CineChronicle, partenaire du Paris Images Tradeshow (PITS) – événement de promotion de l’industrie cinématographie française, jusqu’au 6 février –, a rencontré Olivier-René Veillon, directeur de la Commission du Film d’Ile-de-France. Il évoque l’évolution des compétences en France, les nouveaux décors disponibles, l’attractivité renforcée du territoire, avec notamment la hausse du crédit d’impôt de 30% pour les productions françaises et étrangères, et la fluidité des échanges avec les acteurs des cinémas hollywoodien, européen et chinois.
CineChronicle : En quoi consiste le rôle de la Commission du Film d’Ile-de-France ?
Olivier René Veillon : Cette commission a un double enjeu : assurer le développement de la production audiovisuelle et cinématographique sur son territoire – une activité qui génère beaucoup d’emplois –, et renforcer son rayonnement pour encourager une présence internationale importante.
CC : Quels sont vos objectifs pour 2016 et notamment à travers cette 5e édition du Salon des lieux de Tournage du Paris Image Trade Show ?
ORV : 2016 est une année très importante puisque nous bénéficions d’une excellente configuration pour pouvoir développer l’activité. Nous avons le bénéfice du travail mis en œuvre depuis quelques années en terme de mobilisation des décors. Nous en avons de très nombreux disponibles et accessibles, avec une vraie politique volontariste. Ce sont de grands décors patrimoniaux, de Versailles à Vaux-le-Vicomte, en passant par près de 200 châteaux historiques de la région, ou des musées comme le Louvre et Orsay. Nous avons aussi des sites majeurs comme les gares ou les aéroports. Tous ces lieux et institutions sont déterminants pour l’organisation d’un tournage mais sont aussi organisés et volontaires. Ce qui est un atout très important. Deux éléments économiques renforcent notre attractivité : la mise en place par les pouvoirs publics d’un crédit d’impôt renforcé, avec 30% d’abattement sur les dépenses réalisées par les équipes étrangères qui viennent tourner en France, et la baisse de l’euro par rapport au dollar et à la livre. Au regard des trois années précédentes, les coûts de tournage pour une production américaine ont été réduits de 50 %. C’est donc véritablement le bon moment pour pouvoir franchir un seuil, à savoir attirer plus de tournages étrangers – et donc assurer une forte croissance de l’activité –, améliorer le taux d’emploi des 115 000 intermittents qui travaillent en Ile-de-France, et permettre de renforcer les entreprises de production et tous les prestataires qui contribuent à la production audiovisuelle et cinématographique. Et notamment là où nous avons une filière d’excellence avec la création numérique, les effets visuels et la 3D qui contribuent aujourd’hui de manière déterminante à la production cinéma.
CC : Quelle est d’ailleurs la part des productions étrangères sur le sol français ? Apportent-elles une véritable plus-value par rapport aux tournages nationaux ?
ORV : C’est parfaitement déterminant car nous avons connu, depuis 2004, une croissance continue de l’activité. Mais dans le même temps, nous avons rencontré, ces trois dernières années, une baisse des investissements dans la production audiovisuelle et cinématographique en France. La croissance est restée, malgré tout, au rendez-vous et s’est même accentuée l’année dernière, grâce à la présence de la production internationale qui s’est renforcée de manière continue depuis 2004. L’enjeu est de continuer d’accueillir des productions internationales pour assurer cette croissance puisque cette dernière ne vient pas de la production française – en repli depuis ces trois dernières années -, même si je pense qu’il y aura un rééquilibrage cette année. Elle est cependant en forte augmentation partout ailleurs. Nous avons une très forte croissance en Asie en raison de l’explosion de la demande chinoise en matière de production internationale. Ce qui permet l’émergence de nombreuses productions, comme les Philippines, l’Indonésie ou d’autres grands pays qui, jusque-là, ne tournaient pas beaucoup à l’international, mais qui en ont envie aujourd’hui. Lorsqu’on veut internationaliser sa production, on commence toujours par la recherche de décors universels connus dans le monde entier et porteurs d’un univers symbolique qui soit immédiatement reconnaissable et gratifiant. Ainsi, lorsqu’un cinéaste pense à une grande comédie romantique, il imagine Paris, un grand décor patrimonial, il voit Versailles. De ce fait, nous avons des demandes du monde entier pour tous ces grands décors, ce qui est une chance pour nous.
CC : Comment se déroulent les négociations avec les productions étrangères, qui ont tendance à compenser bien plus que la baisse des investissements dans la production cinématographique française ?
