Synopsis : Aria, neuf ans, fait face à la séparation très violente de ses parents. Au milieu de leurs disputes, mise à l’écart par ses demi-sœurs, elle ne se sent pas aimée. Ballotée de l’un à l’autre, elle erre à travers la ville avec son sac à dos et son chat noir. Frôlant le désespoir, elle essaie de préserver son innocence.
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L’actrice-réalisatrice Asia Argento, fille du célèbre metteur en scène de films d’horreurs Dario Argento, revient derrière la caméra en nous offrant L’incomprise, sélectionné à Un Certain Regard au dernier Festival de Cannes. Dans ce quatrième long métrage, elle continue de décortiquer les relations familiales, processus amorcé dans Le livre de Jérémie (The heart is deceitful above all things). Si elle y jouait elle-même une mère dépassée par les événements dans une mise en scène et des couleurs bien plus violentes, elle confie ici ce rôle à Charlotte Gainsbourg, à qui elle a déjà donné la réplique dans Do not disturb d’Yvan Attal. L’Incomprise nous plonge dans les affres d’un couple déchiré, chacun des deux ayant une fille née d’une première union. Aria, la troisième, est le fruit de leur amour passé. La mère est une pianiste concertiste, le père (Gabriel Garko), un célèbre acteur. Voilà donc les parents dont a hérité Aria : deux artistes torturés et narcissiques. Ses sœurs, Donatina (Anna Lou Castoldi), chérie par sa mère, et Lucrezia (Carolina Poccioni), adorée par son père, sont trop jeunes pour être sensibles à la solitude de leur cadette. Asia Argento s’attarde donc sur Aria (Giulia Salerno), l’incomprise. Dans ce monde hostile, cette petite fille de neuf ans, frêle et affable, se raconte des histoires et invente des univers sur son carnet rempli de photos et de dessins. Privée d’amour, elle veut voir au travers de son amitié avec sa camarade de classe, Angelica (Alice Pea), les traits d’une relation sororale s’avérant au final un ersatz, un succédané d’amour.
Rejetée par son père et sa mère, Aria se promène beaucoup et nous fait ainsi voyager dans le Rome des années 80, au rythme d’une musique sur tourne-disques. La bande son est d’ailleurs un personnage à part entière puisqu’elle suit inlassablement cette enfant nous révélant sa personnalité entre joie et tristesse. On en vient à penser qu’Argento a volontairement choisi des morceaux inconnus – à contrario de hits plébiscités – pour créer un parallèle avec le caractère mal-aimé et encombrant de cette fillette. La bande originale renvoie à l’atmosphère de cette époque tout en laissant planer une part de mystère, celle d’Aria. Dans ce contexte dramatique, la réalisatrice impose dès lors une esthétique visuelle et un rythme soutenu. Les scènes sont courtes et se succèdent rapidement. La caméra scrute les personnages et les comportements dans tout ce qu’ils ont de merveilleux et de pervers. La réalisatrice alterne les décors froids rouge bleu d’un salon italien et les atmosphères rose bonbon d’une chambre d’adolescente. Elle parvient ainsi à renvoyer toutes les couleurs de l’arc-en-ciel en prenant la lumière du Nord, celle des matins d’errance d’Aria et la luminosité propre aux paysages toscans lorsque cette dernière s’illumine. Car Argento la filme souvent en gros plans pour capter son regard expressif à la fois triste et coloré mais parfois aussi surréaliste, notamment dans des scènes folles où elle danse seule le soir au milieu d’un groupe de jeunes musiciens underground. Giulia Salerno nous livre une Aria solaire et créative, qui nous donne envie de découvrir ce qu’elle cache de sentiments contradictoires.
De son côté, Charlotte Gainsbourg, après NYMPHOMANIAC de Lars von Trier et 3 COEURS de Benoît Jacquot (notre critique), reprend ici des risques dans le rôle de cette mère indigne et égoïste. Belle et féminine, elle transcende ce personnage en une vamp à l’italienne et révèle une marâtre ressemblant par certains côtés à l’abominable génitrice Folcoche du roman Vipère au Poing d’Hervé Bazin ou encore à celle indifférente des 400 Coups de François Truffaut. Gabriel Garko, en père égocentrique, superstitieux et monstre d’égoïsme, beau comme un dieu grec, en devient presque attendrissant, voire même à la limite du ridicule quand il s’effraie à la vue d’un chat noir ou d’un miroir brisé. Quant aux personnages secondaires, ils viennent parachever leurs jeux en consolidant paradoxalement cette histoire de famille dysfonctionnelle à travers leur complicité et leur complémentarité. C’est ce qui fait sans doute toute la force de ce quatrième long métrage qui aborde la solitude et l’incompréhension dans une ambiance rock et colorée. L’incomprise est comme un bonbon acidulé, d’abord très acide et piquant puis doux et sucré. C’est un oxymore, un drame joyeux et comme le formule si bien Aria : « il y a beaucoup de façons de pleurer, moi je pleure avec dédain ». Asia Argento rappelle ainsi les doutes de notre enfance à travers ce drame déjanté qui offre en prime le plaisir de découvrir Giulia Salerno, une jeune actrice prodige assurément à suivre…
Julie Braun
- L’’INCOMPRISE (Incompresa) de Asia Argento en salles le 26 Novembre 2014.
- Avec : Giulia Salerno, Charlotte Gainsbourg, Gabriel Garko, Carolina Poccioni, Anna-Lou Castoldi, Alice Pea, Andrea Pittorino, Riccardo Russo, sofia Patron, Max Gazzè, Justin Pearson…
- Scénario : Asia Argento, Barbara Alberti
- Production : Lorenzo Mieli, Mario Gianani, Eric Heumann, Maurice Kantor
- Photographie : Nicola Pecorini
- Montage : Filippo Barbieri
- Décors : Eugenia F. di Napoli
- Costumes : Nicoletta Ercole
- Musique : Filippo Barbieri
- Distribution : Paradis Films
- Durée : 1h46
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