CC : On éprouve de l’attachement pour le jeune journaliste (Sylvain Dieuaide) et la jolie cantatrice (Christa Théret) dont il s’éprend, même s’ils sont un peu en retrait. Qu’apportent-ils pour vous à cette histoire ?
XG : En musique, ils seraient ce qu’on appelle des contrepoints ; ils reprennent des éléments de la mélodie de l’histoire de Marguerite. Pour eux, il est surtout question de l’amour et du rapport de vérité que l’on a avec soi-même. Le journaliste décide d’arrêter de se mentir et de quitter son travail afin de faire ce qu’il a vraiment envie de faire. Il quitte le mensonge social dans lequel il s’est enfermé et décide d’écrire pour lui, tout en prenant le risque de se heurter à la vérité de son désir. Ces personnages font apparaître la force de Marguerite ; elle met les gens face à eux-mêmes grâce à sa pureté, son innocence et sa profonde honnêteté. Tout son entourage pense la manipuler, mais en réalité, il se fait manipuler par elle ; elle oblige chacun d’entre eux à se demander qui il est vraiment et à quel moment de sa vie il se trouve.
CC : Et que dire du personnage de professeur de chant, incarné remarquablement par Michel Fau…
XG : C’est un acteur de théâtre considérable. Mon bonheur est qu’il n’a jamais eu de rôle à sa mesure au cinéma. Dans ce film, on voit une part éclater de son génie, de son insolence, de sa drôlerie et de sa folie. Il apporte une profondeur à son personnage, cet homme seul qui joue au professeur dictatorial alors que ce n’est qu’un pantin.
CC : On ressent aussi tout le profond désespoir du mari (André Marcon) face à l’attitude de son épouse…
XG : Le film est avant tout une histoire d’amour entre un homme et une femme qui se cherchent et vont finir par se retrouver. On comprend que le déraillement dans sa voix émane du déchirement qu’elle a dans son cœur. Elle crie son besoin d’amour et la seule fois où elle chante juste se déclenche lorsqu’elle voit son mari la fixer avec un regard profondément amoureux pour la première fois.
CC : Dans À l’origine, l’intensité dramatique était à son comble puisqu’il s’agissait d’un homme qui mentait et trompait tout le monde ; on craignait qu’il soit démasqué. Ici, c’est l’inverse : tout le monde ment à une seule personne. Cela a-t-il modifié votre approche en terme de dramaturgie ?
XG : Selon moi, il est question de la même chose. Ce sont des personnages qui se découvrent eux-mêmes tout en découvrant le monde. Dans mes films, il est souvent question de personnages qui doivent négocier avec la réalité et faire face au mensonge de leur vie. C’est très humain, cela nous concerne tous. Je me souviens m’être demandé un jour : « Vaut-il mieux une vérité qui fait du mal ou un mensonge qui fait du bien ? ». Je penses que si je fais des films, c’est parce que je suis incapable de répondre à cette question. Pourtant, il s’agit de la grande question de nos vies. Nous sommes à la fois trop fragiles et sensibles pour se heurter à la réalité d’une manière trop brutale, et en même temps, nous sommes des êtres trop inquiets et exigeants pour se contenter de mensonges. C’est justement là que le cinéma entre en jeu, car c’est un art d’émotion qui nous permet d’explorer ce trouble, sans pour autant avoir besoin d’apporter des réponses à tout.
CC : D’où vous provient ce besoin de parler de l’humain qui se heurte violemment à la réalité du monde ?
XG : J’ai été un enfant très aimé et très protégé par mes parents. J’ai moi-même découvert la réalité du monde, et j’ai compris que les autres n’allaient pas forcément m’aimer comme mes parents. Cela peut paraître très simple mais il s’agit d’une émotion humaine fondamentale. Avec du recul, mes personnages sont souvent des enfants perdus, qui vivent dans l’illusion : ils sont constructeurs d’autoroute comme François Cluzet dans À l’origine, chanteur de bal mondialement connu à Clermont-Ferrand – comme le formulait Depardieu – dans Quand j’étais chanteur, ou bien encore cantatrice dans Marguerite…
Nicolas Colle
>> Notre critique de Marguerite <<
- MARGUERITE de Xavier Giannoli disponible en DVD/Blu-ray depuis le 20 janvier 2016.
- Avec : Catherine Frot, André Marcon, Michel Fau, Christa Théret, Denis Mpunga, Sylvain Dieuaide, Aubert Fenoy, Sophie Leboutte.
- Scénario : Xavier Giannoli, Marcia Romano
- Production : Olivier Delbosc et Marc Missonnier
- Photographie : Glynn Speeckaert
- Montage : Cyril Nakache
- Décors : Martin Kurel
- Costumes : Pierre-Jean Larroque
- Musique : Ronan Maillard
- Editeur DVD : France Television Distribution
- Distribution salles : Memento Films
- Sortie en salles : 16 septembre 2015
- Durée : 2h07
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