Synopsis : Deux flics que tout oppose, dans l’Espagne postfranquiste des années 1980, sont envoyés dans une petite ville d’Andalousie pour enquêter sur l’assassinat sauvage de deux adolescentes pendant les fêtes locales. Au cÅ“ur des marécages de cette région encore ancrée dans le passé, parfois jusqu’à l’absurde et où règne la loi du silence, ils vont devoir surmonter leurs différences pour démasquer le tueur.
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Trois ans après Groupe d’élite (Unit 7), Alberto Rodriguez nous livre un nouveau polar situé dans son Espagne natale. Cette fois-ci, on quitte Séville pour se plonger dans les méandres du delta du Guadalquivir en Andalousie. Changement de décor, mais aussi d’ambiance, puisque le cinéaste troque sa mise en scène explosive pour un rythme ici plus sombre et posé. La Isla Minima, lauréat de 10 Goyas dont meilleurs film et réalisateur, dégage ainsi une tension palpable dans une histoire centrée sur ses personnages, où la mèche de la colère ne demande qu’à être allumée. Loin d’être une simple enquête en milieu rural, ce thriller se dote d’un réalisme immersif et étouffant pour dévoiler une critique sociale riche. Le récit se concentre sur la pénible enquête menée par un policier chevronné et un jeune bleu, volontairement éloignés de Madrid par leurs supérieurs. Ils sont dépêchés pour résoudre l’énigme sur la disparition de deux jeunes filles peu de temps après une fête estivale dans leur village. La Isla Minima démarre sur de longs plans aériens, présentant le cadre de l’enquête au cœur des marécages, à la fois magnifiques et dangereux. Ces méandres forment des sillons complexes, évoquant les contours d’un cerveau ou d’intestins. Le delta semble, vu du ciel, rempli de cachettes, et on a bien souvent l’impression d’être observés au cours des péripéties de ce duo. La photographie joue aussi un rôle essentiel. Les images aux couleurs somptueuses rouge-orangé se mêlent à un marron boueux presque surréaliste. Des teintes en lien avec la nature du delta exprimant cette atmosphère lourde et étouffante.
Le contexte post-franquiste dépeint un monde rural qui manque cruellement de moyens pour faire vivre les familles. C’est donc sur fond de grève des travailleurs et d’un trafic obscur que se joue l’investigation, dans un bourg où la disparition d’adolescentes n’émeut plus les foules. Si le pays semble doucement faire la transition entre dictature et démocratie, les campagnes évoluent très lentement. On le comprend via le plan d’un crucifix portant les photos d’Hitler et de Franco dans l’hôtel où s’installent les deux protagonistes. L’argent manque, tout se monnaie ici, surtout les renseignements. Si les autres personnages ne font que de brèves apparitions, ils sont soigneusement détaillés, dans un souci de réalisme maximum. La Isla Minima explore ainsi le délicat sujet de l’exode rural mais il dépeint surtout une jeunesse qui ne rêve que de fuir et un duo de policiers représentant deux époques distinctes, l’Espagne sous Franco et celle qui s’est battue pour s’en débarrasser.
Le polar offre ainsi la bonne vieille relation bon flic/sale flic tout en traçant un passé trouble. Le chevronné Juan (Javier Gutiérrez), qui se révèle néanmoins efficace, est violent et ne pose ses questions qu’après avoir mis son poing dans la figure de l’intéressé. Ses méthodes peu brillantes symbolisent l’ancienne école dont l’Espagne tente de s’acquitter. Il semble toujours assuré et connaît les tours pour arriver à ses fins, avec l’alcool comme meilleur allié. Son coéquipier Pedro (Raúl Arévalo), plus indécis et mutique, renvoie quant à lui l’image de la nouvelle génération, éprise de justice qui ne veut plus voir de sang couler. Il est porté par ses idéaux et peine à regarder l’horreur en face. Si le premier cache bien son jeu et excelle dans les faux semblants dupant son monde – à l’exception de deux personnages -, le second est franc et va droit au but.
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La Isla Minima esquisse ainsi le portrait de deux psychologies intéressantes, diamétralement opposées, tout en évoluant dans une nature qui leur fait front. Véritable acteur au sein du récit, elle confronte les éléments qui se confondent dans une danse troublante. Cet exercice de style renforce l’atmosphère oppressante, poisseuse, boueuse et malsaine, à l’image des intérieurs insalubres des modestes bâtisses. Mais il permet aussi à tous les personnages et à leurs rapports entre eux de créer et d’entretenir des équivoques, formées de non-dits, de passés confus et d’opinions inavouables. Alberto Rodriguez parvient ainsi à instaurer une véritable charpente de silence et de violence. Car les apparences et la confiance sont ici relatives. Peut-on faire table rase de son passé, si ce n’est pardonner ? La Isla Minima présente ainsi les plaies encore ouvertes de l’Espagne, avec une mise en scène qui montre tout, sans réelle pudeur. Les quelques plans aériens donnent justement un peu d’air et de perspective au regard de ces terribles évènements humains. Dans le delta du Guadalquivir d’Alberto Rodriguez, ce sont les habitants qui forment les îlots d’un marécage tortueux et inquiétant. Un moment de tension cinématographique intense et puissant.
- LA ISLA MINIMA réalisé par Alberto Rodriguez en salles le 15 juillet 2015.
- Avec : Raùl Arévalo, Javier Gutiérrez, Antonio de la Torre, Nerea Barros, Jesùs Carroza, Jesùs Castro, Salva Reina…
- Scénario : Alberto Rodriguez, Rafael Cobos
- Production : Mercedes Gamero, Gervasio Iglesias, Mikel Lejarza, José Sánchez-Montes, Mercedes Cantero
- Photographie : Alex Catalan
- Montage : José M. G. Moyano
- Costumes : Fernando Garcia
- Musique : Julio de la Rosa
- Distribution : Le Pacte
- Durée : 1h44
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