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[Copyright©ND – archive presse mars 2008] Quatre réalisateurs investissent le genre dans l’hexagone : Marc Caro (Dante 01), Julien Leclercq (Chrysalis), Franck Vestiel (Eden Log) et prochainement Mathieu Kassovitz (Babylon AD). Coïncidence, démarche assumée ou effet de mode ? C’est l’occasion de poser un regard sur ce phénomène, et de voir s’il existe une écriture de science-fiction made in France.
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Selon le Petit Larousse « la science-fiction est un genre littéraire et cinématographique envisageant l’évolution de l’humanité et, en particulier, les conséquences de ses progrès scientifiques ». Il s’agirait avant tout d’une affaire de visionnaires. Née dans la littérature avec, pour la France, l’incontournable Jules Verne, la science-fiction se décline au cinéma au début du siècle dans Le voyage dans la lune de Georges Méliès. Plus tard, à l’époque de la nouvelle vague, Godard (Alphaville), Truffaut (Farenheit 451), Vadim (Barbarella) ou encore Chris Marker (La jetée) s’approprient le genre en tranchant radicalement avec le style américain par leur originalité et leur minimalisme.
Dans les années 1990, Luc Besson (Le cinquième élément), Jean-Pierre Jeunet et Marc Caro (Delicatessen, La cité des enfants perdus) se retrouvent propulsés sur le devant de la scène française et internationale. Le premier adapte les méthodes françaises de réalisations aux standards américains, les seconds créent un concept novateur pour l’époque sur le plan des effets spéciaux. De son côté, Enki Bilal fait son entrée dans le cinéma et se différencie également en s’inspirant de son graphisme en bande dessinée, avec Bunker Palace Hotel, Tykho moon, puis avec Immortel dans les années 2000, qui mélange 3D et acteurs réels. Dernièrement, Christian Volckman réalise Renaissance, son premier long-métrage d’animation SF. Tous ces cinéastes nous offrent des registres différents qui ont un point commun : mettre en évidence des idées neuves et créatrices pour nous transmettre, selon leurs personnalités et leurs parcours, leur perception du genre.
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Trois films de science-fiction française viennent tour à tour d’investir les écrans. Deux sont écrits et réalisés par de jeunes talents : Julien Leclercq et Franck Vestiel. Tout comme leurs prédécesseurs, ils ont été nourris essentiellement des images des maîtres du genre (Carpenter, Lucas, Cameron, Spielberg, Scott) et des mots des écrivains américains (Bradbury, K. Dick, Asimov), sans oublier les inoubliables planches de Métal hurlant.
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Malgré ce sursaut dans l’actualité, cette catégorie de films a encore du mal à s’imposer dans la culture française, au profit du cinéma d’auteurs et de comédie. Ce positionnement est donc semé d’embûches du point de vue budgétaire car il n’éveille pas toujours l’intérêt des chaînes de télévision, qui régissent aujourd’hui le cinéma français. Cependant, depuis début 2006, Canal+ lui attribue une place dans son rendez-vous de programmation « la séance interdite » le vendredi en 2ème partie de soirée, destinée au cinéma de genre de tous pays (SF, horreur, fantastique). Son nom de code : « French frayeur ». Ainsi, la chaîne cryptée permet à des jeunes cinéastes français prometteurs, de sortir des sentiers battus, d’écrire et de réaliser les films qu’ils ont envie de voir à l’écran.
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« L’objectif est de déghettoiser le cinéma français »
Depuis son lancement, Manuel Alduy, Directeur des Acquisitions du Cinéma français chez Canal +, reçoit chaque année une dizaine de projets bien aboutis : « Nous assistons à un renouveau du cinéma de genre au niveau mondial qui donne de l’appétit aux réalisateurs et aux producteurs. Ces 10 dernières années, un savoir faire français adapté au genre, a vu le jour avec EuropaCorp, Wild Bunch, Studio Canal, Gaumont, Pathé, UGC… Pour la SF, il faut comprendre à la fois sa particularité et savoir la vendre à l’étranger. Mais, elle restera, je pense, une expérience ponctuelle en France. Elle n’intéresse pas les chaînes hertziennes nationales car c’est un genre segmentant et qui demande des moyens. Canal+ est la seule chaîne française qui ait envie de ce genre de cinéma. Il y a un vrai public parmi les abonnés. L’objectif est de répondre à ses attentes, de déghettoiser le cinéma français en accompagnant des projets jusqu’à terme et ouvrir une porte à toute cette génération de réalisateurs en soif de genre. Pour l’instant, on arrive à en préacheter 3 sur 5 ».
