Grand Central avec Lea Seydoux et Tahar Rahim

 

Présenté dans la section Un Certain Regard au 66e Festival de Cannes, GRAND CENTRAL (notre critique), le deuxième long-métrage de Rebecca Zlotowski après Belle Epine laisse difficilement de marbre. Dans ce drame fort et prenant, Tahar Rahim incarne Gary, un jeune travailleur du nucléaire rapidement prisonnier des menaces de contamination et de sa passion pour Karole, jouée par la belle Léa Seydoux. A l’occasion de la sortie du film le 28 août, CineChronicle a rencontré la réalisatrice et son interprète principal qui évoquent leurs sentiments et leur travail sur cette histoire d’héroïsme et de courage.

 

 

 

Grand Central de Rebecca ZlotowskiCineChronicle : Rebecca, vous admettez une certaine filiation avec les films noirs français des années 30, notamment ceux de Jean Renoir. Mais on peut aussi penser à A L’ORIGINE de Xavier Giannoli, avec ce personnage central qui arrive en héros au milieu d’un groupe en sursis avant de le détruire malgré lui.

Rebecca Zlotowski : Peut-être à cause de cette idée d’un homme très frais qui va peu à peu sombrer. Et c’est vrai, j’ai puisé dans ces films des années 30 avec ce mélange de réalité sociale dure et sombre et de romanesque. Il y a aussi eu la tentation du western, avec cet étranger qui arrive en ville par le train, cet affrontement entre deux hommes, ce bar et ce territoire à investir. J’ai également pensé au Démineurs (2009) de Kathryn Bigelow, avec ce groupe d’hommes qui implose. J’avais trouvé géniale la façon dont elle faisait apparaître Ralph Fiennes, l’unique célèbre nom de son casting à ce moment là, pour le faire disparaître peu de temps après. L’arrivée tardive de Léa Seydoux, avec son regard fiévreux et troublant dans la centrale, joue un peu là-dessus aussi. L’idée de la sexualité est de toute façon arrivée très tard car le thème vraiment au centre du film reste l’amour. On trouve plus visiblement des héros dans la galère que des héros bourgeois, mais la France en galère, et malgré tout joyeuse, n’était pas non plus mon sujet. La réserve poétique m’intéressait davantage, et je me suis située davantage dans un exercice d’admiration que de dénonciation. Il fallait tout de même des scènes indispensables pour présenter ce milieu du nucléaire et même si l’histoire d’amour arrive tard, je voulais arriver très vite à l’idée que l’on allait parler d’héroïsme et que ce sentiment amoureux vienne dérégler la micro-société de la centrale comme dans l’Accatone de Pasolini. On est d’ailleurs d’abord parties sur une histoire d’amour en temps de guerre avec ma scénariste Gaëlle Macé. Elle a imaginé ce film après avoir lu le roman d’Elizabeth Filhol, La Centrale, où l’auteur décrivait, avec une grande rigueur, le monde des sous-traitants du nucléaire. S’est imposée d’emblée une analogie très simple entre cette romance et l’intuition que ce contexte du nucléaire aurait un sens, après le coup de projecteur jeté par la catastrophe de Fukushima. Nous avons ensuite très vite rencontré Claude Nebout, ouvrier du nucléaire et auteur d’un récit autobiographique, Je suis décontamineur dans le nucléaire. Il est devenu notre premier interlocuteur et le conseiller technique du film. Sa présence a beaucoup rassuré toute l’équipe.

 

Tahar Rahim : Bien sûr, même s’il y a une préparation avant le tournage, les questions viennent sur le plateau. Cet homme était notamment très présent dans la centrale désaffectée de Zwentendorf, située dans la banlieue de Vienne en Autriche où nous avons eu la chance de tourner.

