Tout comme la mise en scène, le montage nerveux et/ou faussement serein est calculé au millimètre. Il construit ainsi un rythme qui joue sur les gammes des différents acteurs de l’histoire, accentuant une tension de plus en plus insoutenable, laquelle explose dans une seconde saison belliciste. Effectivement, les références assumées aux dramaturges hellénistes s’imposent dans cette deuxième partie. On assiste alors à une impressionnante relecture d’Œdipe de Sophocle où la notion de rédemption disparaît. Les éléments renvoyant à la tragédie grecque se multiplient et les passions ainsi que les luttes familiales se déchaînent. Les Phéniciennes d’Euripide est cité directement à travers la lutte entre Nucky et son frère Elias (Shea WHigham), personnification d’Etéocle et de Polynice. Le théâtre est ici une mise en abyme via le cabaret de Nucky, lieu de réunion, de spectacle et de terreur. La dimension spectaculaire du music-hall est mise en exergue, appuyant le prestige du personnage. Il participe surtout au caractère vivant de la série et fait revivre les années 1920 avec talent.
La musique et la danse sont donc très importantes dans ce cabaret, réservé à une classe élite où le raffinement et la renommée vont de pair. Ce qui n’est pas le cas avec la bande originale éclectique, qui regorge de chansons oubliées. Elle dépeint à merveille cette époque contradictoire où la rudesse de la vie flirtait avec la légèreté de l’époque. On peut entendre les reprises des grands standards de cette période par des chanteurs contemporains, comme l’envoûtant My Man de Regina Spektor ou l’excentrique Life is a Funny Preposition de Stephen De Rosa. L’ensemble est très jazzy, et nous immerge davantage dans ce voyage temporel. A l’inverse, le titre anachronique Straight Up and Down de The Brian Jonestown Massacre sert le générique d’ouverture. Celui-ci nous montre Nucky, debout sur le sable devant une mer agitée, où le ressac des vagues fait face aux nuages qui s’amoncellent. Les effets de ralentis et d’accélérés contribuent à cette distorsion du temps régi par l’océan. Le sous-texte implique la dépendance de Nucky à cette voie maritime qui lui permet de faire transiter ses marchandises. Les vagues ramènent inlassablement à ses pieds les bouteilles de whisky, quand celles-ci n’ont pas le malheur de se fracasser sur les rochers. L’écume, alcoolisée, disparaît dans le sable face à notre anti-héros et son empire. Le rapport à l’eau n’est pas que source de profit, il évoque aussi la noyade et la submersion. Les plans d’insert sur le trésorier d’Atlantic City sont révélateurs de la nature du personnage, obsédé par le pouvoir. La question de la morale est donc constante et a le mérite de ne pas céder à la facilité.
La troisième et la quatrième saisons en sont la preuve, effectuant un virage scénaristique inattendu. Après la perte d’un personnage principal, l’arrivée d’un nouveau venu à Atlantic City, Gyp Rosetti (Bobby Cannavale) vient changer la donne. L’escalade de la violence atteint un nouveau degré dans ces deux saisons. Les relations entre les bandes se détériorent de plus en plus, Al Capone et Lucky Luciano poursuivent leur ascension au détriment des anciennes règles. La série introduit encore de nouveaux personnages, avec le redoutable Docteur Narcisse (Jeffrey Wright) et J. Edgar Hoover (Eric Ladin), fameux directeur du FBI. Le principe d’expiation commence à naître au cœur de ces vingt-quatre épisodes. Assurément, les destins se précisent. Les pêchés de ces grandes figures du crime viennent les rattraper. Rien n’est laissé au hasard, les protagonistes sont maudits, marqués par leurs décisions, au-delà de tout pardon. Ils deviennent masochistes, comme si la punition devait être effectuée intrinsèquement par soi-même. Nucky s’affirme davantage dans ses choix par sa capacité à trancher, au détriment des siens. L’éclairage naturel, qui prend progressivement plus d’importance dans la série, accentue cette descente aux enfers. Car les scènes violentes au départ étaient le plus souvent nocturnes.
Car dès la troisième saison, les limites deviennent inexistantes. Le crime éclate au grand jour sous le ciel bleu, devant une mer calme ou dans une rue animée. La photographie renvoie singulièrement à l’impressionnisme, des pique-niques sur la plage jusqu’aux boutiques. Le projecteur est braqué ainsi sur la vie quotidienne. L’image picturale est donc lumineuse en extérieur. L’arrière-plan, aussi important que le premier, rappelle les toiles de Monet et de Seurat. Le souci du détail dans les décors et les costumes renforce cette impression de tableau. La rose sur la veste de Nucky, les coiffures italiennes, la porcelaine des salons, les bars enfumés de Chicago, rien n’est laissé au hasard et rend la reconstitution totalement crédible. Le décor du bord de mer est ancré dans la réalité économique de l’époque, qui voit l’émergence des futures multinationales avec les enseignes de Gillette, Coca-Cola, Lucky Strike…