Synopsis : Un homme et sa fille vivent paisiblement dans une ferme isolée des steppes kazakhes. Alors que deux garçons, un Moscovite et un Kazakh, se disputent le cœur de la jeune fille, une menace sourde se fait sentir…
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Pour son troisième long, le Russe Alexander Kott nous livre une œuvre d’une intensité poétique rare, qui retrace une période sombre de l’histoire. On suit l’existence rustique d’un paysan et de sa fille dans le nord-est du Kazakhstan en 1949, reclus dans une ferme coupée de tout, qui fait figure d’ultime promontoire avant la fin du monde. L’humble bâtisse semble opérer une attraction magique sur le peu de vie que compte les environs entre voyageurs égarés, mystérieux agents gouvernementaux et adolescents oisifs. Pour une obscure raison, tout semble vouloir converger vers ce lieu silencieux et reculé. Le vent brûlant de la modernité lui-même ne déroge pas à la règle. Il a fallu trente jours de tournage dans la steppe de Crimée à Alexander Kott pour accoucher de son projet dénué de tout dialogue. Seuls la musique et les bruitages font parler Le souffle. Cette symphonie naît du vent, avec des sons de brises, de bourrasques, de martèlements de sabot, de craquellements de la terre, de ronronnements sourds d’un avion ou d’un poste de radio. Cette ambiance sonore épouse admirablement la musique du violoniste Alexeï Aïgui, coopté pour ses talents de compositeur. Le trio amoureux est quant à lui assez convaincant. Ils émeuvent par leur fragilité et leur authenticité. Danila Rassomakhin, étudiant au Gitis (grand institut de théâtre et des arts de la scène en Russie) en vue de devenir acrobate, incarne parfaitement ce jeune homme russe, ce clown ingénu. S’il entend séduire la fillette par le rire, son rival kazakh (Narinman Bekbulatov-Areshev) relève davantage du bad boy vigoureux et taciturne. Quant à la jeune fille (Elena An), elle découvre d’abord avec embarras son propre pouvoir de séduction pour ensuite papillonner avec malice entre ses deux prétendants.
La musicalité et l’expressivité des personnages permettent d’apporter du rythme à l’intrigue, mais Le Souffle est avant tout une fable contemplative qui fourmille de trouvailles visuelles : une flamme d’allumette qui, d’un plan à l’autre, se change en oiseau ou encore un jeu d’ombre et de prises de vues transformant un arbre familier en paire de cornes terrifiantes. La force du récit, en dépit de son mutisme et de l’audace de certains montages, est qu’il ne semble jamais surfait. Compte tenu de la gravité du sous-texte – l’implacable essor du nucléaire soviétique –, le réalisateur aurait pu céder à la tentation victimaire. Mais Le Souffle se révèle finalement plus mielleux que larmoyant. Si un mal innommable gronde, ce n’est que derrière l’éclat et la beauté de la nature.
Les personnages sont eux plein d’espoirs d’évasion ; le père portant des lunettes d’aviateur tandis que sa fille parcourt rêveusement du doigt une carte du monde fixée au mur. Face à la solitude et à la mort, leur unique chance d’échapper à leur condition est de se raccrocher au poétique et au burlesque qui étoilent leur quotidien… jusqu’au drame final. Le Souffle nous fait ainsi vivre une expérience visuelle et auditive intense, même si on regrette parfois la simplicité de certaines oppositions thématiques : la sédentarité contre le nomadisme, la tradition contre la modernité, le rugueux contre le cérébral. Si l’œuvre présente un véritable intérêt historique, on ne peut aussi s’empêcher de la replacer dans notre contexte actuel, à l’heure du « Poutine bashing ». Quelque peu embarrassante pour la Russie, elle tombe finalement à point nommé.
Charles Amenyah
- LE SOUFFLE (Ispytanie) écrit et réalisé par Alexander Kott en salles le 10 juin 2015.
- Avec : Elena An, Karim Pakachakov, Narinman Bekbulatov-Areshev, Danila Rassomakhin…
- Photographie: Levan Kapanadze
- Production : Igor Tolstunov
- Photographie : Levan Kapanadze
- Montage : Karolina Maciejewska
- Décors : Eduard Galkin
- Costumes : Éduard Galkin
- Musique : Alexeï Aïgui
- Distribution : ZED
- Durée : 1h35
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