Warner Bros poursuit la sortie de sa première collection FORBIDDEN HOLLYWOOD lancée en novembre de l’année dernière, avec une seconde vague des trésors Warner jamais édités en DVD et introuvables. Il s’agit de la collection événement des films de l’ère « pré-code » américaine, qui permet aux passionnés d’accéder à de nombreux grands films jusqu’alors inaccessibles.
Cette fois-ci ce sont 20 films inédits et toujours aussi sulfureux qui seront accessibles à partir du 10 juillet 2013, en exclusivité sur le site officiel du studio.
LES TRÉSORS WARNER
SECONDE COLLECTION « FORBIDDEN HOLLYWOOD »
- AMES LIBRES (A FREE SOUL) de Clarence Brown (1931)
- L’ANGE BLANC (NIGHT NURSE) de William A. Wellman (1931)
- LA BELLE DE SAÏGON (RED DUST) Victor Fleming (1932)
- BOMBSHELL de Victor Fleming (1933)
- 42E RUE (42ND STREET) de Lloyd Bacon (1933)
- LA DIVORCÉE (THE DIVORCEE) de Robert Z. Leonard (1930)
- THE DOORWAY TO HELL de Archie Mayo (1930)
- FASCINATION (POSSESSED) de Clarence Brown (1931)
- FEMALE de Michael Curtiz, William A. Wellman, William Deterle (1933)
- HARD TO HANDLE de Mervyn LeRoy (1933)
- JEWEL ROBERY de William Deterle (1932)
- LADIES THEY TALK ABOUT d’Howard Bretherton et William Keightley (1933)
- LAWYER MAN de William Deterle (1932)
- MAN WANTED de William Deterle (1932)
- THE MIND READER de Roy Del Ruth (1933)
- MISS PINKERTON de Lloyd Bacon (1932)
- RED-HEADED WOMAN de Jack Conway (1932)
- THE CALL IT SIN de Thornton Freeland (1932)
- THREE ON A MATCH (UNE ALLUMETTE POUR TROIS) de Mervyn LeRoy (1932)
- ONE WAY PASSAGE (VOYAGE SANS RETOUR) de Tay Garnett (1932)
Des âmes libres : le genre américain du cinéma « Pré-Code »
Cette collection raconte l’histoire d’une parenthèse enchantée : cinq années dans l’histoire de Hollywood, entre 1929 et 1934, qui constituent plus qu’une période, un genre à part entière du cinéma américain. Au tournant des années vingt, juste après la révolution économico-politique que la crise de 1929 provoque en Amérique, un groupe de cinéastes jouissant d’une liberté morale et esthétique, sans équivalent dans l’histoire du cinéma américain, mettent en scène une vision du monde subversive, novatrice, dont la valeur ultime est la liberté : liberté du langage cinématographique, et liberté — sexuelle, morale, politique — de l’humanité incarnée par des visages nouveaux d’acteurs. Ces cinéastes ont pour nom William A. Wellman, Mervyn LeRoy, William Dieterle, Archie Mayo, Lloyd Bacon, Tay Garnett ; et leurs égéries, fer de lance d’un féminisme unique dans l’histoire du cinéma, Jean Harlow, Barbara Stanwyck, Norma Shearer, Joan Blondell, Kay Francis, Joan Crawford, Bette Davis…
Cette parenthèse enchantée est celle du cinéma « Pré-Code », précédant l’instauration effective du Code de Production formalisé par William Hays. À partir de 1927, pour limiter le coût économique de la censure — le fait que chaque État dispose d’un code de censure spécifique oblige les producteurs à multiplier les copies —, et pour ne pas aggraver les pertes financières liées à la transition du muet au parlant, les patrons des studios chargent William Hays de rédiger un Code de moralité.
Le catholique William Hays établit alors une liste d’interdits à l’intention des cinéastes : interdit d’invoquer le nom de Dieu, de mettre en scène le trafic de drogue, la sexualité, l’homosexualité, l’accouchement, les organes sexuels des enfants, les unions mixtes entre Noirs et Blancs, de représenter des prêtres, pasteurs, hommes politiques, magistrats… antipathiques ou corrompus. Hays enjoint aux studios de bannir le sexe, le baiser, la drogue, l’alcool, l’adultère, la prostitution, les relations sexuelles ou amoureuses hors mariage, la violence (y compris sociale), la danse (trop lascive), le jazz (trop noir), la misère et le crime (trop négatifs). En résumé, Hollywood ne doit montrer aucune scène susceptible « d’exciter le public. »
Pourtant, avant l’application en 1934 du « Production Code Administration », le code de censure du catholique fanatique Joseph Breene, qui aggrave les interdits du Code Hays (ce « Production Code Administration » est resté en vigueur jusqu’en 1968), patrons des studios et cinéastes défient ouvertement la censure, se lançant dans une surenchère de provocations et une défense déchaînée de la liberté sexuelle et politique, confortés dans leur charge subversive par le succès public des films Pré-Code.
