Synopsis : David Mann, représentant en informatique, doit se rendre à un rendez-vous d’affaires en traversant la moitié de la Californie. Mais la route sera plus dure que prévu. Au volant d’une voiture quelconque, il est amené à doubler un énorme poids lourd transportant des matières inflammables. Le routier, qui a gonflé le moteur de ce monstre, ne va plus lâcher David Mann…
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Démarrage du Cycle Steven Spielberg ce vendredi 2 février sur OCS Géants avec cinq films majeurs de sa filmographie. Comment juger d’une première œuvre ? Est-ce un tort d’omettre Duel pour coup d’essai d’un artiste encore immature ou de la juger en rétrospective ? La question se pose d’emblée pour ce premier long-métrage signé Steven Spielberg, à 24 ans. En 1971, le futur réalisateur des Dents de la Mer et de Jurassic Park est un autodidacte, qui a quitté l’école du cinéma après avoir décroché un contrat sur sept ans chez Universal Studios, après le succès d’estime de son moyen-métrage Amblin’. Outre ses petits films en 8 mm réalisés durant son enfance, il a fait ses premières armes sur des séries télé (dont le pilote de Colombo) avant de se voir proposer le « téléfilm de la semaine » sur ABC : Duel. Richard Matheson, à qui on doit les romans Je Suis Une Légende, l’Homme qui Rétrécit ou Le Jeune Homme, La Mort et Le Temps, ainsi que quelques-uns des meilleurs épisodes de La Quatrième Dimension, adapte sa propre nouvelle, parue originellement dans Playboy, inspirée d’une course-poursuite étrange qu’il a lui-même subi. Surveillé par le responsable des téléfilms d’ABC, Lillian Gallo, Spielberg prend à la légère le tournage d’un film « pour le petit écran », mais c’est ce premier pari qui va beaucoup lui apprendre. Dennis Weaver, vu dans La Soif du Mal d’Orson Welles et alors rôle-titre de la série Un shérif à New York, est personnellement recruté par Spielberg pour jouer David Mann, un col blanc qui doit traverser la moitié de la Californie pour se rendre à un rendez-vous professionnel. Homme banal, fébrile et effacé, malheureux dans son mariage, ce Monsieur Tout-le-Monde croise un énorme camion et le dépasse, avant que celui-ci ne le dépasse en retour. Il ne le lâchera plus…
L’histoire de Duel est en effet simple : que se passerait-il si un chauffard décidait de tout faire pour vous tuer ? Il faut dire qu’il s’agit d’un camion patibulaire. Rouillé, nimbé d’un énorme nuage de gaz d’échappement et d’un gros réservoir inflammable, il est déjà énorme face à la Plymouth Valiant rouge (un modèle très courant) de Mann. Spielberg a choisi une Peterbilt 281, son avant ressemblant à un visage. Car si on ne verra pas une seule fois le visage de son conducteur, le camion devient très vite le véritable monstre. Ses klaxons résonnent comme autant de cris de bête, et les plaques d’immatriculation de différents États ornent son pare-chocs comme autant de trophées, comme si Mann n’était pas sa première victime.
Si on peut lui reprocher un usage un peu paresseux du monologue intérieur, Steven Spielberg montre qu’à 24 ans, il maîtrise déjà les codes de l’angoisse à l’écran. Multipliant les champs-contrechamps, zooms et gros plans, servi par un montage en dents de scie et une musique hitchcockienne, il signe une course-poursuite effrénée dans le désert californien et nous fait ressentir le calvaire du héros. L’homme est face à la machine et David Mann doit conquérir le courage qu’il lui manque, telles sont les interprétations possibles de Duel, même si Spielberg lui-même insistera qu’il s’agit surtout d’une version du Train Sifflera Trois Fois en voiture. Le jeune réalisateur fera néanmoins son petit effet devant les studios. Alors que les producteurs insistent pour que le camion explose à la fin, il obtient de conserver la lente séquence où on voit le monstre enfin mourir…
Duel obtient un grand succès dès sa diffusion et bénéficie même d’une sortie en salles aux États-Unis et en Europe. Il tourne quelques scènes supplémentaires pour allonger la durée du film. Le festival d’Avoriaz lui remet son Grand Prix 1973. Le jeune réalisateur obtient son sésame pour le grand écran et le film devient culte, considéré comme l’un des meilleurs téléfilms jamais réalisés. Steven Spielberg avoue regarder sa première œuvre deux fois par an pour « se souvenir ce qu’il avait alors fait ». Surtout, Spielberg retiendra de Matheson que ne pas voir la menace elle-même (à savoir le chauffeur du camion) est la meilleure façon de la rendre encore plus terrifiante ; il s’en souviendra pour les Dents de la Mer. Mais là, c’est une autre histoire…
Arthur de Boutiny
- DUEL
- Diffusion : 1er février 2019
- Chaîne / Plateforme : OCS Géants
- Réalisation : Steven Spielberg
- Avec : Dennis Weaver, Jacqueline Scott, Carey Loftin, Eddie Firestone, Lou Frizzell, Eugene Dynarski, Lucille Benson, Tim Herbert, Charles Seel…
- Scénario : Richard Matheson d’après sa nouvelle Duel
- Production : George Eckstein
- Photographie : Jack A. Marta
- Montage : Frank Morriss
- Décors : Robert S. Smith
- Musique : Billy Goldenberg
- Durée : 1h14 (version originale) – 1h29 (version cinéma)
- Diffusé pour la première fois sur ABC le 13 novembre 1971 – Sorti au cinéma en France le 21 mars 1973