Entre polémiques, opacité et membres nommés à vie, les dysfonctionnements de l’Académie des César ont abouti à la mobilisation du septième art français pour lancer une réforme. Les 400 signataires d’une tribune publiée dans Le Monde veulent voir les choses changer.
Quatre ans après la remise en question des institutions hollywoodiennes -trop masculines, trop blanches-, à la suite des #OscarsSoWhite, l’affaire Weinstein et de la déferlante #MeToo, l’Académie des César, présidée par Alain Terzian, à son tour, sent poindre le vent du changement.
Du moins par bourrasques, et malgré elle. Car les controverses s’accumulent autour de la 45e cérémonie, qui se tiendra Salle Pleyel le 28 février.
À tel point que ce lundi 10 janvier, 400 personnalités du cinéma français, parmi lesquels Omar Sy, Karin Viard, Emmanuelle Bercot Virginie Efira, Adèle Exarchopoulos, Marina Foïs, Jean-Pierre Bacri, Leïla Bekthi, ou encore Léa Seydoux, ont signé une tribune publiée dans Le Monde en faveur de réformes du fonctionnement de l’Académie. L’aboutissement de tensions alimentées par l’instance à coups de communiqués.
Tout d’abord, le 13 janvier dernier, la Société des Réalisateurs Français (SRF) demandait des comptes en marge de la Soirée des Révélations, destinée à accueillir les jeunes comédiens et comédiennes, futurs espoirs du cinéma français. En cause, la « mise à l’écart » constatée de plusieurs artistes, choisis comme parrains ou marraines par les invités, une tradition importante pour aider les acteurs débutants à faire leurs premiers pas dans la profession.
Refus nets de l’Académie, ou justifications erronées – comme la soi-disant indisponibilité de la réalisatrice Claire Denis, qui en réalité n’avait pas été contactée – ont été dénoncés dans un communiqué de la SRF, souhaitant des « explications » sur ces « agissements opaques et discriminatoires ». Une mise en lumière alors relayée par plusieurs grands noms du cinéma français, dont Michel Hazanavicius, Cédric Klapisch, et l’actrice Marina Foïs. C’en est suivi un premier communiqué de l’Académie, qui, présentant ses « excuses », se disait ouverte aux « propositions » pour « améliorer l’ensemble de ses dispositifs ».
Puis, vînt l’annonce des nommés, liste révélée le 29 janvier depuis le Fouquet’s, avec les douze nominations pour J’accuse de Roman Polanski. En novembre 2019, alors que sort le film du réalisateur sur l’Affaire Dreyfus, une victime française sort du silence, relatant dans un texte cité par Le Parisien, le viol que lui aurait fait subir Polanski en 1975. Les réactions ne se sont pas fait attendre. Les associations féministes et les militants sont montés au créneau. La réponse d’Alain Terzian à cette nouvelle levée de boucliers post-Weinstein et #MeToo coïncide avec l’impression qu’elle donne : « L’Académie n’est pas une instance qui doit avoir des positions morales », a tranché le président. De quoi accentuer les dissensions.
C’est dans ce climat « compliqué » qu’Alain Terzian a donné une interview au JDD dimanche 9 février, où il annonce son intention d’instaurer la parité au sein des 4.680 membres de l’Académie, qui ne comptent que 35% de femmes. « Nous allons donc opérer une révolution culturelle pour atteindre la parité, un vrai 50/50 (…) ouvrir massivement à 700 ou 800 femmes supplémentaires le collège des votants », a expliqué le producteur, appuyant ses propos du 29 janvier dernier.
Une réponse bien insuffisante pour les signataires, qui souhaitent voir les César devenir plus démocratiques. Sans exclure. En commençant par être transparents sur leurs dépenses et celles de l’Association pour la Promotion du Cinéma (APC), qui régit l’institution et veille sur son fonctionnement. Les chiffres annuels, autrefois disponibles sur la page d’accueil des membres – qui paient une cotisation – n’apparaîtraient plus aujourd’hui.
De plus, le pouvoir des votants sur la cooptation (système de recrutement par nomination) de nouveaux membres de l’Association – qui les sélectionne elle-même -, et sur le déroulé de la cérémonie serait inexistant, sinon bien réduit : « Les dernières cooptations remontent à plus de vingt ans », explique-t-on. Certains des 47 admis de l’assemblée décisionnaire seraient même « cooptés à vie ». En somme, des dirigeants indéfiniment rééligibles : « Tout cela aboutit à une structure où la majorité des membres de l’Académie ne se retrouve pas dans les choix qui sont faits en leur nom et qui ne reflète pas la vitalité du cinéma français actuel », précise le texte.
En réaction aux plaintes qui pourraient venir perturber la remise des prix, Alain Terzian et l’Académie en appellent à l’apaisement. Dans un second communiqué succédant aux mesures annoncées le lundi 10 février, le Conseil d’Administration des César demande une médiation au CNC, afin de préparer une « profonde réforme des statuts et de la gouvernance de l’Académie ».
Reste à savoir si les réfractaires profiteront de la cérémonie pour faire entendre leur voix.
Révélations sur le fonctionnement de l’Académie des César: @LaSRF1968 réagit dans un communiqué👉 @Les_Cesar #César2020 @lefilmfrancais @lemondefr @Telerama pic.twitter.com/vBzcyJ5X4j
— LaSRF (@LaSRF1968) January 13, 2020