Synopsis : Avez vous déjà lu les conditions générales d’utilisation des données privées présentes sur chaque site internet que vous visitez, ou sur les applications que vous utilisez ? Bien sûr que non. Et pourtant, ces mentions autorisent les entreprises à utiliser vos informations personnelles dans un cadre au delà de votre imagination. Le film vous révèle ce que les entreprises et les gouvernements vous soustraient en toute légalité, à partir du moment où vous avez cliqué sur « J’accepte », et les conséquences scandaleuses qui en découlent.
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L’affaire PRISM nous a familiarisé avec l’idée que la NSA, à savoir le gouvernement américain, espionne la planète entière. Des chefs d’Etats aux dirigeants de grands groupes, personne parmi les puissants n’est à l’abri. Big Brother revient en force et 1984 de George Orwell s’est réalisé, mais en 2015 ! Cependant, Les Nouveaux Loups du Web aborde la société de surveillance de manière différente et intelligemment ciblée. Ce documentaire de Cullen Hoback dépasse la traditionnelle confrontation entre les adeptes de la théorie du complot et les défenseurs de la mort de la vie privée. Il démontre que les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), les géants du Web, accumulent sur chacun d’entre nous des données innombrables, à faire pâlir les services de renseignement de l’ère de la Guerre Froide. Et il poursuit en démontrant que nous les livrons avec enthousiasme, ou tout au moins en ignorant très largement que nous n’en avons plus la propriété. Grâce à quelques petits génies, dont Steve Jobs, Bill Gates, Mark Zuckerberg, astucieusement présentés par Hoback dans une brève rencontre, chacun et chacune d’entre nous sommes devenus les gigabits d’informations avec laquelle on fabrique le Big Data ! Dès lors, les différents intervenants du documentaire permettent d’assimiler l’idée-clé que c’est désormais la dynamique du business qui menace la vie privée. Soutenu par un commentaire extrêmement pédagogique, le montage de Cullen Hoback ne sombre jamais dans le militantisme simplificateur. Certes, Barrett Brown, leader officieux des Anonymous, assume le rôle du dénonciateur du complexe industrialo-sécuritaire américain. Mais Sherry Turkle, professeur au MIT, insiste sur la mutation que l’espace numérique entraîne sur notre vision de l’intimité. Elle donne par là -même du poids à la mise en lumière de notre consentement à tout livrer de nous sur les réseaux sociaux et à échanger notre liberté contre les avantages des outils numériques. Exemple marquant : un 1er avril, le site internet Game Station a pu faire valider à 7500 internautes le don de leur âme dans leurs conditions de vente…
Au cœur de ce documentaire se situe la démonstration que les entreprises-clés du numérique alimentent la société de surveillance plus encore que les Etats et leurs services de renseignement. Ces derniers ont finalement trouvé de solides auxiliaires dans le secteur privé… Chris Anderson, ancien rédacteur en chef au magazine Wired, explique nettement que les fournisseurs d’accès internet maximisent leur démarche publicitaire en contrepartie de la gratuité, fabriquant au quotidien le ciblage et le décryptage marketing du consommateur. Les conditions générales d’utilisation des données privées que nous validons pour utiliser Facebook, Linkedin ou les services d’Apple, constituent un monstre juridique que personne ne peut lire jusqu’au bout ni véritablement comprendre. Dans ces conditions en lettres capitales s’étalant sur des pages et des pages figure cette précision de taille : la possibilité de transmettre les données personnelles aux pouvoirs publics pour permettre d’enquêter sur des activités illégales (dynamique conçue de façon large aux Etats-Unis depuis le Patriot Act).
Au bout du compte, c’est bien sûr la question de l’usage de ce pouvoir offert aux gouvernants que pose cette enquête dans l’univers du Web. Ce qu’explique parfaitement l’écrivain de science-fiction Orson Scott Card, connu pour l’adaptation de son roman au cinéma, La stratégie Ender (Ender’s Game) de Gavin Hood sorti en 2013 : ces moyens techniques existent et l’on ne peut pas renoncer aux réseaux sociaux ou au cybermonde en général pour protéger la vie privée. Il faut en revanche tout faire pour améliorer la transparence dans le contrôle des gouvernements sur cette question. Le documentaire fait inévitablement penser à Minority Report (une séquence est d’ailleurs utilisée) où des médiums, les précogs, visualisent des crimes avant qu’ils ne soient commis. Système qui autorise une équipe de police dédiée, dirigée par Tom Cruise, à arrêter des meurtriers avant qu’ils ne le deviennent… Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans le dispositif américain d’interception massive des données privées qu’autorise la collaboration entre l’Etat et les titans des télécommunications (comme AT&T). L’ensemble est merveilleusement illustré par un programme aujourd’hui stoppé – ou discrètement métamorphosé ? – qui portait le nom évocateur de Total information Awarness. Celui-ci dépendait du Pentagone et s’intégrait, prétendit l’Oncle Sam, dans la lutte antiterroriste. Il aurait conduit à une sorte de fichage des individus à l’échelle planétaire, censé mener à une meilleure prédictibilité des actions terroristes. Hoback en fait une présentation sommaire mais efficace.
Les familiers de la problématique « Cybersécurité » n’apprennent rien dans ce documentaire. En revanche, tous ceux qui veulent saisir les dangers qui pèsent sur notre vie privée trouvent dans ces témoignages un éclairage pédagogique et fort utile à la santé du débat démocratique. On aurait apprécié quelques illustrations cinématographiques supplémentaires, toujours tirées de Minority Report ou bien puisées dans Ennemi d’Etat de Tony Scott, avec Will Smith et Gene Hackman. L’ensemble reste bien mené et seul le dernier quart d’heure use l’attention. Les Nouveaux Loups du Web évitent à la fois le complotisme et l’angélisme : un bel hommage à l’investigation, qui nous fait approcher ce que « quatrième pouvoir » veut dire.
Eric Delbecque
- LES NOUVEAUX LOUPS DU WEB (Terms and Conditions May Apply) réalisé par Cullen Hoback en salles le 6 janvier 2016.
- Avec : Raymond Kurzweil, Joe Lipari, Richard ‘Moby’ Hall, Mark Zuckerberg, Leigh Bryan, Max Schrem, Shinn Christopher…
- Production : Cullen Hobback, Nitin Khanna, John Ramos
- Photographie : Ben Wolf
- Montage : Cullen Hoback
- Musique : John M. Askew
- Distribution : Jupiter Films
- Durée : 1h17
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