 

R.Z : Il faut savoir que quelques jours avant la mise en service cette centrale, il y avait dû y avoir un incident minime aux Etats-Unis et par conséquent l’état autrichien avait fait voter par référendum la poursuite ou non du nucléaire dans le pays. Le peuple a répondu « non ». De ce fait, cette centrale prête à l’usage s’est retrouvée inutilisée. Nous n’avons donc pas eu de grosses difficultés. Le tournage aurait été beaucoup plus compliqué dans une centrale en activité où la cadence est infernale. Mais Grand Central reste un petit film qui ne présentait pas de danger. Il y avait au contraire un désir de transparence, et puis le désir du film reposait aussi sur ce fantasme, cette peur. Je voulais ouvrir une porte et ne pas bouder mon propre plaisir.

 

Grand Central Tahar RahimCineChronicle : Tahar, pour quelles raisons avez-vous accepté d’être le héros de ce film avant l’écriture du scénario ? Car vous ne procédez sans doute pas toujours ainsi.

TR : Non mais le personnage tel qu’il est m’a tout de suite plu, je l’ai adoré et je voulais l’emmener dans le courage et l’héroïsme. J’essaie à chaque fois de choisir des rôles différents car j’ai toujours peur de me répéter et dans le cas de Grand Central, il y avait une sensibilité presque féminine que je n’avais pas jouée avant. J’essaie aussi de faire des propositions, car c’est le principe d’un acteur. On apporte ce qu’on est, on a envie de surprendre et de s’explorer soi-même.

 

RZ : Je trouve que tu as une approche très naturaliste de ton métier, avec ce rapport quasiment américain, très physique. Tu as besoin d’avoir les dialogues en bouche pour te les réapproprier. Cela aurait été dommage de se priver de cette particularité, même si j’ai pu être coercitive au départ.

 

TR : Je ne dénature pas les dialogues mais disons que je ne les dirais pas de la même manière que mon personnage, Gary, dans la vraie vie. En tout cas, j’ai moins de difficulté qu’auparavant à laisser un personnage au vestiaire. A partir du moment où j’ai du temps pour me retrouver, ça va. J’ai commencé Le Passé d’Asghar Farhadi en même temps que je terminais celui-ci mais cela ne m’a pas dérangé. Du côté d’Asghar comme de Rebecca il n’y avait pas de pression, mais c’est vrai que mon second rôle dans Gibraltar de Julien Leclercq était moins fatiguant que les deux autres, où j’ai du puiser davantage au fond de moi. Mais j’aime défendre tous mes films, y compris les plus petits.

 

RZ : C’est aussi pour cela que j’ai eu très envie de travailler avec Tahar quand je l’ai rencontré, je lui ai même demandé de me dire oui tout de suite.

 

TR : Souvent on va très vite au factuel, pour nous deux ça a été une vraie rencontre, ta façon de parler me touchait.

 

Grand Central Olivier GourmetCineChronicle : Pour certains des autres acteurs de votre film, on sent comme un prolongement de leurs personnages de cinéma, surtout Olivier Gourmet, qui avait déjà cette double voix de prolétaire et d’oracle annonciateur du désastre dans LE COUPERET de Costa-Gavras par exemple.

RZ : J’adore employer les acteurs dans leur rôle-phare. Je n’ai pas vu Le Couperet en l’occurrence, mais Olivier Gourmet portait effectivement cette idée du prolétariat et d’une autre virilité chez les frères Dardenne, comme pour le rôle du chef d’équipe ministérielle que lui avait confié Pierre Schoeller dans l’Exercice de l’Etat. Sur Léa [Seydoux], malgré le lien très fort qui nous unit, j’ai d’abord eu la crainte qu’elle ne soit pas crédible dans le monde ouvrier car elle avait surtout incarné des lycéennes et des bourgeoises. Mais on a eu l’impression de faire nos armes, et il y a eu comme une évidence de l’associer avec Tahar.

 

Grand CentralCineChronicle : Et cet étau qui se resserre autour d’eux se ressent aussi dans la mise en scène. On passe de corps en mouvement à de longs regards affolés et des souffles coupés dans un cadre plus réduit. Est-ce quelque chose de conscient et de voulu ?

