Lone Scherfig a séjourné quelques temps à Paris pour promouvoir son nouveau et troisième long métrage The Riot Club, qui prendra l’affiche française le 31 Décembre 2014. L’occasion pour CineChronicle de s’entretenir avec la réalisatrice danoise sur son métier, sa filmographie et sa vision de l’Angleterre, véritable héroïne de ses films Une éducation, Un Jour et aujourd’hui The Riot Club…
CineChronicle : Après Une Education, vous nous faites découvrir dans The Riot Club l’univers de la haute société anglaise et plus précisément celui des cercles privés d’Oxford. Comment est né ce projet ? Et pourquoi êtes-vous attirée par ce type de sujet, ce pays et ses coutumes ?
Lone Scherfig : J’ai eu l’occasion de découvrir au théâtre Posh de Laura Wade lorsque je préparais Un Jour car nous recherchions un jeune homme pour le rôle principal. Tom Mison, qui incarnait James Leighton-Masters dans cette pièce, a ainsi été choisi pour annoncer le prologue dans The Riot Club. J’ai pu la revoir après Un Jour et je me suis dit que ce serait fantastique de concevoir un long métrage qui transcrive ce mélange d’énergie, d’humour et de rage dans un monde de séduction et de pouvoir. De son côté, Laura Wade avait vendu les droits de sa pièce et a confié au producteur qu’elle me voulait pour réaliser l’adaptation au cinéma. Tout s’est donc déroulé de manière très simple. Nous nous sommes rencontrées rapidement et nous avons commencé à travailler. C’est une personne adorable et chaleureuse.
CC : Avez-vous collaboré ou eu droit de regard sur le scénario ?
LS : Oui j’ai même collaboré étroitement avec elle, tout simplement pour des raisons pratiques et techniques et rester toujours bien ancré dans l’histoire.
CC : The Riot Club semble être une satire sur les univers sectaires en général et pas seulement sur les clubs privés. La cooptation et les rites d’initiation font penser à la franc-maçonnerie. Etait-ce votre volonté de départ d’élargir le champ de perspective des cercles privés d’Oxford ?
LS : Certains éléments concordent en effet avec la franc-maçonnerie ; le fait que le Riot Club soit secret force ces jeunes à accomplir ces rites presque tribaux pour rentrer dans l’âge adulte. Mais dans le film, ce ne sont pas les mêmes que dans la réalité. Pourtant certains existent, comme celui où ils doivent se verser une bouteille d’alcool sur la tête dans un endroit public. J’ai découvert cette pratique directement sur YouTube. Ce n’est pas une copie de la réalité. Certains rites existants sont vraiment horribles. Cette jeune élite de la patrie s’enivre à l’excès au point de sombrer souvent dans des comas éthyliques. Et c’est souvent bien plus diabolique encore, comme de prendre un billet de 50 £ [environ 60 €, NdR] et de le brûler devant les sans-abris, ou encore de torturer des animaux. Ils maltraitent les filles également. J’ai même entendu dire qu’ils enlèvent des duos de jeunes femmes, souvent les plus jolies, en leur bandant les yeux pour les emmener très loin afin qu’elles se battent nues dans de la gelée. Le plus dramatique est que ces demoiselles se sentent flattées car elles sont choisies par ces élites pour leur beauté.
CC : Dans Une Education, on traversait la vie d’une jeune lycéenne qui vient d’un milieu modeste et la présence des parents est très importante. Ce n’est pas le cas ici. Souhaitiez-vous poser un regard opposé dans un environnement si proche ?
LS : Oui, les deux récits sont très différents. Une éducation est un film rose, sur la classe moyenne. C’est une peinture sur l’Angleterre et le portrait d’une jeune femme innocente, qui va jusqu’à accepter de se rendre à Paris, afin d’y fêter son dix-septième anniversaire, avec un homme plus âgé afin de perdre sa virginité et son innocence dans un hôtel. The Riot Club est davantage un film bleu, la couleur rouge ne se dévoilant qu’au dénouement lorsqu’ils sont dans le pub et déchirent tous les fauteuils. C’était donc un film bien plus masculin et davantage centré sur les classes sociales en Angleterre avec un cocktail plus violent. Une éducation et The Riot Club sont un peu l’envers et l’endroit. Ils restent très liés. Ces garçons sont d’un certain côté un peu innocents mais ils ne savent pas se gérer car ils ne parviennent pas à faire la différence entre le bien et le mal. Le personnage incarné par Carey Mulligan connaît parfaitement ses limites dans Une Education. Les deux récits ont ainsi la même construction dramatique. Chacun à leur manière traite de la séduction. Nous souhaitions que le public soit séduit par cet homme mûr (Peter Sarsgaard) dans Une Education afin qu’il lui pardonne, comme nous voudrions pardonner à ces membres dans The Riot Club.