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La dépense moyenne est de 600 000 € par projet, en cumulant l’investissement de la chaîne et celui de Ciné Cinéma, pour diffuser le film après Canal+. Ce sont idéalement des films en dessous de 2M€, mais dans certains cas, le budget peut être légèrement dépassé. Tous sont des premiers longs-métrages : Ils, Frontière(s), A l’intérieur et Eden Log, qui fut une expérience différente pour Canal+ car il y avait un vrai univers de science-fiction. Et d’autres sont en cours de tournage ou de financement : Lady blood, suite de Baby blood d’Alain Robak (Horreur SF), Ruiflec (Fantastique SF), Mutant, Martyrs et La horde (Horreur), Hameau (Fantastique paranormal) et Humains (Survival Aventure)…
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Le genre science-fiction est donc encore en quête de reconnaissance dans le paysage cinématographique français, mais sa distribution est facilitée par les ventes à l’international, le DVD et la VOD. Car son public, tourné vers les nouvelles technologies, est plus jeune, peu nombreux, mais présent partout dans le monde.
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Chrysalis, sorti en octobre 2007, est le premier long-métrage de Julien Leclercq. Ce jeune cinéaste a été très vite remarqué, par le producteur Franck Chorot de la Gaumont en 2004, pour son court-métrage Transit, une fiction d’anticipation. « Il y a une nouvelle génération de metteurs très prometteuse aujourd’hui, des gens de ma génération qui ont tous vu les films de James Cameron et de John Carpenter. Cela fait partie de notre quotidien. Donc consciemment ou inconsciemment plus tard, on est amené à vouloir réaliser ce genre de films. Chrysalis avait une chance sur 50 de voir le jour. Les chaînes de télévision ont hésité. Le film fait référence à Minority Report, Bienvenue à Gattaca. Montrer le quotidien dans 20 ans avec des machines, des écarteurs d’yeux, des chorégraphies de combats et imaginer des acteurs comme Dupontel ou Marthe Keller, dans le scénario, cela faisait « ovni ». Aujourd’hui, les gens ont besoin d’identifier et d’être rassuré. Mais grâce à C+, une nouvelle vague de films peut être tournée à moins de 3 millions ».
Le tournage a duré 49 jours à Paris et région parisienne, en partie en studio (sur 1000m2) avec un budget s’élevant à 8,7 millions €. Les effets spéciaux n’ont pas représenté un budget très important par rapport au financement global. Le film a été montré dans plusieurs festivals à l’étranger : « A Sitges en Espagne, le public et les producteurs ont adoré. À Cannes également. Les américains ont été très enthousiastes. Je suis allé à Los Angeles au mois de juillet. J’ai rencontré des grands producteurs des studios Universal, Paramount. Ils m’ont proposé des films, mais j’ai refusé. Je suis un cinéaste français qui veut faire des films en France. Je suis rentré pour préparer mon prochain film GIGN sur l’assaut de Marignane. Et c’est là que je suis tombé sur des critiques presse. C’est hallucinant la différence d’accueil pour ce genre de cinéma entre l’étranger et la France. La presse française considère que tout ce qui est beau est suspect. Je parle d’un point de vue esthétique qui va dans le sens du genre et de l’anticipation. Ils ont reproché le côté trop américanisant. Dès que tu t’intéresses autant à la forme qu’au fond, c’est un massacre ».
L’écriture a duré un an et demi, avec trois autres scénaristes. Julien Leclercq a débuté avec Aude Py, puis avec Nicolas Peufaillit pour terminer avec Franck Philippon. Ils ont tout d’abord écrit chacun de leur côté, puis se sont retrouvés pour finaliser. Julien Leclercq écrit ce qu’il va tourner. Il filme juste après la séquence écrite, avec des petites caméras, des Barbies et des Ken. Il fait ce qu’il appelle des « prévis en 3D » (story-board virtuel). Rare en France, mais pas aux Etats-Unis. La séquence de l’opération hologramme graphique (décor, action) est entièrement prévisualisée en 3D sur des ordinateurs. Julien a utilisé un playmobil qui représentait Marthe Keller. L’ordinateur lui a recréé la focale, les mouvements, les hauteurs de caméra. Avec Julien Leclercq, tout est story-boardé, maquetté, préparé.
