Si Mia Hansen-Løve questionnait déjà la jeunesse et les relations intergénérationnelles dans ses précédents films, Eden, en salles le 19 novembre, se présente comme son Å“uvre la plus accessible si ce n’est la plus personnelle. Beaucoup se souviendront de cette effervescence autour de la French Touch et des Rois du dance floor comme Daft Punk. Mais il s’agit ici d’abord d’une aventure familiale pour la cinéaste et son frère Sven, lui-même ancien DJ qui a inspiré le protagoniste. CineChronicle les a rencontrés, avec les comédiens Félix de Givry et Pauline Etienne, pour évoquer leur rapport à cette époque révolue mais si forte.
CineChronicle : Quelle a été votre volonté première au travers du parcours de ce DJ anonyme au milieu des DJ stars?
Mia Hansen-Love : Le fait de m’inspirer du parcours de mon frère et d’avoir ainsi cette proximité avec lui me rend à la fois proche et témoin. Eden est indissociable de son vécu et en même temps de lui-même. Je me posais la question dès le départ. Et l’émotion suscitée par Après Mai d’Oliver Assayas [son compagnon à la ville, ndlr] m’a donné envie de faire ce film sur ma génération.
CC : Eden fait-il office de parenthèse désenchantée sur la jeunesse, après Tout est pardonné, Le Père de mes enfants et Un amour de jeunesse ?
MH-L : Mes précédents films étaient davantage centrés autour d’un personnage. Dans le cas présent, ils appartiennent à une bande. C’est la raison pour laquelle j’ai impliqué Sven dès l’écriture du scénario, notamment pour les séquences entre amis. Il fallait trouver un équilibre entre la maîtrise et la liberté. Eden est un film d’avant-hier. Il représente le passé mais pas le passé historique au sens où on l’entend habituellement au cinéma. Ce passé suppose des changements que l’on perçoit à peine. Cette subtilité demandait une certaine attention.
CC : Si vous évoquez ‘la bande’, on ressent pourtant parfois des solitudes qui s’entremêlent plus qu’un effet de groupe…
MH-L : Disons qu’il y a une vraie gaieté dans Eden même si ces solitudes s’expriment différemment. On ne peut pas réduire les scènes de groupes, plus nombreuses dans la première partie, à des solitudes individuelles. Je suis en tout cas très contente d’avoir trouvé quelqu’un comme Félix de Givry ayant un vrai rapport avec la vie nocturne. Il avait d’ailleurs auditionné pour Après Mai.
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CC : De Pauline Etienne à Greta Gerwig et Laura Smet, les seconds rôles féminins ont des visages plus connus que les hommes. Etait-ce votre volonté dès le départ pour orienter les personnages différemment ?
MH-L : J’avais en effet l’idée de ne pas prendre d’acteurs connus, même si au final on compte Vincent Lacoste dans le rôle d’un des Daft Punk. J’ai surtout cherché des comédiennes aux présences fortes. C’était intéressant de tourner avec des actrices apportant un relief particulier.
CC : On ne perçoit pas vraiment leur vieillissement d’ailleurs. Le temps qui passe – près de 20 ans en tout – se lit plus sur les regards que par le biais d’un grimage.
MH-L : Il se voit davantage sur Pauline dans son évolution. Elle n’a plus la même coiffure ni le même style vestimentaire. Je souhaitais aborder ce vieillissement de manière subtile, pour ne pas sortir du film.
Sven Love : Le personnage de Paul refuse en outre de vieillir. Cela se voit sur son physique. Il a un côté Peter Pan, donc l’effet est cohérent.
CC : On note également un décalage entre la représentation que vous faites de la French Touch et des DJ, et celle que beaucoup de gens ont sur ce monde, avec ce côté clinquant et ces débordements…
MH-L : Je voulais concevoir un film sur le temps qui passe et non un film de club où l’on verrait constamment les Daft Punk ou Cassius. Il n’y a donc pas de flics, ni de putes, et encore moins d’excès de violence auxquels on pourrait s’attendre. J’ai essayé de réaliser une œuvre fidèle et liée à nos propres expériences. Je voulais aussi me détacher d’une certaine grammaire, notamment dans les séquences en discothèque souvent très découpées. Tout était bien déterminé pour nous dans le fait de trouver un rythme indépendant de celui de la musique que l’on entend. Je voulais faire ressortir le son comme s’il venait de l’intérieur du film, sans effets d’emphase. Nous avons eu tous les droits sur ces titres avant le tournage. Les découpages de scènes se sont faits donc souvent en fonction du morceau.
CC : Comment avez-vous mêlé vos propres souvenirs au travail de reconstitution ?
MH-L : De manière totalement ludique. Nous sommes finalement revenus sur tous les lieux que nous avons fréquentés à l’époque.
SL : Comme c’est toujours très difficile d’atteindre la perfection de la réalité, nous avons été très vigilants là -dessus.
CC : Pour vous Mia, Eden semble être un hommage, une œuvre nostalgique assumée, alors que pour Sven, il s’agirait davantage d’un exutoire pour tourner la page…
MH-L : Eden représentait pour moi le désir de revenir à cette époque et d’y puiser une énergie. Pour Sven, il s’agissait en effet de tourner la page via un certain détachement. Mais Eden est d’abord un long métrage volontairement atemporel. J’ai commencé à penser au cinéma lorsque mes sorties nocturnes se sont réduites. C’était une période à la fois merveilleuse et pleine de doutes pour moi. Je me suis rendue compte que j’avais refoulé tout cela.
SL : Ce fut effectivement une combinaison de nos deux mouvements. J’ai été présent à  toutes les étapes d’Eden mais je n’ai pas ce recul-là . La French Touch reste une période à part car tout d’un coup sortait un son nouveau musicalement, de la France vers l’international.
CC : Aimeriez-vous explorer d’autres époques et univers musicaux ou d’autres tranches de vie ?
MH-L : Si je devais me replonger dans ce monde de la nuit, je ferais certainement une version plus longue d’Eden. Mais je me sens très libre de circuler entre les âges, les sexes, les genres… On catégorise trop souvent le cinéma d’auteur. Eden constitue un tournant. Je n’ai jamais autant désiré le public qu’avec ce film destiné à une génération particulière, mais aussi à celles qui la succèdent et la précédent. Néanmoins, pour mon prochain long métrage, L’Avenir, cela promet d’être radicalement différent car il s’agira de dépeindre le portrait d’une professeure de philosophie, jouée par Isabelle Huppert…
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EDEN de Mia Hansen-Løve en salles le 19 novembre 2014, avec Félix De Givry, Pauline Etienne, Hugo Conzelmann, Roman Kolinka, Vincent Macaigne, Greta Gerwig, Laura Smet, Golshifteh Farahani, Vincent Lacoste, Arnaud Azoulay…
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