ORV : C’est un métier très axé sur le relationnel. Le plus important est d’établir une relation de confiance avec les producteurs, les réalisateurs et les scénaristes. Il est important de les convaincre que nous allons pouvoir leur apporter des éléments utiles à leur production qui vont renforcer non seulement leur intérêt et la qualité mais aussi leur impact et leur succès international. Nous travaillons en amont, avec un enjeu qui est d’identifier les projets assez tôt pour pouvoir être en contact le plus rapidement possible avec le réalisateur, le producteur, le scénariste. Nous n’avons pas les mêmes discours avec les uns et les autres. La décision artistique reste, bien sûr, la décision la plus importante ; le dialogue avec le réalisateur compte davantage. Mais c’est surtout une affaire de réseau et de confiance qu’il faut cultiver en permanence. Je me souviens du projet Inglourious Basterds de Quentin Tarantino, qui ne s’est pas tourné en France à cause du crédit d’impôt allemand plus avantageux à l’époque. Je me rendais à Los Angeles et Brett Ratner, dans le même avion, m’annonce que Tarantino lui a donné son scénario. Le premier avait tourné Rush Hour 3 à Paris et le second voulait entrer en contact avec des personnes susceptibles de l’aider à tourner Inglourious Basterds dans la capitale. Tout se passe par le relationnel. Aujourd’hui le concept de “commission du film” est bien connu aux États-Unis et partout dans le monde. À l’origine, ce sont les Canadiens qui l’ont inventé dans les années 1980 pour drainer les productions sur leur sol. En France, il est arrivé bien plus tard, nous existons depuis 2004. Mais nous sommes désormais bien installés et nous pouvons amener les projets en France, avec tous les arguments possibles.
CC : Vous avez obtenu, non sans mal, que la série Versailles, au budget de 27 M€ et au casting international, soit tournée sur les lieux même, et non ailleurs en Europe. Comment avez-vous convaincu les producteurs ?
ORV : C’est une longue histoire qui a duré cinq ans. Lorsque j’ai entendu parler du projet, j’ai rencontré le responsable qui le finançait, en l’occurrence Fabrice Larue, du groupe Newen. Il m’a alors indiqué qu’un projet de cette ampleur ne pourrait jamais être conçu en France, qu’il devait le tourner en Europe centrale. Cette solution me paraissait absurde par rapport à l’objectif, à savoir réaliser une série internationale qui puisse se vendre dans le monde entier afin d’être rentabilisée. Or pour cela, il fallait qu’elle soit très forte à l’image ; les décors devaient être authentiques. Concevoir une série sur Versailles sans profiter des lieux risquait d’hypothéquer sa carrière internationale. Et puis, tourner à Versailles est tout de même plus avantageux ; le château est relativement bien organisé et peut mobiliser des ressources en terme d’expertise et d’expérience pour apporter une plus-value spectaculaire à la production. Ils sont en outre très volontaires et ont une vraie politique cinéma. Aucune rencontre n’avait eu lieu avec le producteur : j’ai donc organisé un rendez-vous entre Fabrice Larue et Catherine Pégard, qui a très bien compris l’enjeu. Elle a mobilisé les ressources nécessaires, comme les historiens d’art qui ont une expertise unique au monde sur ce lieu et sont les mieux placés pour le valoriser. Elle a également tout fait pour que l’organisation sur place soit irréprochable, notamment avec l’aide de Jeanne Hollande, la responsable des tournages, ou d’Olivier Josse, le directeur en charge des opérations de ce type. Nous sommes également partis en quête d’autres décors du XVIIe siècle que nous avons pu trouver en Ile-de-France, comme les châteaux de Sceaux, de Janvry, de Lésigny, de Vigny et de Vaux-le-Vicomte. La série est une grande réussite esthétique, avec une écriture remarquable et une interprétation très juste et fine. Elle a notamment été vendue à la BBC. Ce sera d’ailleurs la première série française à être diffusée en prime time sur la chaîne.
CC : Ce monument historique accorde une centaine d’autorisations de tournage par an. Quel est le coût de sites du patrimoine comme le Louvre, la tour Eiffel, ou de lieux plus accessibles comme les Champs-Élysées, la RATP, la SNCF, la Cité universitaire avec ses 37 pavillons ?
ORV : Cela dépend de la nature des lieux et surtout du coût nécessaire pour les rendre accessibles. Pour Versailles, cela coûte très cher car cela suppose une mise en sécurité avec beaucoup de gardiennage et de moyens pour rendre le site accessible aux tournages. Plus le site est sensible sur le plan patrimonial, plus le coût du tournage est élevé. Les lieux les plus chers sont l’Opéra de Paris, Versailles ou le Louvre. Mais Paris est aussi une ville qui offre la gratuité des tournages, notamment sur la voirie, et ne demande aucune redevance. Il y a ainsi une politique volontariste de rendre les tournages accessibles.