On retrouve dans le film ses penchants pour la technologie, le design, la moto, le noir et blanc. La seule couleur présente est le rouge sang qu’il a désaturée. Et la moto qui apparaît dans le film est la sienne (une Ducati 749 Biposto). Toute l’équipe s’est mise très vite d’accord sur le casting. Albert Dupontel a suivi toutes les versions du script et a donné son avis sur les changements.
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Eden Log, sorti fin décembre 2007, est le premier long-métrage de Franck Vestiel, qui a fait ses armes en tant que premier assistant réalisateur sur Saint Ange de Pascal Laugier, Ils de Xavier Palud et David Moreau et sur Dante 01 de Marc Caro. Franck a une vision plus pragmatique sur le sujet : « Je pense que ces sorties sont des concours de circonstances. Les opportunités qui nous sont offertes aujourd’hui sont les ventes à l’international car les Américains nous regardent. Ce qui nous aide, c’est le marché du DVD, la multiplication des chaînes câblées qui ont besoin d’être nourries. Je ne crois pas à l’émergence d’un cinéma de genre en France et à une nouvelle génération de réalisateurs. Personnellement, je ne m’inscris pas dedans. Je ne suis pas plus un réalisateur de genre qu’un réalisateur tout court. J’espère bien faire des films qui toucheront tous les codes. L’ouverture de la case « French frayeur » par Canal+ est née d’une volonté d’avoir quelques films français de ce genre et que des producteurs s’y intéressent. Mais quand Canal+ décidera d’arrêter, les producteurs arrêteront… ».
Eden Log est un film d’anticipation mais pas dans le sens classique du terme. L’intention première de Franck Vestiel n’était pas d’imaginer à quoi ressemblerait la technologie de demain car la réponse coûte cher à l’image. Son film est donc intemporel. Il n’y a aucun appareil, aucun cadran. Son objectif est de faire vivre le film à hauteur de Tolbiac, le personnage central, incarné par Clovis Cornillac. La caméra à l’épaule ajoute à la volonté d’adhérer à sa vision. Le projet a duré plus d’un an et demi ; 7 mois d’écriture en collaboration avec Pierre Bordage, auteur de science-fiction (Abzalon, Les guerriers du silence), également co-scénariste sur Dante 01, plus 10 mois entre sa rencontre avec le producteur Cédric Jimenez chez Impéria Film, et la livraison de la copie finale en deux versions (français, anglais). Le tournage a duré 5 semaines dont 2 dans un souterrain (20m de profondeur) à 30km de Paris. Une performance, avec très peu d’effets spéciaux à cause d’un budget restreint (moins de 2M€).
Franck Vestiel a travaillé à la fois sur l’écriture du scénario et la conception graphique et visuelle du film : « Le film commence comme un film photographique avec des images animées. Je voulais faire un premier film avec une première séquence qui s’ouvre comme ma découverte au cinéma. La première chose que j’ai faite, ce sont des photos que j’ai petit à petit animées. J’ai fait ensuite venir le son, la couleur, la projection et le film se termine sur la 3D ».
Sa culture du genre est très riche. Il a dévoré tous les auteurs de Metal Hurlant (Moebius, Druillet, Bilal), mais aussi Franck Miller, Alan Moore… Avec l’arrivée du magnétoscope, il a découvert tous les maîtres américains du genre, puis il s’est plongé dans l’expressionnisme allemand dont la faculté de raconter des histoires sans paroles l’impressionnait. C’est une des raisons pour laquelle le personnage de Tolbiac a très peu de dialogue.
Eden Log a été vendu dans 18 territoires majeurs avant sa sortie : Magnolia Pictures aux Etats-Unis, Weinstein Company en Australie, Comstock au Japon, Momentum Pictures en Angleterre, Tiberius Films en Allemagne. Malheureusement, en France, le film n’a obtenu que très peu de salles : 3 à Paris, 7 en banlieue parisienne et 56 en province… Soit un total de 66 salles, ce qui est dérisoire et qui explique le faible nombre d’entrées.
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Dante 01, sorti début janvier 2008, marque le retour à la réalisation de Marc Caro. Il a débuté sa carrière dans la bande dessinée, l’illustration, le graphisme, l’infographie. Il a créé des affiches, des story-boards, des scénographies, des costumes, des décors de films, des musiques pour spectacles, des courts-métrages, des clip-vidéos, des génériques TV et des films d’animations.