CC : Vous avez ajouté des personnages féminins qui ne sont pas dans la pièce. Personnages secondaires, elles semblent pourtant plus fortes et intègres avec de vraies valeurs. Souhaitiez-vous dès le départ apporter un point de vue féminin au récit ?
LS : Ce choix délibéré émane de Laura Wade. Elle voulait ajouter des personnages féminins dès le départ dans l’écriture du scénario. Lauren (Holliday Grainger) est ainsi quelque peu l’alter égo de Laura. Mais ces jeunes femmes ne se rencontrent pas et sont toutes très différentes. Lauren est dans l’émotion, Rachel (Jessica Brown Findlay) est politisée et très intelligente, Charlie (Nathalie Dormer) représente l’argent et le sexe. Mais elles finissent malgré tout par perdre dans ce monde d’hommes.
CC : Vous accordez une importance particulière à l’émotion des personnages. Comment dirigez-vous vos acteurs pour obtenir cette justesse dans leurs jeux ? Sont-ils libres ou êtes-vous très impliquée dans leur interprétation ?
LS : Ils sont restés très libres, je leur ai laissé beaucoup d’espace. Ils ont d’ailleurs fini par s’entraider énormément. C’est important pour un acteur de ne pas être uniquement bon dans son jeu mais aussi d’aider les autres afin de créer une entité. Je leur ai donné aussi une grande liberté pour la simple raison que je ne suis dans la peau d’un jeune homme. Ils ont donc dû apporter tout ce qu’ils sont et leur connaissance pour renforcer les situations dans le film. Ils ont notamment interrogé des personnes du milieu pour s’imprégner de leurs personnages afin de les rendre vraiment réalistes.
CC : Le système éducatif danois est très intéressant. L’état veut donner l’accès à une éducation de qualité à toutes les classes sociales par un système de bourses pour chaque étudiant et des studios très spacieux et peu coûteux dans les universités. Quel est votre avis sur ce sujet ?
LS : En comparaison à d’autres pays, notre système éducatif est en effet plus socialiste. En France, il est très dur car vous avez beaucoup de pression. Cependant, le niveau au Danemark n’est pas très bon. Sur la liste des meilleures universités concernant la qualité de l’enseignement, celle de Copenhague arrive très loin derrière celles d’Oxford ou encore de Cambridge. Je pense qu’il est difficile d’attirer les meilleurs professeurs mais le système est gratuit et comme vous l’avez justement dit, chaque étudiant reçoit une certaine somme d’argent de l’Etat chaque mois. Les étudiants trouvent cela pourtant difficile car ils ne peuvent pas profiter de leurs bars populaires tous les jours. Ils sont néanmoins très privilégiés. En revanche, j’ignore si l’éducation est de qualité. Elle est certainement moins riche que celle d’Oxford. Tout dépend de ce qu’on y étudie en fait. Les écoles de cinéma au Danemark sont très intéressantes et gratuites. Mais d’après certaines rumeurs, si certaines universités anglaises comme celle d’Oxford acceptaient uniquement les étudiants par rapport à leurs notes et leur niveau de connaissances, il n’y aurait que des Chinois, des Taïwanais, des Coréens ou encore des Indiens. Apparemment les asiatiques sont souvent meilleurs que les Anglais. Les institutions auraient donc des quotas pour les étudiants britanniques. Je crois qu’Oxford s’assure d’avoir des élèves qui ne sont pas issus de la haute société. Toutefois, on voit très peu d’étudiants noirs ou provenant de la province anglaise. C’est vraiment très élitiste.
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CC : Pourriez-vous vous pencher sur votre système éducatif peu connu et très démocratique dans un film ?
LS : Bien sûr, mais je n’ai pas tourné au Danemark depuis longtemps. La société anglaise est plus dramatique et cinématographique que le Danemark. Je m’intéresse moins aux histoires de mon pays. Il est plus facile pour moi d’aborder un sujet dans lequel je ne retrouve pas mes racines.
CC : Quels sont vos prochains projets ?
LS : Je travaille actuellement sur un nouveau long métrage qui traitera de la Seconde Guerre mondiale. J’ai également un autre film en cours dont j’ai écrit le scénario. Il sera Américain. Je viens de terminer par ailleurs la réalisation de deux épisodes d’une série pour la télévision américaine et j’aimerais concevoir une série en France.
Julie Braun
>> LIRE NOTRE CRITIQUE DE THE RIOT CLUB <<
THE RIOT CLUB de Lone Scherfig en salles le 31 Décembre 2014, avec Max Irons, Sam Claflin, Jessica Brown Findlay, Douglas Booth, Holliday Grainger, Natalie Dormer, Sam Reid, Ben Schnetzer, Tom Hollander, Tony Way, Freddie Fox, Olly Alexander, Matthew Beard, Amanda Fairbank-Hynes, Xavier Atkins….
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