Footnote : critique

Publié par Nathalie Dassa le 21 novembre 2011

Les Shkolnik sont chercheurs de père en fils. Alors qu’Eliezer Shkolnik, professeur puriste et misanthrope a toujours joué de malchance, son fils Uriel est reconnu par ses pairs. Jusqu’au jour où le père reçoit un appel : l’académie a décidé de lui remettre le prix le plus prestigieux de sa discipline. Son désir de reconnaissance éclate au grand jour.

 

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Dans ce quatrième long-métrage, primé par le prix du scénario au dernier festival de Cannes, le cinéaste israélien Joseph Cédar excelle particulièrement dans la manière de générer les conflits. Footnote est une tragi-comédie grinçante et érudite qui pourrait aisément connaître une version théâtrale. Le réalisateur de Beaufort, cité à l’Oscar du meilleur film étranger et récompensé par l’Ours d’Argent du meilleur réalisateur au festival de Berlin, qui dépeignait la tragédie des soldats postés dans la forteresse de Beaufort quelques jours avant le retrait israélien du Liban, se focalise ici sur la rivalité et la relation complexe, conflictuelle et intellectuelle entre un père et son fils. Footnote brosse à la fois un portrait incisif de deux générations et une peinture acerbe de l’enseignement universitaire du pays. Le professeur Eliezer Shkolnik, philologue issu de la vieille école, est un personnage atrabilaire, enfermé au quotidien dans son bureau envahi de livres avec un casque contre le bruit sur les oreilles et dont la longue carrière n’a jamais été récompensée. S’il aspire désespérément depuis près de 20 ans à faire valoir son travail, son fils Uriel (Lior Ashkenazi), de même profession mais avec des idées modernes, a lui été rapidement reconnu et loué par ses pairs pour ses différents travaux sur la culture talmudique. Eliezer de son côté s’est consacré à des recherches plus minutieuses et plus approfondies sur le Talmud. Malheureusement, la parution d’une étude concurrente d’un de ses confrères, le Professeur Yehuda Grossman, a rendu son ouvrage inutile. Toute cette malchance et ces échecs l’ont rendus misanthrope et ont fait naître une certaine jalousie à l’égard de son fils, méprisant ses différents ouvrages qui manquent, selon lui, de rigueur et d’objectivité, et brisant toute forme de communication. Il s’est alors tourné vers sa seule réussite, une note en bas de page d’une oeuvre majeure, et a posé sa candidature pour le prestigieux Prix d’Israël.

 

 

Joseph Cédar nous divulgue toutes ces informations dans une structure scénaristique divisée en chapitres où l’on navigue entre le père et le fils. Si la réalisation dynamique est hélas parfois trop maniérée, avec une bande son dramatique surchargeant le propos déjà complexe du système académique et des rivalités professorales, le cinéaste livre un scénario d’une grande profondeur et d’une grande intelligence parsemé de retournements de situation. On retient particulièrement deux séquences fortes. La première est le long plan-séquence d’ouverture où l’on assiste à une remise de prix consacrant le fils Uriel, qui détermine d’emblée la situation des deux protagonistes. Ce dernier quitte le cadre et la caméra se focalise sur le visage sombre d’Eliezer, tandis qu’on entend en off le long discours de remerciements de son fils. On pressent très vite que Footnote sera loquace par ses échanges ésotériques et philosophiques faisant la part belle au caractère fondamental des écrits et des mots, mais Cédar contrebalance intelligemment avec le personnage taiseux, joué magistralement par le charismatique Schlomo Bar Aba, qui n’a aucunement besoin d’en rajouter par la parole. L’acteur porte sur lui toute la misanthropie et le poids de la déception, de l’amertume et de la solitude qui pèse littéralement sur ses épaules.

 

 

La seconde se déroule dans un minuscule bureau/cagibi du Ministère de l’Enseignement avec Uriel et les membres du Jury du prestigieux Prix d’Israël, présidés par Yehuda Grossman. Si cette scène à rebondissement, alimentée par un long dialogue, fait éclater le conflit au grand jour et met en lumière les trahisons et les vengeances personnelles, le cinéaste prouve qu’il sait faire monter les tensions en immergeant tous ces intellectuels, « dont la mission académique prend plus de temps qu’une vie entière », dans des espaces confinés et exigus. Cependant, si à partir de cette séquence le personnage du fils évolue, devenant plus sympathique, et annihile son côté narcissique de la première partie, celui d’Eliezer n’avance pas et reste positionné sur ses certitudes initiales. Au delà d’eux, Cédar tente d’aborder la filiation via les liens entre Uriel et son fils (petit-fils d’Eliezer) qui prend lui, le contre-pied de l’ambition de ces deux hommes. Mais leurs relations hélas bâclées, n’aboutissent nulle part et laisse l’adolescent totalement en retrait, toujours inactif, paresseux et sans ambition. Le cinéaste pose également un regard sur la place des femmes. Mais si elles sont présentes au travers de l’épouse d’Uriel (Alma Zak) qui tente de calmer les tensions et de celle d’Eliezer (Aliza Rosen) dont le parti pris est de garder le silence, Footnote reste un film centré sur les hommes, leur égos, leurs rivalités intestines, la reconnaissance des pairs et les liens narcissiques qui les unissent tous malgré eux…

 

 

 

 

‘Footnote’ écrit et réalisé par Joseph Cedar en salles le 30 novembre, avec Lior Ashkenazi, Schlomo Bar Aba, Aliza Rosen, Daniel Markovich, Alma Zak, Micah Lewesohn, Yuval Scharf, Neva Kimchi. Production : David Mandil, Moshe Edery, Leon Edery. Photo : Yaron Scharf. Montage : Einat Glaser Zarhin, Son : Alex Claude, Yisrael David. Musique : Amit Paznansky. Décors : Arad Sawot. Distribution : Haut et Court. Durée : 1h45

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