Il a collaboré avec des artistes comme Découflé, Chopinot et Jean-Paul Gaultier. Quelques années après sa co-réalisation avec Jean-Pierre Jeunet, il s’est chargé du Design et de la Direction artistique de Vidocq de Pitof, Le dernier chaperon rouge de Jan Kounen, King Shot de Jodorowsky et d’Alien la résurrection de Jeunet. « J’oeuvre dans la SF depuis mes débuts dans la Bande dessinée à Métal Hurlant… J’ai l’impression d’avoir poursuivi cette direction dans mes collaborations avec Jean-Pierre Jeunet au travers de Bunker de la dernière rafale,  de Delicatessen ou de La cité des enfants perdus qui développent chacun à leur manière des thèmes de la science-fiction. Dante 01 n’aurait pas vu le jour si Vincent Maraval n’avait pas cru au projet et si Wild Bunch n’avait pas pré vendu le film à l’étranger. Quand je vois l’accueil qui est fait à ce genre de film par la presse et par le public, je suis assez dubitatif sur son avenir solide en France… mais j’espère vraiment que la diversité va continuer à exister ».
Ses scenarii ayant été souvent jugé trop ambitieux, Marc Caro tente avec Dante 01 de trouver un sujet qui puisse être financé en France. Huit mois d’écriture puis 40 jours de tournage et 25 plans quotidiens : « Il est toujours très difficile de trouver les moyens de faire ce type de film en France malgré le succès que peut rencontrer ce genre lorsqu’il vient de l’étranger. Les contraintes sont essentiellement budgétaires. La solution passe par une unité de lieu et de personnages par exemple afin de réduire les coûts. Il y a eu plusieurs étapes dans l’écriture du scénario avec Pierre Bordage, qui a écrit aussi les dialogues… Ensuite vient le découpage au travers d’un story-board. D’habitude je dessine mon story-board moi-même, mais cette fois-ci pour des raisons de temps, Fred Blanchard et Gess, deux excellents auteurs de bande dessinée, s’en sont chargés. J’ai dû également m’adapter en changeant radicalement ma manière habituelle de tourner, avec beaucoup de caméra à l’épaule ».
Marc Caro porte un soin particulier à tous les personnages et pas seulement aux rôles principaux. Son choix s’est fait sur un véritable casting de « gueules » que l’on découvre crânes rasés dans le film (Dominique Pinon, François Hadji-Lazaro, Bruno Lochet, Yann Collette…). Dominique Pinon étaient présents à son esprit dès l’écriture. D’autres comme Lambert Wilson ont été de belles rencontres de casting. Les effets spéciaux du film existent grâce à la Buf compagnie et à l’effort et au soutien de Pierre Buffin. Une véritable complicité s’est établie entre eux au fur et à mesure de leurs précédentes collaborations. Complicité aussi avec les studios SFP grâce au soutien financier de la Région Ile de France qui a permis au tournage de rester en France.
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Babylon A.D est une adaptation de « Babylon babies » de  l’écrivain français Maurice G. Dantec. Premier long-métrage de Mathieu Kassovitz sur le thème de la science-fiction, co-écrit avec Eric Besnard et dont le tournage s’est déroulé à Prague. Babylon AD, co-produit par la Fox, s’inscrit lui dans le panorama des films internationaux, tels que Le cinquième élément. En onze ans, c’est ainsi le second film SF français à gros budget qui se concrétise. Encore une denrée rare.
Toutefois, le film fait preuve d’une autre spécificité. Afin de rendre son environnement plus réaliste, Mathieu Kassovitz a lancé en juillet dernier un concours sur le web, avec pour objectif d’imaginer des fausses publicités ou des flash info futuristes de 10s, rendant compte de l’état du monde dans 15-20 ans. La liste des gagnants s’est affichée en octobre et compte 28 jeunes talents qui verront leurs films intégrés les multiples supports présents dans le film (TV, mur interactif…) ainsi que leurs noms au générique. Le réalisateur entrouvre une nouvelle porte en encourageant des artistes de tous bords à se tourner ainsi vers le cinéma de genre. La sortie du film, prévue initialement en début d’année, interviendra en août 2008 et les informations sur son contenu restent encore confidentielles.
En dépit de sa place particulière en France, la science-fiction reste un genre artistique à part entière, qui nécessite une écriture scénaristique pointue. Deux difficultés majeures s’imposent ensuite aux cinéastes : Budget restreint et contraintes de temps. Ils doivent alors faire appel à leur capacité d’adaptation en utilisant des techniques de réalisations propres à chacun d’eux et le fameux système D. À ce jour, on ne compte véritablement qu’une trentaine de long-métrages français qui répondent au critère de la science-fiction dans l’histoire du cinéma français…