Blue Jasmine de Woody Allen: critique

Publié par Hélène Sécher le 25 septembre 2013

Alors qu’elle voit sa vie voler en éclat et son mariage avec Hal, un homme d’affaire fortuné, battre sérieusement de l’aile, Jasmine quitte son New York raffiné et mondain pour San Francisco et s’installe dans le modeste appartement de sa sœur Ginger afin de remettre de l’ordre dans sa vie.

 

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Blue Jasmine afficheAprès son tout dernier To Rome With Love (2012) qui en a déçu plus d’un, Blue Jasmine s’impose d’emblée comme un incontournable dans la filmographie de Woody Allen. En adoptant un ton plus sombre que dans Minuit à Paris (2011) et Whatever Works (2009), mais plus léger que dans ses échappées londoniennes – Match Point (2005), Scoop (2006) et  Le Rêve de Cassandre (2007) – le cinéaste américain maintient la barre très haut. Mieux encore : il y parvient tout en naviguant subtilement entre deux eaux : celle de la comédie grinçante et celle du portrait de femme intimiste et sans appel. Il fallait un personnage à la hauteur pour habiter ce cheminement à double foyer. Tel est bien le cas avec Jasmine (Cate Blanchett), une grande bourgeoise de New York qui, après avoir perdu fortune et mari, vient refaire sa vie dans le modeste appartement de sa sœur à San Francisco. Dès lors, l’anti-héroïne allenienne entame un parcours pyramidal tragicomique aussi impitoyable qu’indispensable. Pendant que Jasmine descend l’échelle sociale, sa dépression s’envole jusqu’au point de rupture. Plus elle semble sortir de l’impasse, plus lourde pourrait être cette rechute attendue et redoutée. Cependant, Blue Jasmine captive puisque les séquences se suivent sans que l’on sache à chaque fois de quel côté la balance penchera, et jusqu’où la principale concernée ira dans sa démence ou, à l’inverse, dans sa possible renaissance. Parfois, Jasmine se montre pathétiquement et cruellement drôle par son ingratitude, son arrogance et sa superficialité. Puis, malgré sa part de responsabilité dans son malheur, elle s’avère terriblement attachante et procure chez le spectateur le souhait de la voir s’en sortir.

 

Blue Jasmine1

 

Le film, lui, reste une entité cohérente grâce à ce fil rouge constitué de souvenirs. A coups de Xanax, de Vodka Martini et d’apartés, la reine déchue se remémore les réceptions mondaines et les moments heureux avec son mari Hal (Alec Baldwin) puis la déchéance qui suivra. Woody Allen filme à la même échelle passé et présent, pour mieux affranchir les frontières temporelles et nous plonger dans l’esprit malade de son protagoniste. Et ainsi dévoiler peu à peu le vrai visage de Blue Jasmine : celui d’un long-métrage assez proche, tel un lointain remake, d’Un tramway nommé désir qu’Elia Kazan porta à l’écran en 1951 d’après la pièce de Tennessee Williams. Les deux récits partagent cette critique sur la vacuité du matérialisme face aux mensonges, à la solitude et à la perte de soi. Dans le cas présent cependant, Ginger (parfaite Sally Hawkins en femme d’intérieur faussement gauche) diffère de Stella puisqu’elle a refait sa vie avec un autre Stanley Kowalsky après avoir divorcé du père de ses enfants. Son fiancé, l’intense Chili (Bobby Cannavale), présente les mêmes instincts de violence que son ex-mari mais son animosité sera finalement contrôlée, comme si l’instabilité croissante de sa belle-sœur avait eu un effet bénéfique sur sa propre nature. L’air de rien, Woody Allen lève ainsi le masque sur ses personnages secondaires, dont l’apparente médiocrité s’efface au fur et à mesure que se dévoilent leur sincérité et leur lucidité. Jasmine, elle, reste une Blanche Dubois de son temps, dégageant la même classe et la même sensualité, mais également la même folie que la Vivien Leigh dans Un Tramway nommé désir. A l’instar de Blanche, Jasmine est trop guindée pour être vraie, est trop à bout de nerfs pour supporter la moindre contrariété, et entend dans sa tête une musique qui lui rappelle l’homme qu’elle a perdu. Elle aussi passera de la donneuse de leçons à cet être égaré en marge d’un monde qu’elle rêvait à ses pieds.

 

Blue Jasmine2

 

En somme, c’est bien elle la ‘looseuse’ magnifique, qui ne franchira jamais pour autant la limite du grotesque et de la caricature. Grâce soit rendue en ce sens à Cate Blanchett, extraordinaire du début à la fin dans cette partition terrassante mais suffisamment dopée à l’humour noir pour ne pas être trop lugubre. Tour à tour comique, flippante et bouleversante, la comédienne australienne fait sans doute face à son plus grand rôle, qui pourrait – devrait – lui valoir un Oscar en février prochain. En suivant de très près ses réactions et ses états successifs, Woody Allen trouve en elle un nouvel alter ego, et écrit à deux têtes une autre page de son histoire. Car malgré les comparaisons suscitées, c’est peut-être d’abord à un retour dans sa New-York natale et première ville de cinéma qu’il nous convie. Un retour manqué et maladif – on ne quitte plus San Francisco – mais si réussi et marquant qu’il donne envie d’attendre une prochaine et éventuelle cure de jouvence, un peu plus à l’Est.

 

 

BLUE JASMINE de Woody Allen en salles le 25 septembre 2013 avec Cate Blanchett, Alec Baldwin, Sally Hawkins, Peter Sarsgaard. Scénario : Woody Allen. Producteurs : Letty Aronson, Stephen Tenenbaum, Edward Walson. Producteurs délégués : Jack Rollins, Leroy Schecter, Adam B. Stern. Coproductrice : Helen Robin. Directeur de la photographie : Javier Aguirresarobe. Casting : Juliet Taylor, Patricia Kerrigan DiCerto. Montage : Alisa Lepselter. Costumes : Suzy Benzinger. Décors : Santo Loquasto. Distribution : Mars Distribution. Durée : 1h38.

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