Synopsis : Loin de la grisaille et de l’agitation de la ville existe un autre territoire. Un territoire où se mêlent fête, escalade et nature sauvage. Un territoire où se réfugier, s’aventurer, vivre ensemble. Un territoire où l’on vit, où l’on respire ce qui en Russie n’a jamais existé : la liberté.
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Perchée au sommet d’une colline, une petite fille se dresse sur les pieds en levant les bras vers le ciel. A lui seul, ce beau plan de Territoire de la Liberté, lauréat du Prix Documentaire sur Grand Écran à Amiens, suffirait à symboliser les intentions d’Alexander Kuznetsov. Quatre ans après avoir entamé sa découverte de la Sibérie avec Territoire de l’Amour, d’une durée similaire d’une heure, le cinéaste russe propose une nouvelle aventure au cœur de la Russie. Photographe dans plusieurs magazines et alpiniste confirmé et récompensé, Kuznetsov entreprend de suivre ici une communauté d’hommes, de femmes et d’enfants russes en quête d’un habitat naturel qu’ils ont réussi à apprivoiser. Ces personnes se lancent dès lors à l’assaut des stolbys, d’immenses rochers qui se dressent au milieu d’une somptueuse réserve naturelle en Sibérie. Afin de constituer son discours, le cinéaste fait le choix de montrer des images de manifestations publiques en parallèle de l’escapade sauvage. Un raccord illustre parfaitement l’exploitation métaphorique et symbolique de ce montage au sein de Territoire de la liberté. Après une longue séquence d’interviews, deux personnages regardent par la fenêtre donnant sur la forêt enneigée, avant que Kuznetsov ne montre des hommes défiler en pleine rue. Ce passage propose de voir une réalité socio-politique qu’ils ne parviendront jamais à fuir, même reclus au plus profond de la nature. Leur vécu les ramène inlassablement à une condition précaire. Ce montage confère une dimension tragique au destin de ce groupe à la recherche d’un bonheur rare mais concret.
Cette expédition menée par Kuznetsov repose sur une démarche louable et fascinante. Elle permet de faire jaillir l’entière insouciance dont font preuve ces grimpeurs enjoués. La petite fille cristallise la folie douce qui berce cette colonie, avide de sensations fortes et de liberté. Sans aucune crainte, elle franchit héroïquement les obstacles, encouragée par des êtres chaleureux et bienveillants. La proximité permanente de la caméra sur ces individus permet d’accentuer toute l’énergie et l’exaltation qui se dégagent de ces âmes grisées par une atmosphère enivrante. Cependant, ce parti pris ne parvient pas toujours à établir une réelle contemplation qui aurait permis deux choses. D’abord, celle de bâtir un repère spatial exposant ce « Territoire », instauré par un magnifique master-shot des personnages en haut d’un sommet enneigé. Trop bref, le plan n’est hélas suivi que par quelques images d’un paysage fascinant, qui en proposait pourtant une exploration plus intense. Ensuite, celle de construire un lien puissant entre nature et émotion, à la manière malickienne, qui jaillit de leur confrontation permanente.
Alexander Kuznetsov semble avoir peur d’exploiter au maximum la puissance visuelle de son paysage par crainte de s’écarter de son propos, en témoigne la brièveté du master-shot. Pourtant, une approche plus contemplative n’aurait aucunement desservi ce propos centré sur une réalité sauvage idyllique, presque utopique, qui reste marquée par le malheur et la dureté du réel (les témoignages, la visite du cimetière). Comme chez Malick, la fatalité de la vie n’échappe à personne, mais reste idéalisée au travers d’une nature sacralisée. Les paroles de la chanson interprétée à la fin du film n’indique-t-elle pas « J’ai eu une vie difficile, mais hier j’ai compris que quoi qu’il en soit, chaque nuage porte une lueur d’espoir » ? Restons cependant sur l’ambition première de Kuznetsov, à savoir de témoigner d’un véritable microcosme isolé du monde moderne. En s’abritant dans des isbas (maisons traditionnelles russes) construites au milieu de collines rocheuses, les alpinistes s’échappent de leur quotidien. Guidé par le rythme entraînant des musiques et des balades, chacun aspire à percevoir la beauté de la vie, perdue dans un univers sauvage qu’il chérit corps et âme. Avec beaucoup de tendresse, Alexander Kuznetsov montre ainsi que ces êtres insouciants dominent le monde sans même s’en rendre compte…
- TERRITOIRE DE LA LIBERTÉ (Территория свободы) écrit et réalisé par Alexander Kuznetsov en salles le 4 Février 2015.
- Photographie : Alexander Kuznetsov
- Producteurs : Rebecca Houzel et Nicolaï Bem
- Son : Nicolaï Bem
- Montage image : Agnès Bruckert
- Montage son : Alexander Abaturov
- Mixage : Domnique Ciekala
- Distribution : Aloest Distribution
- Durée : 1h07
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