Si le prochain long métrage de Mathieu Kassovitz, ‘L’Ordre et la Morale’, ne foulera pas le tapis rouge à Cannes, cette première fiction réalisée sur l’épisode de la grotte d’Ouvéa, événement encore très douloureux pour les français et les kanaks plus de vingt ans après, sortira en salles le 21 septembre et on attend avec impatience la bande-annonce !
Dans ses dernières confidences vidéo sur la fin du montage, Mathieu Kassovitz évoquait son espoir de faire partie de la sélection cannoise. Mais si le festival en a décidé autrement, cela n’en reste pas moins un film clé sur un événement dramatique contemporain. Le scénario, adapté du livre de Philippe Legorjus ‘La morale et l’action’, cosigné par le cinéaste, Pierre Geller et Benoît Jaubert, relate les évènements sanglants qui se déroulèrent en Nouvelle-Calédonie, entre les deux tours de l’élection présidentielle en France, en avril/mai 1988, qui opposait François Mitterrand et Jacques Chirac. Un groupe d’indépendantistes kanaks, appartenant au FLNKS (Front de Libération National Kanak et Socialiste), attaque la gendarmerie de Fayaoué, sur l’île d’Ouvéa, tue quatre gendarmes et en retient 30 en otages pendant dix jours dans une grotte isolée. L’assaut final mené le 5 mai par les gendarmes d’élite du GIGN, a causé la mort de 19 Kanaks et deux militaires.
Si Mathieu Kassovitz n’a jamais hésité dans sa carrière d’acteur, de scénariste, de réalisateur et de producteur, à traiter et aborder des sujets engagés (Métisse, La Haine, Amen, Munich, Johnny Mad Dog…), il déclare néanmoins dans sa première vidéo des coulisses du tournage qu’il s’agit là « certainement de son plus gros film au niveau des moyens, du sujet, de sa dimension politique, sociale et cinématographique ». Distribué par UGC Distribution, L’Ordre et la Morale bénéficie d’un budget de 14M€, financé par Christophe Rossignon et Philip Boëffard de Nord-Ouest films en coproduction avec UGC Images, Studio 37 et France 2 Cinéma. Au casting, on retrouvera Mathieu Kassovitz dans le rôle du capitaine Legorjus qui aura pour partenaires Sylvie Testud (Chantal Legorjus), Philippe Torreton (Christian Prouteau), Malik Zidi, Iabe Lapacas (Alphonse Dianou) et une quarantaine de Kanaks de Nouvelle-Calédonie.
Pour ce projet ambitieux qui lui tient à cœur depuis 10 ans, le cinéaste s’est rendu à de nombreuses reprises à Ouvéa, afin d’échanger avec les habitants et rencontrer les familles des militants kanaks morts dans la grotte. Il a écouté leurs témoignages, leur a donné droit de regard sur les différents scénarios rédigés et a tenu compte des remarques de chacun. Il a accepté leurs conditions et obtenu le consentement des familles des victimes, des prisonniers politiques et des chefferies. Il a également pris contact avec Philippe Legorjus, capitaine du GIGN à l’époque (Groupe d’Intervention de la Gendarmerie Nationale), qui a démissionné de l’armée en 1989, un an après les évènements. Cependant, cet épisode tragique reste aujourd’hui encore, extrêmement douloureux pour les protagonistes et, sur le terrain la production n’a pas été la bienvenue. Elle a dû en premier lieu remédier au refus de l’armée française d’apporter son aide logistique. Selon les termes du cinéaste, le film est fait de « bric-à-brac », certains matériels militaires sont des maquettes construites en bois (hélicoptère Puma, véhicule blindé VAB), d’autres encore ont été récupérés à Papeete et remis en état de marche car ils n’avaient jamais été entretenus.
