Léviathan de Andreï Zviaguintsev: critique

Publié par Didier Flori le 21 juillet 2014

Synopsis : Kolia habite une petite ville au bord de la mer de Barents, au nord de la Russie. Il tient un garage qui jouxte la maison où il vit avec sa jeune femme Lylia et son fils Roma qu’il a eu d’un précédent mariage. Vadim Cheleviat, le Maire de la ville, souhaite s’approprier le terrain de Kolia, sa maison et son garage. Il a des projets. Il tente d’abord de l’acheter mais Kolia ne peut pas supporter l’idée de perdre tout ce qu’il possède, non seulement le terrain mais aussi la beauté qui l’entoure depuis sa naissance. Alors Vadim Cheleviat devient plus agressif…

 

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Leviathan de Andreï Zviaguintsev - affiche

Leviathan de Andreï Zviaguintsev – affiche

Si Léviathan a reçu le prix du scénario au dernier festival de Cannes, c’est plutôt la mise en scène d’Andreï Zvianguintsev qui est à l’honneur dans les premières minutes du film. Des vagues se fracassent sur une falaise avant de nous plonger dans une plage déserte sur laquelle des épaves de barque sont laissées à l’abandon. En contrepoint de ces images de désolation, la musique entêtante de Phillip Glass crée une tension lancinante ; tout n’est pas mort, quelque chose bouillonne derrière ce paysage sauvage. Le mouvement souterrain est celui d’une révolte, celle d’un cinéaste qui a choisi de mettre à jour l’état alarmant de la société russe contemporaine. C’était déjà le cas dans son précédent métrage, Elena, qui racontait le meurtre d’un riche retraité par sa compagne afin de subvenir aux besoins de sa famille modeste. Plus ambitieux, Léviathan dépasse ce champ du drame intimiste pour devenir une charge politique contre l’imposture des pouvoirs corrompus. Les espaces déserts sur lesquels s’ouvre l’oeuvre installent un décor similaire à l’univers hostile des westerns. Dans Il était une fois dans L’Ouest, il s’agissait de chasser des propriétaires pour la construction d’une gare. Ici, il est question de Kolia (Alexeï Serebriakov), dépossédé de ses terres, pour y bâtir un centre commercial. Comme outil du pouvoir, les mercenaires de jadis ont cependant laissé la place à une loi intransigeante qui écrase les plus faibles de son discours bureaucratique, coup de massue interminable représenté dans son intégralité au tribunal. Face à ce système procédurier et retors, Dmitri (Vladimir Vdovitchenkov), avocat arrivé de Moscou, s’affirme bientôt comme le héros idéal, et Léviathan prend dès lors la forme d’un polar judiciaire. Le combat semble encore possible pour redresser les injustices, d’autant que le pouvoir paraît en réalité bien dérisoire. Le maire Cheleviat (Roman Madianov), dans un état d’ébriété avancé, tient à peine debout lorsqu’il vient narguer Kolia.

 

Alexeï Serebriakov et Elena Liadova - Léviathan de Andreï Zviaguintsev / © Pyramide Distribution

Alexeï Serebriakov et Elena Liadova – Léviathan de Andreï Zviaguintsev / © Pyramide Distribution

 

Zvianguintsev rend ainsi ce duel de la dernière chance crédible à travers un casting impeccable. L’élégance charismatique et la maîtrise calme de Vladimir Vdovitchenkov s’oppose au jeu outré de Roman Madianov, figure farcesque et bouffie. Hélas d’un coup tout bascule et s’écroule, comme le constate une femme impuissante par « C’est fichu… ». A l’énergie qui sourdait des premières images succède la vision morbide d’un squelette de baleine, symbole imposant d’un monde hanté. Dans le bras de fer entre le pouvoir et les opprimés, c’est finalement les rapports des deux camps au passé qui sont déterminants. Ces rapports s’établissent par l’intermédiaire d’images qui servent de fil conducteur au récit. Le combat de Kolia est voué donc à l’échec puisqu’il est tourné vers un héritage familial à la beauté idéalisée, représenté sur le dessin d’un plan de la côte encadré sous verre. La révolte illusoire des classes ouvrières prend la forme d’un tir sur les portraits des dirigeants de la Russie passée – et non de celle actuelle – car comme l’un d’eux le remarque « il leur manque le recul historique ». Le régime en place trouve au contraire sa force et sa justification morale dans son entente avec les pouvoirs religieux, entérinée par les fresques et icônes multiples. De l’Etat Léviathan, garant de l’ordre selon le philosophe Thomas Hobbes, ne reste qu’une carcasse sur une plage. Il a été remplacé par un autre Etat monstrueux qui broie les hommes, condamnés à subir les pires épreuves sans obtenir de salut, et en fait des Job des temps modernes. 

 

Elena Liadova - Léviathan de Andreï Zviaguintsev / © Pyramide Distribution

Elena Liadova – Léviathan de Andreï Zviaguintsev / © Pyramide Distribution

 

Andreï Zvianguintsev dresse alors le tableau terrible d’une classe populaire qui noie sa misère dans la vodka tandis que leurs enfants découvrent et ingèrent l’alcool dans les ruines des églises. Au-delà de ce constat social accablant, le cinéaste s’intéresse une nouvelle fois à la place des femmes en Russie. A travers le destin bouleversant de Lilia, interprétée par la sublime Elena Liadova – également présente dans Elena -, le cinéaste décrit une société où elles sont les premières victimes des frustrations sociales des hommes. Méprisée et insultée par le fils de Kolia, dont elle n’est pas la mère, Lilia se voit contrainte de porter le poids de l’échec du combat chimérique de son compagnon. Dans le monde impitoyable où évoluent ces hommes en perte de repères, la figure féminine ne semble pas être pas libre mais plutôt devenue la seule propriété restante. Elle est soumise aux passions des maris qui se manifestent par les coups ou par les rapports sexuels. Victimes collatérales, les femmes sont malgré tout porteuses de l’unique lueur d’espoir qui perce dans Léviathan. Alors que les hommes fiers et résignés s’isolent pour pleurer sur le sort de leurs camarades, la belle solidarité qui lie leurs compagnes aura pu au moins arracher un enfant des griffes d’un Etat sans pitié…

 

Didier Flori

 

 

  • LEVIATHAN de Andreï Zviaguintsev en salles le 24 septembre 2014.
  • Casting : Alexeï Serebriakov, Elena Liadova, Vladimir Vdovitchenkov, Roman Madianov, Anna Oukolova, Alexeï Rozine, Sergueï Pokhodaev, Lesya Kudryashova
  • Scénario : Andreï Zviaguintsev, Oleg Neguine
  • Production : Alexandre Rodnianski, Sergueï Melkoumov
  • Photographie : Mikhaïl Krichman
  • Montage : Anna Mass
  • Décors : Andreï Ponkratov
  • Costumes : Anna Bartouli
  • Musique : Philip Glass
  • Distribution : Pyramide
  • Durée : 2h21

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