Synopsis : La planète Terre, 2048. Hanté par un cauchemar qui l’entraîne chaque nuit sur Mars, Doug Quaid s’adresse à un laboratoire, Rekall, qui lui offre de matérialiser son rêve grâce à un puissant hallucinogène. Mais l’expérience dérape : la drogue réveille en lui le souvenir d’un séjour bien réel sur Mars, à l’époque où il était l’agent le plus redouté du despote Cohaagen. Des tueurs désormais à ses trousses, Quaid décide de repartir sur la planète rouge où l’attendent d’autres souvenirs et bien d’autres dangers…
♥♥♥♥♥
Second film hollywoodien réalisé par Paul Verhoeven, Total Recall (1990) affirme son rôle de transition entre le grand spectacle futuriste de RoboCop (1987) et le thriller érotique orchestré par Basic Instinct (1992). Adapté d’une nouvelle de Philip K. Dick, le scénario cosigné par Ronald Shusett, Dan O’Bannon et Gary Oldman, respecte le goût du romancier pour les structures nivelées et les basculements identitaires. De fait, le dédoublement du personnage principal interprété par Arnold Schwarzenegger (alors au sommet de sa notoriété) ouvre le récit à une exploration aussi physique que mentale. Le trouble de la personnalité s’associe en effet aux paysages arides de la planète rouge et la plasticité difforme de ses habitants. Verhoeven retrouve ici l’une des principales qualités de son style, consistant à inscrire le tissu de son drame dans la chair de ses interprètes. Le corps musculeux de sa vedette masculine se déchire ainsi dès l’ouverture du film. Son visage littéralement écartelé par la douleur métaphorise le poids d’un destin troué dont il s’agira de retracer le fil. Cette entreprise aux accents mythographiques se développe à travers un rythme soutenu associant la vivacité des scènes d’action à l’impact visuel procuré par la signification du détail. Le gros plan ou l’insert marque la sidération du regard qui traverse un univers oscillant entre le grotesque des toiles de Jérôme Bosch et la fantaisie cartoonesque de Tex Avery.
Ce merveilleux macabre procure à Total Recall une atmosphère duelle, sans cesse tendue entre la légèreté apparente du film de genre et son indéniable gravité sous-jacente. À l’instar de RoboCop (et plus tard de Starship Troopers), Verhoeven semble agir à la manière du contrebandier cher à Martin Scorsese. Tempérament européen oblige ? Toujours est-il que le cinéaste hollandais distille un discours aux nombreuses ramifications critiques, entre inégalités sociales et pouvoir abusif d’un monde politique gangréné par la cupidité. Ce discours qui ne se voile qu’en partie a en outre l’intelligence de se déployer à l’intérieur d’une mise en scène aussi efficace qu’ingénieuse. S’adaptant parfaitement au climat hollywoodien, Verhoeven choisit de condenser son espace pour mieux le maîtriser. Chaque lieu, chaque territoire, se définit d’abord par ses limites. Les intérieurs du film correspondent à des cases ou des scènes uniques dont le cinéaste prend plaisir à exploiter les potentialités dramatiques.
La possibilité offerte par Carlotta de redécouvrir Total Recall sur grand écran, et en version 4K, amplifie ce sentiment de claustration grandiose. Les différents effets numériques employés par le film affirment alors la fonction réversible propre à leur nature d’artefacts. L’enveloppe charnelle s’évanouit au profit d’une danse macabre de synthèse, tandis que les traits du visage s’écrasent, se dilatent, puis se reforment comme pour attester de la plasticité de figures soumises à l’évanescence de l’apparence. Le spectacle en vaut la chandelle et confirme la cohérence de la filmographie américaine de Verhoeven. Façon comme une autre d’insister sur la nécessité de redécouvrir la totalité de son œuvre.
- TOTAL RECALL
- Ressortie salles : 16 septembre 2020
- Version restaurée 4K
- Réalisateur : Paul Verhoeven
- Avec : Arnold Schwarzenegger, Rachel Ticotin, Sharon Stone, Michael Ironside et Ronnie Cox…
- Scénario : Ronald Shusett, Dan O’Bannon et Gary Oldman, d’après la nouvelle Souvenirs à vendre de Philip K. Dick
- Producteurs : Buzz Feitshans et Ronald Shusett
- Photographie : Jost Vacano
- Montage : Carlos Puente et Frank J. Urioste
- Décors : William Sandell
- Costumes : Erica Edell Phillips
- Musique : Jerry Goldsmith
- Distribution ressortie : Carlotta Films
- Durée : 1h43
- Sortie initiale : 1er juin 1990 (États-Unis) – 17 octobre 1990 (France)