Synopsis : Batman et Robin combattent le Joker, Catwoman, le Pingouin et le Sphinx, unis dans le vol d’une invention capable de déshydrater entièrement tout être vivant.
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Le Batman de Leslie H. Martinson de 1966 s’impose comme le nec plus ultra du kitsch et il est à redécouvrir en salles dans une belle version restaurée 4K pour fêter dignement son 50e anniversaire. En la matière, on ne saurait faire mieux. Bien entendu, il faut le regarder au énième degré ; il fait flotter dans l’air un parfum très particulier de joie d’enfance. Un certain nombre d’entre nous en font déjà sa madeleine de Proust car il nous replonge dans nos jeunes années et nous autorise à communiquer gentiment avec un monde perdu. L’ironie revendiquée de cet affrontement en toc entre Batman (Adam West), Robin (Burt Ward) et ses meilleurs ennemis (le Joker, le Pingouin, Catwoman et le Sphinx) réjouit notre sens de l’absurde ; il subvertit aimablement les standards de l’univers super-héroïque d’une façon assez étonnante pour l’époque. Car l’ensemble de la mise en scène, des décors et du comportement des personnages mêlent deux approches opposées dans leurs principes. On ne trouve pas simplement dans ce film, tiré de la série originelle, une simple apologie infantile des valeurs traditionnelles américaines des années 50 et 60. On y débusque aussi quelques produits plus toxiques. Bien sûr, le côté sombre du Chevalier Noir est totalement gommé pour en faire un personnage lisse, qui incarne à merveille la bonne société de l’Est américain. Gotham est une cité modèle et non un nid du crime, Bruce Wayne est un richissime playboy sans véritable conflit intérieur, et Batman ne suscite pas la méfiance des forces de l’ordre. Il pose même en héros de la police, laquelle coopère avec lui dans l’enthousiasme et en prenant quasiment ses ordres dans la batcave. La scène de la conférence de presse devient un must lorsque Batman et Robin déclarent être des représentants de la loi assermentés, dont la mission est d’appuyer la police. Le commissaire Gordon va même jusqu’à expliquer pourquoi il est absolument nécessaire que les deux compères portent un masque. Sans équivoque aucune, l’homme chauve-souris est un auxiliaire de l’ordre établi qui ne manque jamais de révérer ostensiblement le modèle WASP.
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Le cadrage lui-même participe aux scènes professorales et moralisantes, qui nous immergent dans une salle de classe enseignant la bienséance, les bonnes mœurs et les principes cardinaux de la saine moralité protestante. Tout évoque le respect de l’Oncle Sam, la grandeur de l’Amérique et l’horreur sacrée des criminels. Notons au passage que les super-vilains sont désignés comme des « super-criminels » et que Catwoman (Lee Meriwether) qualifie le quatuor qu’elle forme avec le Joker (Cesar Romero), le Pingouin (Burgess Meredith) et le Sphinx (Frank Gorshin) « d’union sacrée de la pègre ». Pourtant, tout est un peu plus compliqué qu’il n’y paraît. L’ambiance psychédélique ne fait pas que promouvoir les règles esthétiques de la pop-culture et de l’esprit contestataire, naissant de cette période « bénie » des Trente Glorieuses. Derrière les couleurs criardes, la musique quasi expérimentale, les onomatopées en fluo et les costumes improbables, on surprend un second degré qui tourne franchement à la moquerie : les forces de l’ordre en premier lieu. Le commissaire Gordon et son adjoint ne brillent pas par leur intelligence. Les déductions de Bruce Wayne et de Dick Grayson sont faites pour pasticher Sherlock Holmes et tous les grands détectives de roman.
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De son côté, la technologie tire systématiquement sur la farce, tant elle semble grotesque. Quant à certains décors, accessoires et interprétations, ils ne cessent d’étonner ; la scène du requin en plastique bourré d’explosifs mérite les honneurs de la série Z. On pourrait aussi évoquer le téléphone rouge qui relie par exemple la Bat-mobile à la police, ou encore le Bat-copter, les gadgets de la bande du Pingouin et le sous-marin à nageoires. On se rend compte rapidement que le tournage fut donc un pur défoulement pour l’ensemble des acteurs ; Cesar Romero (le Joker) et Burgess Meredith (le Pingouin) en tête. Et Lee Meriwether, beauté archétypale des années 60, donne un charme indescriptible à Catwoman. On a quand même hâte de voir finir les bagarres façon cours de gymnastique dans le dernier quart d’heure. Mais au final, ce retour dans les années insouciantes de l’Amérique d’après-guerre nous offre une super-farce héroïque et grinçante, un peu comme on goûte quelques instants agréables pour mieux sourire à l’enfant qui s’attarde en nous.
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- Ressortie de BATMAN réalisé par Leslie H. Martinson en salles le 23 mars 2016 en version restaurée 4K.
- Avec : Adam West, Burt Ward, Cesar Romero, Lee Meriwether, Burgess Meredith, Frank Gorshin, Alan Napier, Neil Hamilton, Stafford Repp, Reginald Denny…
- Scénario : Lorenzo Semple Jr. d’après le comics Batman de Bob Kane, publié par DC Comics, et adapté de la série éponyme de 1966
- Production : William Dozier
- Photographie : Howard Schwartz
- Montage : Harry W. Gerstad
- Décors : Chester Bayhi, Walter M. Scott
- Costumes : Pat Barto (non crédité)
- Musique : Nelson Riddle
- Distribution : Splendor Films
- Durée : 1h45
- Date de sortie initiale : 30 juillet 1966 (États-Unis) et 6 septembre 1967 (France)
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