Entre 1929, date de la sortie de La Divorcée de Robert Z. Leonard, avec Norma Shearer dans le rôle d’une jeune épouse déterminée à faire de son mariage un pacte d’égalité révolutionnaire (et mieux vaut divorcer que se soumettre aux règles phallocratiques du mariage bien-pensant), et 1934, année du coup d’arrêt, quand Hollywood finit par céder aux pressions gouvernementales et appliquer le « Production Code Administration », les cinéastes William A. Wellman, Alfred E. Green, Mervyn Leroy, Archie Mayo…, les acteurs James Cagney, Edward G. Robinson, Ricardo Cortez, William Powell, et surtout les actrices Barbara Stanwyck, Kay Francis, Joan Crawford, Loretta Young, Joan Blondell, Dorothy Mackaill… créent les films les plus incroyablement crus, humains, réalistes, audacieux, engagés, libres, et surtout féministes, de toute l’histoire du cinéma, pas seulement hollywoodien.
Dans le cinéma du Pré-Code, les femmes prennent le pouvoir à Hollywood, chaque film s’employant à montrer que les femmes sont des hommes comme les autres : elles travaillent autant, sinon plus que les hommes (Female co-réalisé par Wellman, Curtiz et Dieterle, Man Wanted de Dieterle, L’Ange Blanc de Wellman) ; elles ont des amants et divorcent (La Divorcée) ; la maternité n’est pas l’essence de leur vocation (Female, Une Allumette pour Trois de Mervyn LeRoy) ; elles ont autant d’ambition que les hommes, et sont autant acharnées à sortir de leur milieu, lorsqu’il est un frein à leur indépendance et leur bonheur (Fascination de Clarence Brown,They Call it Sin de Thornton Freeland) ; elles ont le courage de braver les interdits sociaux et familiaux par amour (Âmes Libres de Clarence Brown, They Call it Sin).
Pour incarner ce mouvement de libération, les cinéastes du Pré-Code choisissent des visages et des corps nouveaux, rompant avec une joliesse réservée ou banale, et l’idéal de la femme-enfant. Jean Harlow, Ruth Chatterton, Barbara Stanwyck, Loretta Young, Joan Blondell, Dorothy Mackaill, Norma Shearer : c’est la marque des cinéastes du Pré-Code de choisir des actrices dont la personnalité incandescente (Stanwyck), le magnétisme animal (Harlow, Crawford), l’abattage comique (Blondell), la crudité et la frontalité (Chatterton, Shearer) magnifient des rôles au premier plan. À l’époque du Pré-Code, les films sont pensés avant tout pour leurs personnages féminins, tout sauf des faire-valoir.
Nouveaux visages et corps d’actrices au talent dramatique et à l’intelligence du jeu l’emportant sur des critères de beauté conventionnels (l’Oscar® de la meilleure actrice pour Norma Shearer dans La Divorcée est plutôt ironique, si l’on songe que le choix originel d’Irving Thalberg s’était porté sur Joan Crawford, considérée comme plus sexy), nouveaux thèmes mettant en question les présupposés les plus profondément ancrés dans la société américaine (le mariage, la famille, les valeurs chrétiennes…) ; renversement des rôles traditionnels attribués aux sexes ; atmosphère de joyeuse apocalypse d’une humanité dansant sur les ruines fumantes du capitalisme ; critique radicale de l’envahissement de la sphère des désirs humains par les rythmes de l’organisation ultralibérale du travail (Female, Man Wanted) ; apologie des hors-la-loi (gangsters, drogués, prostituées, adolescents délinquants, mères indignes, femmes adultères, escrocs et arnaqueurs refusant d’obéir aux règles capitalistes du travail et de l’« honnêteté »).
Quarante ans avant le surgissement d’une contre-culture américaine, il faut découvrir aujourd’hui le cinéma du Pré-Code, et comprendre à quel point ce continent (presque) inconnu manquait à nos yeux et nos vies de spectateurs.