Du côté kanak, certaines personnalités ont refusé que le tournage du film se déroule sur les lieux mêmes des évènements. La production a donc dû s’installer sur l’atoll d’Anaa en Polynésie française « pour des raisons de sécurité liées à un individu en particulier » déclare le producteur Christophe Rossignon, dans un entretien au Film Français rapporté par le Journal Kanak. « Nous ne sommes le bras armé de personne. On ne fait pas un film politique » déclare-t-il mais « nous ne sommes pas naïfs, il y aura controverse ». Ils ont donc dû recréer les décors, le village de Gossanah et la grotte d’Ouvéa, loger et gérer les quelques 200 figurants de la production (voir la vidéo). Christophe Rossignon, par ailleurs ami de Mathieu Kassovitz et producteur de trois de ses longs et trois courts-métrages, annonce « c’est un film qui dit quelque chose de profond, un film politique, engagé », autrement dit un film à risque et à polémique (voir la vidéo). Sans dévoiler le point de vue du réalisateur il précise que « ce n’est pas un film à charge contre l’armée, ce n’est pas un film pro-Kanak ». C’est l’histoire de deux peuples qui en sont venus à se battre jusqu’à se tuer, mais le but est de traiter de l’universel, opprimé et oppresseur, sang et chair, passion et raison, ordre et morale.
Certains descendants des Kanaks qui sont morts à Ouvéa, se sont proposés pour être acteurs dans le film. C’est le cas de Dave Lavelloi, fils de Wenceslas Lavelloi, tué le jour de l’assaut. Il avait neuf ans à l’époque et a souhaité interpréter le rôle de son père, qu’il considère comme « un martyr du pays ». Idem pour Macki Wéa, chef de tribu, qui incarne son frère Djubelli et déclare dans une interview « nous sommes partis pour une aventure importante, qui doit parler de notre histoire, de ce qu’a vécu le peuple kanak dans son pays […].[…] Ce qui est important, c’est que le film va faire avancer le pays dans le chemin de la réconciliation. Ça fait suite au travail qu’on a fait depuis 1988, c’est le même élan » (écouter son interview sur RFO 5).
Ces évènements, qui ont fait en tout 25 morts dont les assassins n’ont jamais été jugés, ont abouti aux accords de Matignon en juin 1988 – reconnaissance du peuple kanak chez lui et amnistie générale -, puis aux accords de Nouméa en mai 1998 qui accordent l’indépendance aux populations de Nouvelle-Calédonie, sauf dans les domaines de la défense, la sécurité, la justice et la monnaie qui restent encore les compétences de la France (écouter le témoignage d’un ancien indépendantiste, 20 ans après les évènements). Mathieu Kassovitz a fait une communication très large et très en amont sur le film, via les médias contemporains (Facebook, Twitter, Tumblr, Youtube et Dailymotion) pour sensibiliser le public aux difficultés rencontrées pendant le tournage de cet évènement douloureux, qui a impliqué l’armée et des hommes politiques aux plus hauts niveaux. On est maintenant dans l’attente du trailer de ce film courageux pour lequel l’équipe de production a fait preuve d’une grande ténacité et dont elle est fière. Découvrez le journal de bord vidéo sur Viméo, tenu par Mathieu Kassovitz, pendant toute la durée du tournage.
Outre l’Ordre et la Morale, Mathieu Kassovitz va retrouver en avril Sylvie Testud, en tant que scénariste et réalisatrice, pour le tournage de son premier long métrage adapté du roman de Frédérique Deghelt La vie d’une autre, avec Juliette Binoche (voir notre article). Il partagera également avec Daniel Auteuil l’affiche de Le Guetteur, premier long métrage en français de Michele Placido (Romanzo Criminale). Cette production StudioCanal, avec un budget 18,6M€, devrait démarrer en juin à Paris. Mathieu Kassovitz sera le gangster et Daniel Auteuil le chef de la police, auxquels le réalisateur voudraient joindre Monica Bellucci et Raoul Bova (La Nostra Vita).
GGJ
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