RZ : J’espère quand même que le film n’est pas trop anxiogène, j’ai surtout lutté contre l’idée d’un drame fordien classe et stylisé, pour être au plus près des personnages. Comme il s’agit d’un petit film, s’imposait également une économie de décors. J’ignorais au départ à quel point tout était contrôlé dans un cadre. Cette notion d’économie vaut aussi pour la musique, avec la question des droits. On doit la résoudre par des choix pour une meilleure cohérence musicale entre tous les musiciens mis à contribution, c’est comme un scénario souterrain. J’ai pris conscience de tout cela, même si je n’ai pas toujours de recul sur ma direction artistique.

 

>> NOTRE CRITIQUE DE GRAND CENTRAL en salles le 28 août 2013 <<

 

Rebecca Zlotowski / Credit Photo : Victor Sanchez

Rebecca Zlotowski / Credit Photo : Victor Sanchez

Bio express Rebecca Zlotowski

Née en 1980 à Paris, Rebecca Zlotowski est agrégée en lettres modernes lorsqu’elle rentre en 2003 à la Fémis dans la section scénario. Elle y fait des rencontres déterminantes : Teddy Lussi Modeste, Jean-Claude Brisseau, Philippe Gandrieux ou encore Antoine d’Agata. Son premier long métrage, Belle Epine, est son projet de fin d’étude à la Fémis, écrit sous l’égide de son tuteur Lodge Kerrigan. Il est présenté en compétition lors de la 49e Semaine de la critique et obtient en janvier 2011 le Prix Louis-Delluc du meilleur premier film ainsi que le prix du syndicat français de la critique du meilleur premier film. Ce film vaut à Léa Seydoux une nomination au César du meilleur espoir féminin en 2011. En 2013, Rebecca Zlotowski réalise Grand Central, en sélection Officielle au Festival de Cannes, dans la catégorie Un certain regard.

 

 

Tahar Rahim / Credit photo : Victor Sanchez

Tahar Rahim / Credit photo : Victor Sanchez

Bio express Tahar Rahim

Né le 4 juillet 1981 à Belfort, Tahar Rahim débute sa carrière de comédien en 2005 après des études de cinéma à Montpellier, en s’illustrant dans Tahar l’étudiant, un docu-fiction signé Cyril Mennegun et qui s’inspire de son quotidien. On le découvre en policier dans le film d’horreur gore A l’intérieur de Julien Maury et Alexandre Bustillo, puis dans la série La Commune diffusée sur Canal +. Remarqué par Jacques Audiard, Tahar Rahim décroche le rôle du délinquant Malik El Djebena, personnage principal du Prophète, violente plongée dans l’univers carcéral français. Le film remporte le Grand Prix au Festival de Cannes en 2009 et est récompensé par neuf César en 2010, dont le César du Meilleur Espoir Masculin et celui du Meilleur Acteur pour Tahar Rahim.
Sa carrière est désormais lancée, et il se retrouve aux côtés de Channing Tatum dans L’Aigle de la Neuvième Légion de Kevin Macdonald. Il enchaîne avec Love and Bruises, sous la direction de Lou Ye, dans lequel il incarne Mathieu, un ouvrier qui vit une passion amoureuse avec une étudiante chinoise. Il joue ensuite le rôle d’un jeune émigré algérien et espion malgré lui pendant la Deuxième Guerre mondiale, dans Les Hommes Libres (2011) d’Ismaël Ferroukhi. La même année, retour aux intrigues historiques dans le rôle principal d’Or Noir de Jean-Jacques Annaud, avant de rejoindre Niels Arestrup et Emilie Dequenne dans A perdre la raison de Joachim Lafosse. Il revient en 2013 sur la Croisette avec Le Passé d’Asghar Farhadi et Grand Central de Rebecca Zlotowski. Tahar Rahim sera à l’affiche de Gibraltar de Julien Leclercq, aux côtés de Gilles Lellouche, sur les écrans le 11 septembre prochain.

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