteur Paul Mazursky (Le Clochard de Beverly Hills, Scènes de ménage dans un centre commercial) lors de la séance Q/R après la projection : le coût élevé de la restauration d’un négatif incomplet et les souhaits du cinéaste lui-même, bien qu’il n’ait jamais détenu les droits.
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Le maître détestait ce travail qu’il jugeait comme un « film d’amateur très pauvre » et il ira jusqu’à le qualifier de « tentative inepte et prétentieuse ». Il s’est employé à racheter la plupart des copies afin de les faire disparaître des circuits de distribution, ce qui a eu pour effet d’intensifier l’intérêt des spécialistes sur cette œuvre rejetée par Kubrick. Ce film sera cependant projeté en janvier 1994 à New York en public pour la première fois depuis 40 ans, en l’absence du cinéaste, alors en tournage en Irlande.
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Petit retour historique sur le premier né non reconnu de Kubrick
C’est avec une somme de 9000 $ empruntée auprès de sa famille et à l’âge de 24 ans que Kubrick se lance dans l’aventure. Il demande à son ami, Howard Sackler – récompensé en 1969 par le Prix Pulitzer et le Tony Award pour The Great White Hope – de lui écrire le scénario. L’histoire d’une patrouille militaire de quatre hommes, piégée dans une forêt derrière les lignes ennemies. On ne sait pas où se déroule l’action, ni qui sont ces soldats ou encore qui ils combattent. Mais dans cette situation ils vont être amenés à confronter leurs peurs et leurs désirs.
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Dans une lettre du 16 novembre 1952 adressée au distributeur indépendant, Joseph Burstyn (Rome ville ouverte, Le Petit Fugitif, Le voleur de Bicyclette), Kubrick présente son film ainsi : « Sa structure : allégorique. Sa conception : poétique. Le drame de « l’homme » perdu dans un monde hostile, privé de fondements matériels et spirituels – cherchant son chemin vers la connaissance de lui-même et de la vie qui l’entoure. Il est, de plus, menacé dans son Odyssée par un ennemi invisible, mais mortel, qui le cerne ; mais un ennemi qui, quand on l’a bien observé, semble fait presque dans le même moule… Ce film pourra sans doute dire bien des choses aux publics divers et c’est ce qu’il faut ».
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Paul Mazursky – qui deviendra par la suite réalisateur – fait ici ses débuts en tant qu’acteur et part avec Kubrick et le reste de l’équipe dans les Montagnes de San Gabriel en Californie pour débuter le tournage, en 35 mm noir et blanc. Compte tenu du budget modeste du métrage, le cinéaste fait tout mais n’enregistre pas le son avec les images, ce qui coûtera ultérieurement 30.000 $ pour la postsynchronisation. L’accueil critique sera positif, en dépit de l’inexpérience de l’ensemble de l’équipe, et le film sera distribué dans des salles d’Art et d’Essai à New York. Pour Paul Mazursky, Fear and Desire préfigure les Sentiers de la Gloire et pour d’autres, c’est le brouillon de Full Metal Jacket. Et pour Paolo Cherchi Usai, historien du cinéma et collaborateur de la George Eastman House, c’est « une puissante allégorie de la guerre, qui anticipe ses prochains films et impose déjà ses préoccupations morales et ses ambitions artistiques »…
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Par GGJ
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